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Dois-je me plier à « une éthique du silence »?

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Dans notre monde médiatique bavard, qu’on dit affecté par la « brutalisation » du débat, c’est parfois le silence qui est le plus éloquent. Qu’en pense notre chroniqueur, à la tête de l’Institut de la parole ?


Dans le livre de Jean Birnbaum Le Courage de la nuance, il est écrit que « parfois une éthique de la mesure est une éthique du silence ».

J’aime la pensée et l’écriture d’autres, qui vous obligent, quand soi-même on est prêt à les accueillir, à remettre en cause ce qu’on a toujours cru, ce qui vous est apparu tellement naturel que jamais vous ne l’avez discuté. Je me suis demandé, saisi par l’interrogation que cet ouvrage m’a inspirée, si je n’avais pas trop dérogé à cette « éthique du silence » dont je comprenais l’exigence mais que je n’avais guère cultivée.

Zone sensible

Pourtant j’ai admiré et je continue à admirer les personnalités qui opposent un refus ferme aux sollicitations médiatiques nombreuses qui leur sont adressées. Je songe par exemple à Jean-Jacques Goldman, à Mylène Farmer, à Catherine Deneuve ou au si regretté Michel Blanc et, à l’étranger, à Adele, Bradley Cooper ou Bill Murray. Il y a également des intellectuels qui évitent de venir sur les plateaux de télévision parce qu’ils considèrent que cette implication rendrait impossible l’expression de la moindre complexité.

En même temps, et à rebours, tous les jours j’éprouve comme un malaise devant la surabondance médiatique d’autres, qui résulte de la constance des médias – de droite ou de gauche – à inviter les mêmes pour être à l’abri de la moindre imprévisibilité. Et, sur certains sujets, il n’y a pas la moindre surprise. Malgré l’inventivité et la volatilité de l’actualité, il y a en quelque sorte des titulaires…

Oscillant entre ces deux extrémismes, je m’en suis tenu à ce qui me paraissait une évidence : quand on s’efforce de penser, d’écrire et d’user le plus correctement possible de l’oralité, on n’a aucune raison de fuir l’affirmation de soi. Non pas pour extérioriser une quelconque volonté de pouvoir mais, tout simplement, par souci de justifier son existence et par passion du débat d’idées. Il n’y a pas une once de narcissisme dans cette obligation même si on confond souvent ce besoin humain de prendre sa part dans le débat pluriel d’une société et des médias avec une posture vaniteuse.

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Aussi, longtemps, n’ai-je jamais eu l’impression de sortir de ce que ma nature, mes envies, mes idées me dictaient. Cela me semblait être le comportement banal de quelqu’un qui, sans surestimer ce qu’il offrait, se sentait cependant légitime pour le proférer ou l’écrire. Il y avait, derrière cette normalité, à bien y réfléchir, sans doute l’espoir qu’on était attendu, que ce qu’on avait à dire, sans être forcément fulgurant, méritait au moins d’être lu ou entendu.

Pourtant cette « éthique du silence », correspondant à « une éthique de la mesure », m’a questionné, comme si elle touchait en moi une zone sensible et qu’elle représentait une aspiration secrète, un désir jamais assouvi, un regret de n’avoir su déserter l’expression publique ou médiatique au bénéfice d’un silence infiniment porteur de sens.

Mais pourquoi la mesure, une pratique de la nuance devraient-elles conduire au silence, à partir du moment où on s’imagine n’avoir pas à les répudier quand on s’exprime ? Pourtant je perçois clairement des séquences où, sur les réseaux sociaux, oralement ou par écrit, en peu de signes ou plus longuement, j’aurais peut-être dû arbitrer en faveur de l’abstention.

Exister c’est insister

Parce qu’on n’en savait pas assez. Parce que trop s’étaient déjà prononcés. Parce qu’on n’aurait rien ajouté d’essentiel à la masse déjà profuse. Parce qu’à aucun moment on n’était motivé par ce prurit irrésistible de l’adhésion ou de la contradiction, par l’enthousiasme ou l’indignation, par cette légère touche de conscience de soi vous faisant croire à une obligation impérieuse d’ajouter votre pierre. Parce que, surtout, j’avais un tempérament totalement étranger à l’allure d’un silence durable, à la politique du retrait et de l’effacement.

Parce que, pour moi, exister c’est insister et que si, au contraire, on a une vision aussi réduite de son rôle sur Terre et dans la vie, une si piètre conception de son utilité, on serait bien en peine de se juger nécessaire à soi et aux autres. Il faudrait alors se supprimer d’une manière ou d’une autre…

Je vais dorénavant m’attacher davantage, non pas à la mesure (qui n’est ni tiédeur ni faiblesse mais victoire contre l’outrance) mais à son éventuelle conséquence éthique : le silence. Il y a une morale qui prône la liberté d’expression, la volonté d’être soi.

Pourquoi pas une morale du silence éloquent ?

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Dans l’enfer ultraprogressiste

À l’image du libéralisme, le progressisme a lui aussi ses « ultras ». Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes: hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi.


La mutation du concept de progrès en idéologie progressiste portait déjà en elle le ver du fanatisme. Non, toute nouveauté ne peut être sanctifiée, ni tout ce qui est ancien, bon à jeter aux orties ou à « déconstruire ». Il en va aujourd’hui du progressisme comme du libéralisme économique : parfois, trop, c’est trop. Obliger ainsi EDF à vendre à perte son électricité à des « concurrents » qui ne produisaient rien relevait du dogmatisme. Cet ultralibéralisme a désormais son pendant sociétal : l’ultraprogressisme. Ses sectateurs hurlent à l’énoncé suivant – « Tous les musulmans ne sont pas terroristes ; mais tous les terroristes sont musulmans » – mais applaudissent, émus, à cette affirmation : « Tous les violeurs sont des hommes donc tous les hommes sont des violeurs potentiels. » Les mêmes se battent contre l’expulsion de terroristes présumés, au nom d’un État de droit détourné de son objet. Défendre un seul individu, quitte à sacrifier l’intérêt de millions d’autres, constitue l’essence fanatique de l’ultraprogressisme – à l’instar « du monde rempli d’idées chrétiennes devenues folles », décrit par Chesterton.

Trouple infernal

Nos nouveaux gardes rouges intersectionnels font régner la terreur grâce à quelques tours de passe-passe simples et redoutables. Ils ont ainsi élargi le concept aussi généreux que dangereux du « Femme, je te crois » à toutes les communautés sexuelles ou raciales : « Membre d’une minorité, je te crois » est devenu leur credo. Écouter est une chose ; croire sur parole en est une autre. C’est pourtant bien une nouvelle Loi des suspects dont ils ont établi le principe, puisque la contrepartie de cet axiome s’écrit « Membre de la majorité (sexuelle, raciale), tu mens. » Un dogme totalitaire qui crève les yeux, une tyrannie bienveillante au nom d’un humanisme dévoyé. Désormais, « Émeutier issu de la diversité, ta rage est légitime » ; tandis qu’« Émeutier blanc anti-immigration, tu mérites la prison ».

Tout membre de la majorité se voit, au demeurant, sommé d’observer chaque mantra progressiste, sans exception. L’adhésion des minorités aux injonctions LGBT, féministes, écologiques, antiracistes ou animalistes se fera, en revanche, « à la carte ». L’antisémitisme des cités ? Silence gêné. L’homophobie des « quartiers » ? Un (petit) ange passe. Le voile ou l’abaya ? Une liberté de femme pudique. L’excision ? Vous pouvez répéter la question ? Les souffrances animales de l’abattage rituel ? Toute critique relèverait de l’islamophobie. Ces millions de moutons égorgés ne sont rien en comparaison… des quelques centaines de taureaux sacrifiés dans les arènes par des Blancs réactionnaires. La corrida devient, à les écouter, un ignoble génocide alors que l’Aïd figurerait un aimable enrichissement diversitaire. L’ultraprogressisme ressemble à un trouple infernal entre Tartuffe, Ubu et Orwell.

La soif de justice affichée par ses (gentils) thuriféraires désireux de défendre chaque victime du racisme ou du (méchant) patriarcat, n’a de limites que l’origine ethnique du coupable. Les contorsions auxquelles se livrent les néoféministes pour relativiser le sort des Israéliennes violées ou celui des Iraniennes voilées portent un nom : l’hypocrisie. La traite de jeunes blanches à Telford par des Pakistanais, les viols de Cologne ou le harcèlement de rue à La Chapelle ne les avaient pas plus intéressés. Prompte à dénoncer de fantasmatiques micro-agressions nécessitant l’abri d’un « safe space », vigilante face au moindre « mégenrage », ulcérée par la mention de « mademoiselle » dans un formulaire, la nébuleuse ultraprogressiste ne voit rien, n’entend rien dès que les agresseurs ne sont pas de type caucasien. Leur « justice » a le goût de la revanche et l’odeur peu ragoûtante de la vengeance. Vengeance contre l’Occident. Vengeance contre le mâle. Vengeance contre l’hétérosexuel. Vengeance contre le Blanc. Vengeance contre le juif. Les autres, les « racisés » ne peuvent être coupables de rien, tandis que, symétriquement, la majorité « non racisée » ne peut jamais être totalement innocente. La théorie délirante du racisme systémique prend sa source dans ce raisonnement et le prétendu privilège blanc, c’est désormais celui d’être l’éternel criminel, a minima « the usual suspect ». Avoir systématiquement tort en fonction de sa pigmentation, n’est-ce pas la définition même du racisme et l’instauration d’une hiérarchie raciale dont le progressisme devait à jamais nous débarrasser ?

Escroquerie à l’émotion

Notre protection sociale, nos lois, nos droits de l’homme (pardon nos droits humains) se voient méthodiquement détournés contre l’intérêt général. Non, en Méditerranée, les ONG ne secourent pas des marins victimes d’une fortune de mer mais des naufragés volontaires, abusant d’une solidarité ancestrale. Mettez le feu à votre maison et essayez de vous faire indemniser par votre assureur. Il vous expliquera la différence entre un accident et une fraude. L’ultraprogressisme pratique l’escroquerie à l’émotion, une technique bien définie, dans un autre contexte, par le fisc et durement sanctionnée : l’abus de droit. Mais attention : le cadavre du petit Aylan, c’était de l’émotion légitime ; le meurtre de la petite Lola, une ignoble récupération.

Le vocabulaire qu’impose le progressisme dans la sphère médiatique construit méthodiquement une prison mentale de laquelle on ne s’échappe qu’au prix du sceau infamant de l’extrême droite. Il en va ainsi du concept désormais admis d’islamophobie. La résistance des Français aux oukases religieux de l’Islam (voile, mixité, etc.) n’est pas une haine de l’Islam, mais une simple exigence d’intégration de la part de la majorité. En quoi ce souhait de respect des us et coutumes d’un des pays les plus accueillants de la planète pourrait-il être assimilable à de la haine ? Ingratitude et passions tristes font ainsi le miel de l’ultraprogressisme qui marche main dans la main avec le communautarisme. Conséquence de ce travail de sape, l’intérêt général disparaît au profit unique des droits individuels et des communautés. L’État-providence n’y survivra pas.

Cette dérive fanatique du progressisme signe en effet, et la fin de l’égalité des citoyens, et celle de la solidarité nationale (la Nation, quel mot horrible !). Bref, la fin du progressisme en son nom.

Lepénisation de Mélenchon, acte 2

Après avoir joué pendant des années la carte de l’intransigeance vis-à-vis du pouvoir, le leader des Insoumis se vante désormais d’exercer, en matière économique, une certaine influence sur le gouvernement. Exactement comme le RN en matière migratoire.


Pour lui, c’est carrément « l’agonie d’une époque ». Dans un texte mis en ligne hier sur son blog personnel, Jean-Luc Mélenchon a salué le projet du gouvernement d’augmenter les impôts des contribuables disposant des plus hauts revenus et des entreprises les plus prospères.

« Victoire idéologique »

« Le budget Barnier reconnaît notre victoire idéologique, pour nous antilibéraux, se réjouit-il dans ce texte incroyablement apaisé. L’impôt sur les riches est réhabilité et celui sur les superprofits des entreprises aussi. (…) Peu importe les montants : c’est le raisonnement qui compte. (…) Michel Barnier a enterré les interdits et les tabous du libéralisme des gouvernements macronistes. » N’en jetez plus !

Ainsi donc, le général Tapioca continue de se lepéniser. Mais cette fois-ci, ce n’est plus à Jean-Marie qu’il emprunte ses méthodes. Finis les provocations éruptives et les sous-entendus essentialisants. Désormais c’est à Marine Le Pen que Jean-Luc Mélenchon essaie de ressembler. La patronne du RN ne s’était-elle pas elle aussi réjouie d’une “victoire idéologique” lors du vote de la loi Immigration l’hiver dernier ?

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Le leader des Insoumis vient en réalité de rentrer dans une nouvelle séquence. La motion de censure du Nouveau Front populaire ayant été rejetée, il ne peut plus hurler – au mépris du bon sens le plus élémentaire : « On nous a volé l’élection ! »  Le processus de destitution du président ayant été abandonné la semaine dernière, il ne peut davantage promettre – contre toute évidence : « On va virer Macron ! » Dès lors, le voilà qui se résout à faire de la politique de façon plus classique. Comme Marine Le Pen et ses députés cravatés, ses paroles sont à présent celles d’un opposant qui instaure un rapport de force rationnel et civilisé avec le pouvoir.

Barnier Sanders : tax the rich !

Quelles sont les armes – enfin loyales – dont il dispose pour infléchir les décisions de Michel Barnier ? Ici s’arrête l’analogie avec le RN. Car Marine Le Pen brandit l’épouvantail de la censure au parlement pour se faire entendre, obtenant notamment que le ministre de l’Intérieur remette sur l’ouvrage une loi Immigration, Mélenchon, lui, agite plutôt la menace du mouvement social et du blocage du pays. Et cela paye ! Effrayé à l’idée de vivre l’enfer d’Alain Juppé en 1995, le Premier ministre a donné quelques gages à la gauche dans sa proposition de budget.

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Et les Français dans tout cela ? Malgré ce que prétendent la plupart des commentateurs de la grande presse, on peut se demander s’ils n’ont pas obtenu en somme ce qu’ils voulaient : un gouvernement centriste, présentable et policé, sachant toutefois écouter les demandes de redistribution de la gauche et les demandes de contrôle aux frontières de la droite. Michel Barnier fait en somme penser à ces couples bourgeois qui doivent se résoudre, en gardant leurs bonnes manières, à une certaine infidélité, pourvu que celle-ci ne soit pas trop exposée.

Responsables, mais plus coupables

Tourcoing / voile: l’incident survenu il y a une semaine démontre que les élèves musulmans sont de plus en plus nombreux à «tester» l’institution scolaire.


Le 7 octobre dernier, dans un lycée de Tourcoing, une élève a giflé une enseignante qui lui demandait de retirer son voile. Cette élève venait de se changer et s’apprêtait à quitter l’établissement. Elle a essayé de traverser le lycée voilée, jouant avec les limites, tentant de grignoter petit à petit le cadre de la laïcité. Il s’agit d’ailleurs là d’une transgression qui se répand dans les établissements scolaires.

L’enseignante aurait pu par lassitude, par renoncement, par peur, passer outre: ce n’était pas son élève, elle allait de toute façon remettre son voile dans la rue quelques minutes plus tard, elle n’était pas la seule à agir de la sorte.

Mais ce professeur a fait preuve de courage, de professionnalisme et surtout du sens de la responsabilité dont le manque dramatique provoque l’effondrement de l’autorité à l’école. Elle s’est montrée responsable de notre École. Responsable et respectueuse, non pas de passe-droits associés à une communauté particulière, mais de l’humanité des élèves, de leur intelligence et de leur capacité à être, devenir ou rester des enfants de la République.

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L’offensive islamiste gagne du terrain dans notre pays. Les professeurs se censurent par crainte des incidents ou des agressions. Mais aussi par un étrange sentiment de culpabilité, ils redoublent de précautions et de bienveillance. Nous nous sommes tous demandé à un moment ou un autre si nous n’allions pas heurter la sensibilité de nos élèves musulmans. Le sort tragique de Samuel Paty, dont nous commémorons pour la quatrième fois la mort en est l’illustration. Craignant d’offenser, il a proposé aux élèves qui pensaient être choqués de détourner le regard lors de sa séance sur la liberté d’expression. Le propos est revenu aux oreilles de l’élève absente qui a senti là une faiblesse et s’est engouffrée dans la faille. Elle a menti et, sanctionnée à ce moment-là par le collège, s’est servie de l’anecdote pour se dédouaner de ses propres agissements, inversant et transformant l’intention bienveillante en acte discriminatoire. On connaît la mécanique infernale qui a suivi.

Il n’y a pas de sensibilité particulière liée à une religion. Il n’y a que la colère de ceux qui constatent qu’on ne les craint pas assez, ou sentent qu’on veut les préserver comme une catégorie à part. Ils manipulent ainsi cyniquement la culpabilité fondamentale de bien des enseignants qui, se pensant privilégiés, pensent aussi que l’islam est intrinsèquement la religion de l’opprimé.

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Les foules écumant de rage qui demandent la tête de Salman Rushdie ne sont pas composées de pauvres âmes sensibles blessées, mais de fanatiques qui n’ont qu’un but : répandre et imposer la charia à tous et à chacun.

La logique des élèves qui se prétendent offensés est la même. Ils ne sont pas blessés, mais instrumentalisés par une idéologie totalitaire et mortifère.

La réponse doit évidemment être globale et politique.

Mais nous, professeurs, devons avoir à l’esprit la conduite exemplaire de notre collègue de Tourcoing et le souvenir lancinant de Samuel Paty, pour nous sentir responsables, mais plus coupables.

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À Garnier, une soirée, deux chorégraphes

La soirée Forsythe-Inger n’est pas vraiment une réussite. Mais les œuvres des chorégraphes américain et suédois sont surtout portées par le talent remarquable des danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris. De grands artistes.


Il fut un temps où William Forsythe, devenu philosophe, semblait ne plus pouvoir agiter ses danseurs sans se référer à Lyotard, Derrida ou Bachelard. Il avait créé quelques ouvrages magnifiques, fait exploser la danse académique en lui conférant une modernité sauvage et éblouissante dans la veine de ce qu’avait lancé avant lui l’Américaine Karole Armitage. Le juste succès suscité par ses chorégraphies spectaculaires et ravageuses et la gloire qui s’en suivit lui donnèrent à penser qu’il lui fallait absolument rehausser son statut d’artiste en vue par une dimension d’intellectuel pensant. C’est alors qu’il entreprit des pièces d’un mortel ennui, d’une prétention risible, agrémentées de propos informes et sibyllins. Signées par un autre que lui, elles auraient fait fuir les foules, au Châtelet où il se produisit alors. Mais comme elles étaient frappées de son nom, il y eu longtemps des gens pour continuer à crier au génie tout en s’emmerdant ferme avec l’aveuglement féroce de ceux qui se refusent à voir la réalité quand elle distord leurs convictions frelatées.

Bref, enferré dans un délire doctrinaire, Forsythe était devenu insupportable.

Pom-pom girls

Dans Blake Works I, reprise d’une pièce de trente minutes créée en 2016 pour le Ballet de l’Opéra de Paris, il a abandonné ses dérives cérébralisantes. Secondé de deux assistants au moment de l’élaboration de la chorégraphie, il donne tout au contraire dans une sorte d’américanisme facile, de divertissement racoleur.

Roxane Stojanov dans le ballet « Rearray » (William Forsythe) Photo : Ann Ray OnP

On croirait tout d’abord y voir du mauvais Balanchine. Mais bientôt, on glisse dans un douteux climat yankee, dans un univers de pom-pom girls fait exprès pour le Texas ou l’Oklahoma. Les danseurs de l’Opéra, une vingtaine ici, paraissent beaucoup aimer ce qu’ils dansent. Ou du moins ils s’en divertissent. Et le public aussi semble se régaler de cette aimable insignifiance qui n’en demeure pas moins quelque chose de si difficile à exécuter qu’il faut d’excellents interprètes pour en soutenir les difficultés techniques.

Un monde rustique

Dans un genre radicalement différent, Impasse, du Suédois Johan Inger est la reprise d’une pièce créée en 2020 pour les jeunes danseurs du Nederlands Dans Theater. Elle veut évoquer un thème grave, parfaitement pessimiste, sinon tristement réaliste. Mais malheureusement peu compréhensible au vu de la chorégraphie. On y sent, tout au début surtout, l’influence de Birgit Cullberg et de Mats Ek, les deux grandes figures de la danse suédoise de la seconde moitié du XXe siècle. Ce côté terrien, paysan, où les protagonistes semblent lourdement attachés à la glèbe. C’est une lointaine variante de cet expressionnisme né jadis dans l’Allemagne de Weimar et qui passa plus tard en Scandinavie par l’intermédiaire de Birgit Cullberg, laquelle, à l’instar de Pina Bausch plus tard, avait été l’élève du chorégraphe Kurt Jooss qui ne dut son salut qu’en fuyant son pays passé sous le joug des nazis.

Inger, qui a d’autres fois eu la main beaucoup plus heureuse, s’attache à une gestuelle très populaire, à un monde rustique qui semble hanté de maléfices, fait intervenir des figures de carnaval dans une sorte de bacchanale peu convaincante. Cela se regarde sans grand intérêt et l’on n’est pas fâché quand ça se termine. On est en revanche en droit de penser qu’il n’était vraiment pas indispensable de faire entrer cette chorégraphie au répertoire du Ballet de l’Opéra.

Des danseurs d’aujourd’hui

Mais il y a tout autre chose à voir dans cette soirée donnée à l’Opéra. Un ouvrage, de Forsythe encore, qui ouvre la soirée. Un double duo, réduit à un trio du fait, semble-t-il, de l’empêchement de l’une des protagonistes. Une réduction exécutée avec un tel savoir-faire par ceux qui en ont eu la charge qu’on ne peut qu’en admirer la réalisation.

Les premières images de Rearray sont de l’hyper-Forsythe. L’auteur y déploie un vocabulaire d’une virtuosité étourdissante qu’affrontent des danseurs forcément exceptionnels. Et il faut l’être pour soutenir de telles difficultés techniques à un rythme infernal. La pièce est magnifique, elle découvre des figures d’une qualité rare, à l’exemple de cette construction ingénieuse à quatre bras répétée à plusieurs reprises, et ses interprètes sont surprenants.

Une femme, Roxane Stojanov, deux hommes, Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard dont les noms seuls reflètent l’actuelle variété des origines des danseurs de l’Opéra : ces derniers, surtout, semblent avoir perdu ce profil, ce style « danseur de l’Opéra » qui dénaturaient si souvent les œuvres contemporaines quand elles entraient au répertoire du Ballet. Leur énergie, leur puissance, leur état d’esprit, leur corps même paraissent s’être adaptés à l’évolution du temps. Ils excellent dans cette chorégraphie parce qu’ils la servent avec virtuosité, certes, mais aussi, sinon surtout, parce qu’il n’existe plus de hiatus entre la nature de l’œuvre et celle de ses interprètes. Sans doute ont-ils été choisis à cette fin. Ils sont effectivement des exemples extraordinaires de l’évolution des esprits et de la plastique des danseurs au sein d’une compagnie de danse académique, et apparaissent pleinement comme des artistes d’aujourd’hui.    

Soirée William Forsythe – Johan Inger avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra Garnier. Jusqu’au 3 novembre 2024.

Antifa de papier glacé

« Du sérieux dans la frivolité », voilà la devise de l’hebdomadaire Elle à son lancement. Oui, mais c’était à son lancement…


L’hebdomadaire Elle paraît pour la première fois le 21 novembre 1945, peu après l’adoption du droit de vote des femmes en France. Ce journal de mode qui donne la parole aux figures tutélaires du féminisme comme Simone de Beauvoir ou Marguerite Duras entend mettre la femme « sur un pied d’égalité avec l’homme » tout en offrant « du sérieux dans la frivolité ».

Las ! Depuis que le magazine soutient les néo-féministes qui conflictualisent les rapports homme-femme et désignent à la vindicte populaire celles qui n’ont pas la bonne orientation politique, le projet a fait long feu.

Ainsi, le numéro du 5 septembre 2024 recense les principales « influenceuses de l’extrême droite » dont le discours serait « xénophobe et antiféministe ». Les qualifiant de « jeunes, jolies et fachos », l’article les associe au succès électoral du RN qu’elles auraient aidé à dédiaboliser. De très doctes chercheurs (de gauche) sont convoqués pour rappeler les heures sombres de l’histoire. Thaïs d’Escufon, ancienne égérie de Génération identitaire, préconise-t-elle le retour aux rôles traditionnels des sexes ? Cela ne peut que relever de la manière dont « les régimes fascistes ont pensé les rapports hommes-femmes ». Tatiana de Ventôse, qui aurait renié la gauche pour devenir « populiste », dénonce-t-elle le monde de la finance ? Cela ne peut qu’évoquer les tropes antisémites du XIXe siècle. Toutes ont suivi une mauvaise pente. Marguerite Stern, co-auteur de Transmania. Enquête sur les dérives de l’idéologie transgenre, serait passée « des FEMEN à la transphobie ». Mila, symbole de la liberté de blasphémer, serait passée « du trauma à la haine ». Si Alice Cordier, enfin, présidente du Collectif Némésis, pointe une corrélation entre « harcèlement de rue » et « hommes issus de l’immigration », c’est qu’elle a dérivé de « l’obsession sécuritaire au racisme ». Après la publication de l’article, la jeune femme a accusé le magazine de lui mettre « une cible dans le dos ». En 2019, Elle a obtenu le statut de « publication d’information et de politique générale » ; sérieusement ? Du « sérieux dans la frivolité », on est passé à la propagande haineuse.

Vive le populisme du quotidien!

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Les Français sont en train de prendre conscience qu’après avoir bataillé pour se prémunir contre les « abus de pouvoir » de toute sorte, leur société est aux prises avec des « abus de droit ».


Il y a des moments d’actualité où le concept rejoint le tragique, où la réflexion de haut niveau s’accorde avec le bon sens triste et résigné. Où une étincelante analyse de Marcel Gauchet dans Le Figaro est confirmée, à hauteur de douleur – « toute ma vie a volé en éclats » – par la mère de Lola, deux ans après le meurtre de celle-ci.

Mais avant, sur un mode réduit, l’affrontement de deux France : celle du Monde qui dénonce « l’idéologie de Bruno Retailleau » et celle ignominieuse qui fait vivre un calvaire au jeune Nathan âgé de 15 ans parce que sur son compte TikTok il a partagé une vidéo où il pose avec Marine Le Pen. La haine des réactions à son encontre dépasse l’entendement. Tous les boucliers naturels ont sauté : le respect du troisième âge, la protection de l’enfance.

Pour Le Monde, avoir des idées conservatrices, une pensée structurée, la mettre en application sur le plan régalien à partir de l’impact d’un réel qui chaque jour démontre sa dangerosité, c’est « l’idéologie de Bruno Retailleau ». La seule idéologie qui vaille est celle de gauche : brassant des naïvetés et des illusions contre la réalité.

Revenons à Marcel Gauchet qui dans son nouveau livre Le Noeud démocratique, définit le clivage politique de notre temps comme « l’opposition entre néolibéralisme et populisme ». Le premier a consisté longtemps à « mettre à l’abri les droits personnels de l’emprise abusive du politique » quand le second doit viser aujourd’hui à « réarmer les libertés du bras d’une autorité politique ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: État de droit, que de frime on commet en ton nom

Marcel Gauchet réhabilite le populisme qui « dans sa masse est pour l’efficacité de l’État dans le respect du droit. La sensibilité populiste ne comprend pas que les deux soient incompatibles. La non-exécution des OQTF, voilà un thème typique de l’exaspération populiste ». Il met en garde sur une dérive qui nous a conduits « après avoir lutté contre les abus de pouvoir, à nous mettre aux prises avec des abus de droit ».

Rien n’est pire, au quotidien, que de se priver de la parole douloureuse et dramatiquement irréfutable de citoyens qui ont vu leur vie sombrer parce que le crime a frappé, quand ils attendent le jugement et des réponses à leurs questions. Je crains que leur espérance judiciaire ne soit déçue.

Il n’empêche que la mère de Lola touche nos esprits et nos cœurs quand elle énonce ce que la tragédie lui a enseigné : « Malheureusement on est impuissant. On ne peut rien faire contre tous ces drames. C’est la France… J’espère qu’un jour les choses bougeront et que tout sera fait pour lutter contre toute la violence et l’insécurité qu’il y a dans ce pays. Il faut reconnaître que c’est de pire en pire… On a l’impression qu’on enlève tout aux policiers qui sont là pour nous protéger, alors que les voyous sont récompensés. Ce n’est pas normal. Il faut aussi que les gens qui n’ont rien à faire chez nous restent chez eux ». C’est la traduction simple et émouvante du populisme que Marcel Gauchet a défendu. Un populisme du quotidien.

Et faut-il vraiment, pour que la gauche politique et médiatique se rengorge, après un tel témoignage, s’en prendre à Bruno Retailleau qui n’a que le tort de penser et d’agir comme une immense majorité le souhaite ?

Le noeud démocratique: Aux origines de la crise néolibérale

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Du côté de la vraie vie


Loreux. Petit village au cœur de la Sologne. Ce Loir-et-Cher où, dixit Michel Delpech, «  ces gens-là ne font pas de manières ». Ils font bien mieux. Loreux, disais-je, deux cent vingt-quatre habitants au dernier recensement. Une chorale, Chœur et Partage. Quelque soixante-dix choristes. Le ratio en lui-même a de quoi impressionner. Surtout dans un moment où, un peu partout, nombre de groupes chantants sombrent faute de combattants. Première cause d’étonnement, donc, l’effectif. Le second est, sans conteste, le niveau musical, le répertoire, sa diversité.

Même Monsieur le maire donne de la voix

À l’origine de l’aventure, Nadia, ce genre de personne à qui rien ou pas grand-chose ne résiste et que la perspective de soulever les montagnes n’effraie guère. Lorsqu’elle a lancé l’idée d’une chorale dans un si petit bourg, il y a eu ceux qui ont haussé les épaules, et ceux qui ont  ricané doucement. Aujourd’hui, tout le monde est là pour applaudir. Quand je dis tout le monde, c’est bel et bien tout le monde à travers la Sologne, voire au-delà. Il y a de quoi.

Répétitions, les lundis, en fin de journée, début de soirée. Ils ont de vingt à quatre-vingt-huit ans et viennent de dix-sept communes et quarante kilomètres à la ronde. En toutes saisons. L’hiver, le retour, la nuit, gare au sanglier qui traverse la route. L’animal n’est pas connu pour se soucier particulièrement de ceux qui vont chanter ou en reviennent. Juste retour de l’élu à ses électeurs, le maire de la commune donne aussi sa voix.

De gauche à droite : Denise, Michel, Nadia. Photo : DR.

Mise en condition corporelle pour commencer la répétition, mouvements divers, car chanter mobilise tout le corps.  Puis vocalises. Puis l’attaque de l’œuvre proprement dite. Décryptage du texte phrase à phrase. Viennent ensuite les premières approches chantées. Pupitre après pupitre. Pour la répétition à laquelle j’assiste, il s’agit d’un chant orthodoxe russe, Tibie Païom. Quatre voix mixtes. Tout le contraire de la facilité. Le béotien que je suis en la matière ne s’égarera pas en données, en détails qui le dépassent. Juste confesser ma surprise, très belle surprise. Bien vite, on perçoit qu’on n’a pas affaire au genre de chorale petit bras où on trousse la chansonnette à la va comme j’te pousse. Là, non. Du musical élevé, du sérieux, du lourd comme on dit. Bref, du beau. D’un seul coup la salle des fêtes de Loreux se fait chœur d’église. Ne manquent que l’encens, le pope, sa longue barbe, les ors slaves. La répétition se poursuit avec l’approche du premier couplet d’une chanson d’Obispo, L’Envie d’Aimer. Diversité oblige, voulue par le chef de chœur. Parlons-en, du chef de chœur, Michel – Mimi – Renault ! Lui et son épouse, Denise, sont à la manœuvre (bénévolement, faut-il préciser). Que dire d’eux si ce n’est que nous sommes là en présence de fieffés allumés. Ils ont cela en commun avec Nadia. Ils sont en musique comme on est en religion, prêchent la bonne note comme d’autres la bonne parole. Chœur et Partage n’est pas le seul lieu où s’exerce leur sacerdoce laïque et joyeux. Le plaisir est en effet le maître mot, d’où le souci de diversité dans le répertoire, pour la satisfaction des chanteurs d’une part, et bien sûr du public. La conviction qui prime ici est que le beau peut et doit être populaire.

Quand le chant se fait antidote

Michel Renault, de par son parcours, inspecteur d’académie, agrégé de musique passé par l’exigeante et prestigieuse Schola Cantorum (pour ne citer que ces éléments d’une trajectoire exceptionnelle) pourrait fort bien – et très légitimement – s’en glorifier, prétendre ne s’intéresser et ne s’investir que dans l’élite chimiquement pure. Tel n’est pas son propos. Le « partage » de l’intitulé de la chorale n’est pas ici un vain mot. Il est de pratique. De pratique quasi quotidienne. Car il y a certes les nombreux concerts, les prestations qui enjolivent la vie d’aînés dans les EPHAD, les répétitions, mais aussi les concerts des chœurs d’enfants qu’il a créés dans les écoles, parfois dès la maternelle. Il y court de répétition en répétition son piano sous le bras. Mimi dirige tout cela avec une tranquille et souriante autorité. L’assurance de ceux qui savent parfaitement où ils vont et où ils entendent emmener leur monde.

Justement, le mardi, son monde de Chœur et Partage – du moins les membres qui le peuvent – il les emmène à l’hôpital psychiatrique de jour de Romorantin-Lanthenay (41) où un autre ensemble vocal s’est constitué. Avec à la clef, me confie une soignante de l’établissement, des résultats plus que notables sur l’état des patients. Parmi ceux-là, une jeune femme jusqu’alors prostrée, murée dans sa tête, dans son corps ingrat, et qui, peu à peu, s’est éveillée. Aujourd’hui, elle est soliste… Une preuve de plus que le beau peut donner – ou redonner – du sens à la vie.

Le beau mis en partage via le chant choral, l’antidote miracle contre la morosité des temps, les vilenies du monde, les emmerdements grands et petits de l’existence. Les soixante-dix choristes de Chœur et Partage, et sans doute leurs semblables à travers le pays, ne démentiront pas. Ils se rassemblent, chantent. Heureux. Ici, à quatre voix mixtes mais d’un même cœur. Ainsi font les vrais gens dans la vraie vie.

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Fan de cette nana-là!

Monsieur Nostalgie nous parle aujourd’hui d’une chanteuse grecque qui a fêté hier ses 90 ans et dont la voix est une promesse de l’aube


Elle est arrivée chez nous, sur nos écrans en noir et blanc, il y a si longtemps maintenant. C’était au début des années 1960. Elle débarquait d’Athènes mais son nom circulait déjà en Allemagne. Un jour, elle a posé ses valises à Paris au moment où les yéyés bégayaient à la radio et où les grandes voix d’avant-guerre s’étaient tues. Piaf n’était plus parmi nous. Alors, nous ne nous sommes pas méfiés de cette cousine de province, Callas des Ring parade, polyglotte de la variété européenne à la raie au milieu aussi fade qu’un député centriste au perchoir. Sur scène, elle portait d’épaisses montures noires comme un chevalier enfilerait son heaume avant un tournoi ou un tour de chant. Elle semblait timide et effacée, « un peu terne » comme l’avait qualifiée la presse allemande à ses débuts avant de la glorifier. À cette époque lointaine, elle avait quelques kilos en trop qui ne cadraient pas avec les standards de son milieu. Elle n’affichait pas la silhouette agressivement carénée des baby-dolls du microsillon que les imprésarios imposent, par contrat, à leurs jeunes vedettes. Pour une future star de la chanson, son allure générale intriguait, laissant presque à désirer. Elle jouait profil bas avec son col roulé et son sage collier de perles. On la voyait même en pantalon dans la rue. Cette rose blanche un peu fanée née en Crète n’affolerait pas la billetterie des zéniths. Comment pourrait-elle remplir l’Olympia ou le Carnegie Hall ? Sur le papier, « ça ne marchera jamais ! ». Et puis Nana a chanté comme Rabbi Jacob a dansé. Aucun pays au monde n’a alors pu résister à l’étésien, ce vent des cyclades qui souffle durant l’été avec la force d’un dieu consolateur. La voix de Nana a la mélancolie des comptines d’enfance et la puissance des amours impossibles. Elle exprime ce qu’il y a de plus secret en nous. Elle trouve le chemin vocal qui nous mène vers la lumière, une sorte d’ascenseur intime vers les cimes indicibles. Elle surplombe nos chagrins de sa grâce cristalline. Nana a la clé des existences verrouillées, elle crochète les âmes rétives de sa puissance mythologique. « Je ne suis pas belle mais je sais chanter » avoua-t-elle dans une interview. Elle se trompe car lorsque l’on chante comme elle, que l’on possède ce don presque irréel d’exprimer la musique et les mots, sa beauté réservée irradie, nous submerge, nous nous soumettons alors à son fil d’Ariane. Comme si la pudeur et le brio s’enroulaient autour de sa gorge pour dénouer tous nos maux. Avec elle, les soirées ont des parfums d’éternité. Cette mezzo-soprano aura vendu plus de 300 millions de disques et s’est produit partout où la musique ne connaît pas de frontières. Nana se moque des chapelles, des castes et des petits arrangements entre amis. Elle ne pratique pas l’audio sélective, elle chante le blues et le jazz comme sa grande sœur Ella Fitzgerald ; elle ne ferme aucune porte artistique par idéologie, elle excelle dans le lyrique et dans le folklore de son pays, elle adopte tous les styles, le swing de Quincy Jones et de Michel Legrand aussi bien que l’emphase prophétique de son compatriote Demis Roussos ; le sentimentalisme ne lui fait pas peur comme les notes perchées, c’est l’essence même d’une chanteuse populaire, chanter et encore chanter, partout, sur les plateaux de la ZDF, à la BBC ou chez les Carpentier, pour un défilé du 14-juillet ou un concert pour la paix. Pour une série télé à succès ou une opérette (sans lunettes) avec son ami de toujours, le fulgurant Serge Lama. Tous ont voulu accrocher leur voix à la sienne, ne serait-ce que pour former un duo éphémère. Le plaisir de goûter à son timbre si particulier et se mesurer à cette professionnelle toujours sur la retenue, donc déstabilisante. Voix contre voix. Soupir contre soupir. Grain contre grain. Julio Iglesias, Charles Aznavour, Harry Belafonte et même Alain Delon ont relevé ce défi. Nana demeure la taulière multilingue de notre jeunesse. Elle illustre l’onde du temps qui passe. Elle possède le charisme des êtres discrets et donc chers à notre cœur. Bon anniversaire à elle !

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Eden et Greta

Greta Thunberg et Eden Golan sont deux jeunes femmes qui ont attiré l’attention de l’opinion mondiale ces derniers mois, notamment lors du concours de l’Eurovision. Depuis, elles continuent à faire parler d’elles, chacune de leur côté. Derrière les visages de ces « héroïnes » des temps modernes, deux mondes irréconciliables.


On avait laissé la militante écologiste la plus célèbre de la planète, un keffieh noir et blanc autour du cou, défiler dans les rues de Malmö, dans son pays, où se tenait au mois de mai le concours de l’Eurovision 2024. Alors que l’armée israélienne menait une offensive terrestre à Gaza, après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, Melle Thunberg avait rejoint le cortège de manifestants protestant contre la participation de la représentante d’Israël, Eden Golan, à la plus célèbre compétition de la chanson.

On ignore si la chanteuse israélienne a pu croiser l’activiste suédoise aux abords de la Malmö Arena. La plupart de temps, Melle Golan est restée confinée dans son hôtel, et ses rares sorties pour les répétitions au concours ont été accompagnées par des manifestations d’hostilité de la part de certains concurrents ou encore par les sifflets d’une partie des spectateurs. On retient surtout que la prestation de la jeune Israélienne avec la chanson « Hurricane » a véritablement ému le public européen. Les habitants de 15 pays sur 25 l’ont même placée en première position, y compris… la Suède, pays dont le gouvernement est traditionnellement très critique à l’égard de la politique de l’État hébreu. Il faut croire que la voix protestataire de Greta n’a pas eu le même effet sur ses compatriotes que la voix du cœur d’Eden, finalement.

Le choix des armes

On a retrouvé l’égérie de la lutte pour le climat, au début du mois de septembre, à Copenhague, lorsque la presse a relayé les photos d’elle escortée par la police à la sortie de l’université de la capitale danoise. Avec un groupe de militants, Melle Thunberg avait occupé un bâtiment de cet établissement pour dénoncer le partenariat de celui-ci avec les institutions académiques en Israël. La posture anti-israélienne de l’activiste suédoise ne faisait alors plus de doute ; elle s’est inscrite dans la durée, en prolongement de la lutte contre les pollueurs et les climato-sceptiques. Greta associe Israël et son gouvernement aux forces qui nuisent à la planète et à la paix dans le monde. Et elle est loin d’être la seule…

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Presque au même moment, Eden Golan a donné de ses nouvelles dans les médias israéliens. La chanteuse a annoncé qu’elle allait commencer cet automne son service dans l’armée de Tsahal. Auréolée de son succès à l’Eurovision, Melle Golan n’a pas cherché à échapper à son devoir civique, surtout en cette période si éprouvante pour sa patrie. « J’espère pouvoir chanter pour les soldats, leur apporter de la joie… J’ai des frissons en pensant à ça », a-t-elle déclaré au site d’information Ynet.

Détracteurs contre créateurs

Greta et Eden, nées la même année, en 2003, sont deux jeunes héroïnes du nouveau siècle, que le destin a voulu réunir cette année à Malmö pour mieux les opposer, pour faire d’elles les symboles de deux camps irréconciliables qui s’affrontent aujourd’hui partout dans le monde : le camp de ceux qui crient et le camp de ceux qui créent. Les premiers cherchent à déconstruire le patrimoine civilisationnel au nom d’une idéologie, les seconds essaient de l’enrichir et de le rendre meilleur, en écoutant leur cœur.

La passion pour l’écologie d’une adolescente mal dans sa peau, en difficulté à l’école, et atteinte d’autisme – tout ce que nous savons de l’histoire de Greta – avait de bonnes raisons d’émouvoir l’opinion publique. Après tout, les révolutions ont souvent été faites par les jeunes gens en quête de sens. Mais, son attitude accusatrice envers Israël, dans un conflit dont elle ne maitrise sans doute pas tous les tenants et aboutissants, trahit au mieux la récupération dont la jeune femme a été victime. Parmi les signataires de la toute première pétition contre la participation d’Israël à l’Eurovision publiée au mois de janvier 2024 dans le quotidien suédois Aftonbladet figurait Malena Ernmann, une chanteuse d’opéra bien connue en Suède, et qui n’est personne d’autre que la mère de Greta. C’était déjà Madame Ernmann qui avait lancé sa fille sur l’orbite du combat contre le réchauffement climatique en publiant, en 2018, un livre co-écrit par toute la famille et intitulé « Scènes du cœur ».

Derrière chaque enfant, il y a un parent

Le mouvement de libération de la parole des femmes nous révèle chaque année les cas d’abus sexuels de jeunes femmes par des hommes plus âgés, à travers, notamment, des exemples de personnalités célèbres, comme Brooke Shields ou Judith Godrèche en passant par Flavie Flamant. L’approbation, même tacite, de leurs mères, fut le facteur déterminant dans la mise en relation des adolescentes avec les pygmalions au comportement abusif. La mère Thunberg a fabriqué une « serial » militante, sans doute avec les meilleures intentions, mais en privant sa fille de la possibilité de former sa propre vision du monde. L’emprise sur un enfant n’a pas toujours une dimension uniquement sexuelle, assurément.

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Tout en contraste, la jeune Eden a trouvé sa vocation à l’âge de 9 ans. Pour elle, ce serait la musique et rien d’autre. Elle compose, écrit les paroles de ses chansons, participe à des concours. Ses parents ne sont pas musiciens, mais ils font confiance à leur fille. Ils lui trouvent un professeur vocal et l’encouragent dans cette voie. À 12 ans, Eden participe à « The Voice » en Russie, où son père a été expatrié quelques années. Elle termine cinquième et subit déjà les attaques antisémites. La chanteuse de 20 ans arrive à l’Eurovision avec un solide bagage professionnel et la force du caractère forgé par son parcours. Le 11 mai 2024, Melle Golan bouleverse les téléspectateurs du monde entier par son talent et par sa remarquable résilience. À tel point que le maire de New-York, Eric Adams, proclame le 6 juin 2024 « Eden Golan Day » dans sa ville, à l’occasion d’une journée de levée de fonds pour une association de secours médical en Israël.

Début octobre, Greta s’est encore fait arrêter par la police, cette fois à Bruxelles, lors d’une manifestation contre les subventions aux énergies fossiles. Melle Golan, elle, a chanté le 7 octobre au siège des Nations-Unis, à New-York, en présence de l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon. Elle a pu enfin interpréter la version originale de sa chanson écrite pour l’Eurovision, « October Rain », refusée par les organisateurs du concours.

Eden et Greta, deux mondes que tout oppose, sont bien parties pour continuer de faire des apparitions, alors que l’histoire de notre siècle se déroule. Une Histoire, qui sera ensuite écrite, comme à son habitude, par le camp des vainqueurs…

Dois-je me plier à « une éthique du silence »?

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DR

Dans notre monde médiatique bavard, qu’on dit affecté par la « brutalisation » du débat, c’est parfois le silence qui est le plus éloquent. Qu’en pense notre chroniqueur, à la tête de l’Institut de la parole ?


Dans le livre de Jean Birnbaum Le Courage de la nuance, il est écrit que « parfois une éthique de la mesure est une éthique du silence ».

J’aime la pensée et l’écriture d’autres, qui vous obligent, quand soi-même on est prêt à les accueillir, à remettre en cause ce qu’on a toujours cru, ce qui vous est apparu tellement naturel que jamais vous ne l’avez discuté. Je me suis demandé, saisi par l’interrogation que cet ouvrage m’a inspirée, si je n’avais pas trop dérogé à cette « éthique du silence » dont je comprenais l’exigence mais que je n’avais guère cultivée.

Zone sensible

Pourtant j’ai admiré et je continue à admirer les personnalités qui opposent un refus ferme aux sollicitations médiatiques nombreuses qui leur sont adressées. Je songe par exemple à Jean-Jacques Goldman, à Mylène Farmer, à Catherine Deneuve ou au si regretté Michel Blanc et, à l’étranger, à Adele, Bradley Cooper ou Bill Murray. Il y a également des intellectuels qui évitent de venir sur les plateaux de télévision parce qu’ils considèrent que cette implication rendrait impossible l’expression de la moindre complexité.

En même temps, et à rebours, tous les jours j’éprouve comme un malaise devant la surabondance médiatique d’autres, qui résulte de la constance des médias – de droite ou de gauche – à inviter les mêmes pour être à l’abri de la moindre imprévisibilité. Et, sur certains sujets, il n’y a pas la moindre surprise. Malgré l’inventivité et la volatilité de l’actualité, il y a en quelque sorte des titulaires…

Oscillant entre ces deux extrémismes, je m’en suis tenu à ce qui me paraissait une évidence : quand on s’efforce de penser, d’écrire et d’user le plus correctement possible de l’oralité, on n’a aucune raison de fuir l’affirmation de soi. Non pas pour extérioriser une quelconque volonté de pouvoir mais, tout simplement, par souci de justifier son existence et par passion du débat d’idées. Il n’y a pas une once de narcissisme dans cette obligation même si on confond souvent ce besoin humain de prendre sa part dans le débat pluriel d’une société et des médias avec une posture vaniteuse.

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Aussi, longtemps, n’ai-je jamais eu l’impression de sortir de ce que ma nature, mes envies, mes idées me dictaient. Cela me semblait être le comportement banal de quelqu’un qui, sans surestimer ce qu’il offrait, se sentait cependant légitime pour le proférer ou l’écrire. Il y avait, derrière cette normalité, à bien y réfléchir, sans doute l’espoir qu’on était attendu, que ce qu’on avait à dire, sans être forcément fulgurant, méritait au moins d’être lu ou entendu.

Pourtant cette « éthique du silence », correspondant à « une éthique de la mesure », m’a questionné, comme si elle touchait en moi une zone sensible et qu’elle représentait une aspiration secrète, un désir jamais assouvi, un regret de n’avoir su déserter l’expression publique ou médiatique au bénéfice d’un silence infiniment porteur de sens.

Mais pourquoi la mesure, une pratique de la nuance devraient-elles conduire au silence, à partir du moment où on s’imagine n’avoir pas à les répudier quand on s’exprime ? Pourtant je perçois clairement des séquences où, sur les réseaux sociaux, oralement ou par écrit, en peu de signes ou plus longuement, j’aurais peut-être dû arbitrer en faveur de l’abstention.

Exister c’est insister

Parce qu’on n’en savait pas assez. Parce que trop s’étaient déjà prononcés. Parce qu’on n’aurait rien ajouté d’essentiel à la masse déjà profuse. Parce qu’à aucun moment on n’était motivé par ce prurit irrésistible de l’adhésion ou de la contradiction, par l’enthousiasme ou l’indignation, par cette légère touche de conscience de soi vous faisant croire à une obligation impérieuse d’ajouter votre pierre. Parce que, surtout, j’avais un tempérament totalement étranger à l’allure d’un silence durable, à la politique du retrait et de l’effacement.

Parce que, pour moi, exister c’est insister et que si, au contraire, on a une vision aussi réduite de son rôle sur Terre et dans la vie, une si piètre conception de son utilité, on serait bien en peine de se juger nécessaire à soi et aux autres. Il faudrait alors se supprimer d’une manière ou d’une autre…

Je vais dorénavant m’attacher davantage, non pas à la mesure (qui n’est ni tiédeur ni faiblesse mais victoire contre l’outrance) mais à son éventuelle conséquence éthique : le silence. Il y a une morale qui prône la liberté d’expression, la volonté d’être soi.

Pourquoi pas une morale du silence éloquent ?

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Dans l’enfer ultraprogressiste

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Manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, Bordeaux, 25 novembre 2023 © UGO AMEZ/SIPA

À l’image du libéralisme, le progressisme a lui aussi ses « ultras ». Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes: hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi.


La mutation du concept de progrès en idéologie progressiste portait déjà en elle le ver du fanatisme. Non, toute nouveauté ne peut être sanctifiée, ni tout ce qui est ancien, bon à jeter aux orties ou à « déconstruire ». Il en va aujourd’hui du progressisme comme du libéralisme économique : parfois, trop, c’est trop. Obliger ainsi EDF à vendre à perte son électricité à des « concurrents » qui ne produisaient rien relevait du dogmatisme. Cet ultralibéralisme a désormais son pendant sociétal : l’ultraprogressisme. Ses sectateurs hurlent à l’énoncé suivant – « Tous les musulmans ne sont pas terroristes ; mais tous les terroristes sont musulmans » – mais applaudissent, émus, à cette affirmation : « Tous les violeurs sont des hommes donc tous les hommes sont des violeurs potentiels. » Les mêmes se battent contre l’expulsion de terroristes présumés, au nom d’un État de droit détourné de son objet. Défendre un seul individu, quitte à sacrifier l’intérêt de millions d’autres, constitue l’essence fanatique de l’ultraprogressisme – à l’instar « du monde rempli d’idées chrétiennes devenues folles », décrit par Chesterton.

Trouple infernal

Nos nouveaux gardes rouges intersectionnels font régner la terreur grâce à quelques tours de passe-passe simples et redoutables. Ils ont ainsi élargi le concept aussi généreux que dangereux du « Femme, je te crois » à toutes les communautés sexuelles ou raciales : « Membre d’une minorité, je te crois » est devenu leur credo. Écouter est une chose ; croire sur parole en est une autre. C’est pourtant bien une nouvelle Loi des suspects dont ils ont établi le principe, puisque la contrepartie de cet axiome s’écrit « Membre de la majorité (sexuelle, raciale), tu mens. » Un dogme totalitaire qui crève les yeux, une tyrannie bienveillante au nom d’un humanisme dévoyé. Désormais, « Émeutier issu de la diversité, ta rage est légitime » ; tandis qu’« Émeutier blanc anti-immigration, tu mérites la prison ».

Tout membre de la majorité se voit, au demeurant, sommé d’observer chaque mantra progressiste, sans exception. L’adhésion des minorités aux injonctions LGBT, féministes, écologiques, antiracistes ou animalistes se fera, en revanche, « à la carte ». L’antisémitisme des cités ? Silence gêné. L’homophobie des « quartiers » ? Un (petit) ange passe. Le voile ou l’abaya ? Une liberté de femme pudique. L’excision ? Vous pouvez répéter la question ? Les souffrances animales de l’abattage rituel ? Toute critique relèverait de l’islamophobie. Ces millions de moutons égorgés ne sont rien en comparaison… des quelques centaines de taureaux sacrifiés dans les arènes par des Blancs réactionnaires. La corrida devient, à les écouter, un ignoble génocide alors que l’Aïd figurerait un aimable enrichissement diversitaire. L’ultraprogressisme ressemble à un trouple infernal entre Tartuffe, Ubu et Orwell.

La soif de justice affichée par ses (gentils) thuriféraires désireux de défendre chaque victime du racisme ou du (méchant) patriarcat, n’a de limites que l’origine ethnique du coupable. Les contorsions auxquelles se livrent les néoféministes pour relativiser le sort des Israéliennes violées ou celui des Iraniennes voilées portent un nom : l’hypocrisie. La traite de jeunes blanches à Telford par des Pakistanais, les viols de Cologne ou le harcèlement de rue à La Chapelle ne les avaient pas plus intéressés. Prompte à dénoncer de fantasmatiques micro-agressions nécessitant l’abri d’un « safe space », vigilante face au moindre « mégenrage », ulcérée par la mention de « mademoiselle » dans un formulaire, la nébuleuse ultraprogressiste ne voit rien, n’entend rien dès que les agresseurs ne sont pas de type caucasien. Leur « justice » a le goût de la revanche et l’odeur peu ragoûtante de la vengeance. Vengeance contre l’Occident. Vengeance contre le mâle. Vengeance contre l’hétérosexuel. Vengeance contre le Blanc. Vengeance contre le juif. Les autres, les « racisés » ne peuvent être coupables de rien, tandis que, symétriquement, la majorité « non racisée » ne peut jamais être totalement innocente. La théorie délirante du racisme systémique prend sa source dans ce raisonnement et le prétendu privilège blanc, c’est désormais celui d’être l’éternel criminel, a minima « the usual suspect ». Avoir systématiquement tort en fonction de sa pigmentation, n’est-ce pas la définition même du racisme et l’instauration d’une hiérarchie raciale dont le progressisme devait à jamais nous débarrasser ?

Escroquerie à l’émotion

Notre protection sociale, nos lois, nos droits de l’homme (pardon nos droits humains) se voient méthodiquement détournés contre l’intérêt général. Non, en Méditerranée, les ONG ne secourent pas des marins victimes d’une fortune de mer mais des naufragés volontaires, abusant d’une solidarité ancestrale. Mettez le feu à votre maison et essayez de vous faire indemniser par votre assureur. Il vous expliquera la différence entre un accident et une fraude. L’ultraprogressisme pratique l’escroquerie à l’émotion, une technique bien définie, dans un autre contexte, par le fisc et durement sanctionnée : l’abus de droit. Mais attention : le cadavre du petit Aylan, c’était de l’émotion légitime ; le meurtre de la petite Lola, une ignoble récupération.

Le vocabulaire qu’impose le progressisme dans la sphère médiatique construit méthodiquement une prison mentale de laquelle on ne s’échappe qu’au prix du sceau infamant de l’extrême droite. Il en va ainsi du concept désormais admis d’islamophobie. La résistance des Français aux oukases religieux de l’Islam (voile, mixité, etc.) n’est pas une haine de l’Islam, mais une simple exigence d’intégration de la part de la majorité. En quoi ce souhait de respect des us et coutumes d’un des pays les plus accueillants de la planète pourrait-il être assimilable à de la haine ? Ingratitude et passions tristes font ainsi le miel de l’ultraprogressisme qui marche main dans la main avec le communautarisme. Conséquence de ce travail de sape, l’intérêt général disparaît au profit unique des droits individuels et des communautés. L’État-providence n’y survivra pas.

Cette dérive fanatique du progressisme signe en effet, et la fin de l’égalité des citoyens, et celle de la solidarité nationale (la Nation, quel mot horrible !). Bref, la fin du progressisme en son nom.

Lepénisation de Mélenchon, acte 2

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Marseille, 21 septembre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Après avoir joué pendant des années la carte de l’intransigeance vis-à-vis du pouvoir, le leader des Insoumis se vante désormais d’exercer, en matière économique, une certaine influence sur le gouvernement. Exactement comme le RN en matière migratoire.


Pour lui, c’est carrément « l’agonie d’une époque ». Dans un texte mis en ligne hier sur son blog personnel, Jean-Luc Mélenchon a salué le projet du gouvernement d’augmenter les impôts des contribuables disposant des plus hauts revenus et des entreprises les plus prospères.

« Victoire idéologique »

« Le budget Barnier reconnaît notre victoire idéologique, pour nous antilibéraux, se réjouit-il dans ce texte incroyablement apaisé. L’impôt sur les riches est réhabilité et celui sur les superprofits des entreprises aussi. (…) Peu importe les montants : c’est le raisonnement qui compte. (…) Michel Barnier a enterré les interdits et les tabous du libéralisme des gouvernements macronistes. » N’en jetez plus !

Ainsi donc, le général Tapioca continue de se lepéniser. Mais cette fois-ci, ce n’est plus à Jean-Marie qu’il emprunte ses méthodes. Finis les provocations éruptives et les sous-entendus essentialisants. Désormais c’est à Marine Le Pen que Jean-Luc Mélenchon essaie de ressembler. La patronne du RN ne s’était-elle pas elle aussi réjouie d’une “victoire idéologique” lors du vote de la loi Immigration l’hiver dernier ?

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Le leader des Insoumis vient en réalité de rentrer dans une nouvelle séquence. La motion de censure du Nouveau Front populaire ayant été rejetée, il ne peut plus hurler – au mépris du bon sens le plus élémentaire : « On nous a volé l’élection ! »  Le processus de destitution du président ayant été abandonné la semaine dernière, il ne peut davantage promettre – contre toute évidence : « On va virer Macron ! » Dès lors, le voilà qui se résout à faire de la politique de façon plus classique. Comme Marine Le Pen et ses députés cravatés, ses paroles sont à présent celles d’un opposant qui instaure un rapport de force rationnel et civilisé avec le pouvoir.

Barnier Sanders : tax the rich !

Quelles sont les armes – enfin loyales – dont il dispose pour infléchir les décisions de Michel Barnier ? Ici s’arrête l’analogie avec le RN. Car Marine Le Pen brandit l’épouvantail de la censure au parlement pour se faire entendre, obtenant notamment que le ministre de l’Intérieur remette sur l’ouvrage une loi Immigration, Mélenchon, lui, agite plutôt la menace du mouvement social et du blocage du pays. Et cela paye ! Effrayé à l’idée de vivre l’enfer d’Alain Juppé en 1995, le Premier ministre a donné quelques gages à la gauche dans sa proposition de budget.

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Et les Français dans tout cela ? Malgré ce que prétendent la plupart des commentateurs de la grande presse, on peut se demander s’ils n’ont pas obtenu en somme ce qu’ils voulaient : un gouvernement centriste, présentable et policé, sachant toutefois écouter les demandes de redistribution de la gauche et les demandes de contrôle aux frontières de la droite. Michel Barnier fait en somme penser à ces couples bourgeois qui doivent se résoudre, en gardant leurs bonnes manières, à une certaine infidélité, pourvu que celle-ci ne soit pas trop exposée.

Responsables, mais plus coupables

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La ministre de l'Éducation nationale Anne Genetet en déplacement à Tourcoing, où une enseignante a été agressée par une élève islamisée au lycée Sévigné, 10 octobre 2024 © Christophe Forestier/SIPA

Tourcoing / voile: l’incident survenu il y a une semaine démontre que les élèves musulmans sont de plus en plus nombreux à «tester» l’institution scolaire.


Le 7 octobre dernier, dans un lycée de Tourcoing, une élève a giflé une enseignante qui lui demandait de retirer son voile. Cette élève venait de se changer et s’apprêtait à quitter l’établissement. Elle a essayé de traverser le lycée voilée, jouant avec les limites, tentant de grignoter petit à petit le cadre de la laïcité. Il s’agit d’ailleurs là d’une transgression qui se répand dans les établissements scolaires.

L’enseignante aurait pu par lassitude, par renoncement, par peur, passer outre: ce n’était pas son élève, elle allait de toute façon remettre son voile dans la rue quelques minutes plus tard, elle n’était pas la seule à agir de la sorte.

Mais ce professeur a fait preuve de courage, de professionnalisme et surtout du sens de la responsabilité dont le manque dramatique provoque l’effondrement de l’autorité à l’école. Elle s’est montrée responsable de notre École. Responsable et respectueuse, non pas de passe-droits associés à une communauté particulière, mais de l’humanité des élèves, de leur intelligence et de leur capacité à être, devenir ou rester des enfants de la République.

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L’offensive islamiste gagne du terrain dans notre pays. Les professeurs se censurent par crainte des incidents ou des agressions. Mais aussi par un étrange sentiment de culpabilité, ils redoublent de précautions et de bienveillance. Nous nous sommes tous demandé à un moment ou un autre si nous n’allions pas heurter la sensibilité de nos élèves musulmans. Le sort tragique de Samuel Paty, dont nous commémorons pour la quatrième fois la mort en est l’illustration. Craignant d’offenser, il a proposé aux élèves qui pensaient être choqués de détourner le regard lors de sa séance sur la liberté d’expression. Le propos est revenu aux oreilles de l’élève absente qui a senti là une faiblesse et s’est engouffrée dans la faille. Elle a menti et, sanctionnée à ce moment-là par le collège, s’est servie de l’anecdote pour se dédouaner de ses propres agissements, inversant et transformant l’intention bienveillante en acte discriminatoire. On connaît la mécanique infernale qui a suivi.

Il n’y a pas de sensibilité particulière liée à une religion. Il n’y a que la colère de ceux qui constatent qu’on ne les craint pas assez, ou sentent qu’on veut les préserver comme une catégorie à part. Ils manipulent ainsi cyniquement la culpabilité fondamentale de bien des enseignants qui, se pensant privilégiés, pensent aussi que l’islam est intrinsèquement la religion de l’opprimé.

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Les foules écumant de rage qui demandent la tête de Salman Rushdie ne sont pas composées de pauvres âmes sensibles blessées, mais de fanatiques qui n’ont qu’un but : répandre et imposer la charia à tous et à chacun.

La logique des élèves qui se prétendent offensés est la même. Ils ne sont pas blessés, mais instrumentalisés par une idéologie totalitaire et mortifère.

La réponse doit évidemment être globale et politique.

Mais nous, professeurs, devons avoir à l’esprit la conduite exemplaire de notre collègue de Tourcoing et le souvenir lancinant de Samuel Paty, pour nous sentir responsables, mais plus coupables.

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À Garnier, une soirée, deux chorégraphes

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Roxane Stojanov, Loup Marcault-Derouard et Takeru Coste © Ann Ray / Opéra national de Paris.

La soirée Forsythe-Inger n’est pas vraiment une réussite. Mais les œuvres des chorégraphes américain et suédois sont surtout portées par le talent remarquable des danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris. De grands artistes.


Il fut un temps où William Forsythe, devenu philosophe, semblait ne plus pouvoir agiter ses danseurs sans se référer à Lyotard, Derrida ou Bachelard. Il avait créé quelques ouvrages magnifiques, fait exploser la danse académique en lui conférant une modernité sauvage et éblouissante dans la veine de ce qu’avait lancé avant lui l’Américaine Karole Armitage. Le juste succès suscité par ses chorégraphies spectaculaires et ravageuses et la gloire qui s’en suivit lui donnèrent à penser qu’il lui fallait absolument rehausser son statut d’artiste en vue par une dimension d’intellectuel pensant. C’est alors qu’il entreprit des pièces d’un mortel ennui, d’une prétention risible, agrémentées de propos informes et sibyllins. Signées par un autre que lui, elles auraient fait fuir les foules, au Châtelet où il se produisit alors. Mais comme elles étaient frappées de son nom, il y eu longtemps des gens pour continuer à crier au génie tout en s’emmerdant ferme avec l’aveuglement féroce de ceux qui se refusent à voir la réalité quand elle distord leurs convictions frelatées.

Bref, enferré dans un délire doctrinaire, Forsythe était devenu insupportable.

Pom-pom girls

Dans Blake Works I, reprise d’une pièce de trente minutes créée en 2016 pour le Ballet de l’Opéra de Paris, il a abandonné ses dérives cérébralisantes. Secondé de deux assistants au moment de l’élaboration de la chorégraphie, il donne tout au contraire dans une sorte d’américanisme facile, de divertissement racoleur.

Roxane Stojanov dans le ballet « Rearray » (William Forsythe) Photo : Ann Ray OnP

On croirait tout d’abord y voir du mauvais Balanchine. Mais bientôt, on glisse dans un douteux climat yankee, dans un univers de pom-pom girls fait exprès pour le Texas ou l’Oklahoma. Les danseurs de l’Opéra, une vingtaine ici, paraissent beaucoup aimer ce qu’ils dansent. Ou du moins ils s’en divertissent. Et le public aussi semble se régaler de cette aimable insignifiance qui n’en demeure pas moins quelque chose de si difficile à exécuter qu’il faut d’excellents interprètes pour en soutenir les difficultés techniques.

Un monde rustique

Dans un genre radicalement différent, Impasse, du Suédois Johan Inger est la reprise d’une pièce créée en 2020 pour les jeunes danseurs du Nederlands Dans Theater. Elle veut évoquer un thème grave, parfaitement pessimiste, sinon tristement réaliste. Mais malheureusement peu compréhensible au vu de la chorégraphie. On y sent, tout au début surtout, l’influence de Birgit Cullberg et de Mats Ek, les deux grandes figures de la danse suédoise de la seconde moitié du XXe siècle. Ce côté terrien, paysan, où les protagonistes semblent lourdement attachés à la glèbe. C’est une lointaine variante de cet expressionnisme né jadis dans l’Allemagne de Weimar et qui passa plus tard en Scandinavie par l’intermédiaire de Birgit Cullberg, laquelle, à l’instar de Pina Bausch plus tard, avait été l’élève du chorégraphe Kurt Jooss qui ne dut son salut qu’en fuyant son pays passé sous le joug des nazis.

Inger, qui a d’autres fois eu la main beaucoup plus heureuse, s’attache à une gestuelle très populaire, à un monde rustique qui semble hanté de maléfices, fait intervenir des figures de carnaval dans une sorte de bacchanale peu convaincante. Cela se regarde sans grand intérêt et l’on n’est pas fâché quand ça se termine. On est en revanche en droit de penser qu’il n’était vraiment pas indispensable de faire entrer cette chorégraphie au répertoire du Ballet de l’Opéra.

Des danseurs d’aujourd’hui

Mais il y a tout autre chose à voir dans cette soirée donnée à l’Opéra. Un ouvrage, de Forsythe encore, qui ouvre la soirée. Un double duo, réduit à un trio du fait, semble-t-il, de l’empêchement de l’une des protagonistes. Une réduction exécutée avec un tel savoir-faire par ceux qui en ont eu la charge qu’on ne peut qu’en admirer la réalisation.

Les premières images de Rearray sont de l’hyper-Forsythe. L’auteur y déploie un vocabulaire d’une virtuosité étourdissante qu’affrontent des danseurs forcément exceptionnels. Et il faut l’être pour soutenir de telles difficultés techniques à un rythme infernal. La pièce est magnifique, elle découvre des figures d’une qualité rare, à l’exemple de cette construction ingénieuse à quatre bras répétée à plusieurs reprises, et ses interprètes sont surprenants.

Une femme, Roxane Stojanov, deux hommes, Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard dont les noms seuls reflètent l’actuelle variété des origines des danseurs de l’Opéra : ces derniers, surtout, semblent avoir perdu ce profil, ce style « danseur de l’Opéra » qui dénaturaient si souvent les œuvres contemporaines quand elles entraient au répertoire du Ballet. Leur énergie, leur puissance, leur état d’esprit, leur corps même paraissent s’être adaptés à l’évolution du temps. Ils excellent dans cette chorégraphie parce qu’ils la servent avec virtuosité, certes, mais aussi, sinon surtout, parce qu’il n’existe plus de hiatus entre la nature de l’œuvre et celle de ses interprètes. Sans doute ont-ils été choisis à cette fin. Ils sont effectivement des exemples extraordinaires de l’évolution des esprits et de la plastique des danseurs au sein d’une compagnie de danse académique, et apparaissent pleinement comme des artistes d’aujourd’hui.    

Soirée William Forsythe – Johan Inger avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Opéra Garnier. Jusqu’au 3 novembre 2024.

Antifa de papier glacé

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DR.

« Du sérieux dans la frivolité », voilà la devise de l’hebdomadaire Elle à son lancement. Oui, mais c’était à son lancement…


L’hebdomadaire Elle paraît pour la première fois le 21 novembre 1945, peu après l’adoption du droit de vote des femmes en France. Ce journal de mode qui donne la parole aux figures tutélaires du féminisme comme Simone de Beauvoir ou Marguerite Duras entend mettre la femme « sur un pied d’égalité avec l’homme » tout en offrant « du sérieux dans la frivolité ».

Las ! Depuis que le magazine soutient les néo-féministes qui conflictualisent les rapports homme-femme et désignent à la vindicte populaire celles qui n’ont pas la bonne orientation politique, le projet a fait long feu.

Ainsi, le numéro du 5 septembre 2024 recense les principales « influenceuses de l’extrême droite » dont le discours serait « xénophobe et antiféministe ». Les qualifiant de « jeunes, jolies et fachos », l’article les associe au succès électoral du RN qu’elles auraient aidé à dédiaboliser. De très doctes chercheurs (de gauche) sont convoqués pour rappeler les heures sombres de l’histoire. Thaïs d’Escufon, ancienne égérie de Génération identitaire, préconise-t-elle le retour aux rôles traditionnels des sexes ? Cela ne peut que relever de la manière dont « les régimes fascistes ont pensé les rapports hommes-femmes ». Tatiana de Ventôse, qui aurait renié la gauche pour devenir « populiste », dénonce-t-elle le monde de la finance ? Cela ne peut qu’évoquer les tropes antisémites du XIXe siècle. Toutes ont suivi une mauvaise pente. Marguerite Stern, co-auteur de Transmania. Enquête sur les dérives de l’idéologie transgenre, serait passée « des FEMEN à la transphobie ». Mila, symbole de la liberté de blasphémer, serait passée « du trauma à la haine ». Si Alice Cordier, enfin, présidente du Collectif Némésis, pointe une corrélation entre « harcèlement de rue » et « hommes issus de l’immigration », c’est qu’elle a dérivé de « l’obsession sécuritaire au racisme ». Après la publication de l’article, la jeune femme a accusé le magazine de lui mettre « une cible dans le dos ». En 2019, Elle a obtenu le statut de « publication d’information et de politique générale » ; sérieusement ? Du « sérieux dans la frivolité », on est passé à la propagande haineuse.

Vive le populisme du quotidien!

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Marcel Gauchet © Hannah Assouline

Les Français sont en train de prendre conscience qu’après avoir bataillé pour se prémunir contre les « abus de pouvoir » de toute sorte, leur société est aux prises avec des « abus de droit ».


Il y a des moments d’actualité où le concept rejoint le tragique, où la réflexion de haut niveau s’accorde avec le bon sens triste et résigné. Où une étincelante analyse de Marcel Gauchet dans Le Figaro est confirmée, à hauteur de douleur – « toute ma vie a volé en éclats » – par la mère de Lola, deux ans après le meurtre de celle-ci.

Mais avant, sur un mode réduit, l’affrontement de deux France : celle du Monde qui dénonce « l’idéologie de Bruno Retailleau » et celle ignominieuse qui fait vivre un calvaire au jeune Nathan âgé de 15 ans parce que sur son compte TikTok il a partagé une vidéo où il pose avec Marine Le Pen. La haine des réactions à son encontre dépasse l’entendement. Tous les boucliers naturels ont sauté : le respect du troisième âge, la protection de l’enfance.

Pour Le Monde, avoir des idées conservatrices, une pensée structurée, la mettre en application sur le plan régalien à partir de l’impact d’un réel qui chaque jour démontre sa dangerosité, c’est « l’idéologie de Bruno Retailleau ». La seule idéologie qui vaille est celle de gauche : brassant des naïvetés et des illusions contre la réalité.

Revenons à Marcel Gauchet qui dans son nouveau livre Le Noeud démocratique, définit le clivage politique de notre temps comme « l’opposition entre néolibéralisme et populisme ». Le premier a consisté longtemps à « mettre à l’abri les droits personnels de l’emprise abusive du politique » quand le second doit viser aujourd’hui à « réarmer les libertés du bras d’une autorité politique ».

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Marcel Gauchet réhabilite le populisme qui « dans sa masse est pour l’efficacité de l’État dans le respect du droit. La sensibilité populiste ne comprend pas que les deux soient incompatibles. La non-exécution des OQTF, voilà un thème typique de l’exaspération populiste ». Il met en garde sur une dérive qui nous a conduits « après avoir lutté contre les abus de pouvoir, à nous mettre aux prises avec des abus de droit ».

Rien n’est pire, au quotidien, que de se priver de la parole douloureuse et dramatiquement irréfutable de citoyens qui ont vu leur vie sombrer parce que le crime a frappé, quand ils attendent le jugement et des réponses à leurs questions. Je crains que leur espérance judiciaire ne soit déçue.

Il n’empêche que la mère de Lola touche nos esprits et nos cœurs quand elle énonce ce que la tragédie lui a enseigné : « Malheureusement on est impuissant. On ne peut rien faire contre tous ces drames. C’est la France… J’espère qu’un jour les choses bougeront et que tout sera fait pour lutter contre toute la violence et l’insécurité qu’il y a dans ce pays. Il faut reconnaître que c’est de pire en pire… On a l’impression qu’on enlève tout aux policiers qui sont là pour nous protéger, alors que les voyous sont récompensés. Ce n’est pas normal. Il faut aussi que les gens qui n’ont rien à faire chez nous restent chez eux ». C’est la traduction simple et émouvante du populisme que Marcel Gauchet a défendu. Un populisme du quotidien.

Et faut-il vraiment, pour que la gauche politique et médiatique se rengorge, après un tel témoignage, s’en prendre à Bruno Retailleau qui n’a que le tort de penser et d’agir comme une immense majorité le souhaite ?

Le noeud démocratique: Aux origines de la crise néolibérale

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Du côté de la vraie vie

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DR.

Loreux. Petit village au cœur de la Sologne. Ce Loir-et-Cher où, dixit Michel Delpech, «  ces gens-là ne font pas de manières ». Ils font bien mieux. Loreux, disais-je, deux cent vingt-quatre habitants au dernier recensement. Une chorale, Chœur et Partage. Quelque soixante-dix choristes. Le ratio en lui-même a de quoi impressionner. Surtout dans un moment où, un peu partout, nombre de groupes chantants sombrent faute de combattants. Première cause d’étonnement, donc, l’effectif. Le second est, sans conteste, le niveau musical, le répertoire, sa diversité.

Même Monsieur le maire donne de la voix

À l’origine de l’aventure, Nadia, ce genre de personne à qui rien ou pas grand-chose ne résiste et que la perspective de soulever les montagnes n’effraie guère. Lorsqu’elle a lancé l’idée d’une chorale dans un si petit bourg, il y a eu ceux qui ont haussé les épaules, et ceux qui ont  ricané doucement. Aujourd’hui, tout le monde est là pour applaudir. Quand je dis tout le monde, c’est bel et bien tout le monde à travers la Sologne, voire au-delà. Il y a de quoi.

Répétitions, les lundis, en fin de journée, début de soirée. Ils ont de vingt à quatre-vingt-huit ans et viennent de dix-sept communes et quarante kilomètres à la ronde. En toutes saisons. L’hiver, le retour, la nuit, gare au sanglier qui traverse la route. L’animal n’est pas connu pour se soucier particulièrement de ceux qui vont chanter ou en reviennent. Juste retour de l’élu à ses électeurs, le maire de la commune donne aussi sa voix.

De gauche à droite : Denise, Michel, Nadia. Photo : DR.

Mise en condition corporelle pour commencer la répétition, mouvements divers, car chanter mobilise tout le corps.  Puis vocalises. Puis l’attaque de l’œuvre proprement dite. Décryptage du texte phrase à phrase. Viennent ensuite les premières approches chantées. Pupitre après pupitre. Pour la répétition à laquelle j’assiste, il s’agit d’un chant orthodoxe russe, Tibie Païom. Quatre voix mixtes. Tout le contraire de la facilité. Le béotien que je suis en la matière ne s’égarera pas en données, en détails qui le dépassent. Juste confesser ma surprise, très belle surprise. Bien vite, on perçoit qu’on n’a pas affaire au genre de chorale petit bras où on trousse la chansonnette à la va comme j’te pousse. Là, non. Du musical élevé, du sérieux, du lourd comme on dit. Bref, du beau. D’un seul coup la salle des fêtes de Loreux se fait chœur d’église. Ne manquent que l’encens, le pope, sa longue barbe, les ors slaves. La répétition se poursuit avec l’approche du premier couplet d’une chanson d’Obispo, L’Envie d’Aimer. Diversité oblige, voulue par le chef de chœur. Parlons-en, du chef de chœur, Michel – Mimi – Renault ! Lui et son épouse, Denise, sont à la manœuvre (bénévolement, faut-il préciser). Que dire d’eux si ce n’est que nous sommes là en présence de fieffés allumés. Ils ont cela en commun avec Nadia. Ils sont en musique comme on est en religion, prêchent la bonne note comme d’autres la bonne parole. Chœur et Partage n’est pas le seul lieu où s’exerce leur sacerdoce laïque et joyeux. Le plaisir est en effet le maître mot, d’où le souci de diversité dans le répertoire, pour la satisfaction des chanteurs d’une part, et bien sûr du public. La conviction qui prime ici est que le beau peut et doit être populaire.

Quand le chant se fait antidote

Michel Renault, de par son parcours, inspecteur d’académie, agrégé de musique passé par l’exigeante et prestigieuse Schola Cantorum (pour ne citer que ces éléments d’une trajectoire exceptionnelle) pourrait fort bien – et très légitimement – s’en glorifier, prétendre ne s’intéresser et ne s’investir que dans l’élite chimiquement pure. Tel n’est pas son propos. Le « partage » de l’intitulé de la chorale n’est pas ici un vain mot. Il est de pratique. De pratique quasi quotidienne. Car il y a certes les nombreux concerts, les prestations qui enjolivent la vie d’aînés dans les EPHAD, les répétitions, mais aussi les concerts des chœurs d’enfants qu’il a créés dans les écoles, parfois dès la maternelle. Il y court de répétition en répétition son piano sous le bras. Mimi dirige tout cela avec une tranquille et souriante autorité. L’assurance de ceux qui savent parfaitement où ils vont et où ils entendent emmener leur monde.

Justement, le mardi, son monde de Chœur et Partage – du moins les membres qui le peuvent – il les emmène à l’hôpital psychiatrique de jour de Romorantin-Lanthenay (41) où un autre ensemble vocal s’est constitué. Avec à la clef, me confie une soignante de l’établissement, des résultats plus que notables sur l’état des patients. Parmi ceux-là, une jeune femme jusqu’alors prostrée, murée dans sa tête, dans son corps ingrat, et qui, peu à peu, s’est éveillée. Aujourd’hui, elle est soliste… Une preuve de plus que le beau peut donner – ou redonner – du sens à la vie.

Le beau mis en partage via le chant choral, l’antidote miracle contre la morosité des temps, les vilenies du monde, les emmerdements grands et petits de l’existence. Les soixante-dix choristes de Chœur et Partage, et sans doute leurs semblables à travers le pays, ne démentiront pas. Ils se rassemblent, chantent. Heureux. Ici, à quatre voix mixtes mais d’un même cœur. Ainsi font les vrais gens dans la vraie vie.

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Fan de cette nana-là!

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La chanteuse Nana Mouskouri photographiée en 1992 © SOULOY FREDERIC/SIPA

Monsieur Nostalgie nous parle aujourd’hui d’une chanteuse grecque qui a fêté hier ses 90 ans et dont la voix est une promesse de l’aube


Elle est arrivée chez nous, sur nos écrans en noir et blanc, il y a si longtemps maintenant. C’était au début des années 1960. Elle débarquait d’Athènes mais son nom circulait déjà en Allemagne. Un jour, elle a posé ses valises à Paris au moment où les yéyés bégayaient à la radio et où les grandes voix d’avant-guerre s’étaient tues. Piaf n’était plus parmi nous. Alors, nous ne nous sommes pas méfiés de cette cousine de province, Callas des Ring parade, polyglotte de la variété européenne à la raie au milieu aussi fade qu’un député centriste au perchoir. Sur scène, elle portait d’épaisses montures noires comme un chevalier enfilerait son heaume avant un tournoi ou un tour de chant. Elle semblait timide et effacée, « un peu terne » comme l’avait qualifiée la presse allemande à ses débuts avant de la glorifier. À cette époque lointaine, elle avait quelques kilos en trop qui ne cadraient pas avec les standards de son milieu. Elle n’affichait pas la silhouette agressivement carénée des baby-dolls du microsillon que les imprésarios imposent, par contrat, à leurs jeunes vedettes. Pour une future star de la chanson, son allure générale intriguait, laissant presque à désirer. Elle jouait profil bas avec son col roulé et son sage collier de perles. On la voyait même en pantalon dans la rue. Cette rose blanche un peu fanée née en Crète n’affolerait pas la billetterie des zéniths. Comment pourrait-elle remplir l’Olympia ou le Carnegie Hall ? Sur le papier, « ça ne marchera jamais ! ». Et puis Nana a chanté comme Rabbi Jacob a dansé. Aucun pays au monde n’a alors pu résister à l’étésien, ce vent des cyclades qui souffle durant l’été avec la force d’un dieu consolateur. La voix de Nana a la mélancolie des comptines d’enfance et la puissance des amours impossibles. Elle exprime ce qu’il y a de plus secret en nous. Elle trouve le chemin vocal qui nous mène vers la lumière, une sorte d’ascenseur intime vers les cimes indicibles. Elle surplombe nos chagrins de sa grâce cristalline. Nana a la clé des existences verrouillées, elle crochète les âmes rétives de sa puissance mythologique. « Je ne suis pas belle mais je sais chanter » avoua-t-elle dans une interview. Elle se trompe car lorsque l’on chante comme elle, que l’on possède ce don presque irréel d’exprimer la musique et les mots, sa beauté réservée irradie, nous submerge, nous nous soumettons alors à son fil d’Ariane. Comme si la pudeur et le brio s’enroulaient autour de sa gorge pour dénouer tous nos maux. Avec elle, les soirées ont des parfums d’éternité. Cette mezzo-soprano aura vendu plus de 300 millions de disques et s’est produit partout où la musique ne connaît pas de frontières. Nana se moque des chapelles, des castes et des petits arrangements entre amis. Elle ne pratique pas l’audio sélective, elle chante le blues et le jazz comme sa grande sœur Ella Fitzgerald ; elle ne ferme aucune porte artistique par idéologie, elle excelle dans le lyrique et dans le folklore de son pays, elle adopte tous les styles, le swing de Quincy Jones et de Michel Legrand aussi bien que l’emphase prophétique de son compatriote Demis Roussos ; le sentimentalisme ne lui fait pas peur comme les notes perchées, c’est l’essence même d’une chanteuse populaire, chanter et encore chanter, partout, sur les plateaux de la ZDF, à la BBC ou chez les Carpentier, pour un défilé du 14-juillet ou un concert pour la paix. Pour une série télé à succès ou une opérette (sans lunettes) avec son ami de toujours, le fulgurant Serge Lama. Tous ont voulu accrocher leur voix à la sienne, ne serait-ce que pour former un duo éphémère. Le plaisir de goûter à son timbre si particulier et se mesurer à cette professionnelle toujours sur la retenue, donc déstabilisante. Voix contre voix. Soupir contre soupir. Grain contre grain. Julio Iglesias, Charles Aznavour, Harry Belafonte et même Alain Delon ont relevé ce défi. Nana demeure la taulière multilingue de notre jeunesse. Elle illustre l’onde du temps qui passe. Elle possède le charisme des êtres discrets et donc chers à notre cœur. Bon anniversaire à elle !

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Eden et Greta

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À gauche : la militante islamo-gauchiste suédoise Greta Thunberg à Milan, 11 octobre 2024. À droite : la chanteuse israélienne Eden Golan à New York, 7 octobre 2024. © Claudio Furlan/AP/SIPA Ron Adar/Shutterstock/SIPA

Greta Thunberg et Eden Golan sont deux jeunes femmes qui ont attiré l’attention de l’opinion mondiale ces derniers mois, notamment lors du concours de l’Eurovision. Depuis, elles continuent à faire parler d’elles, chacune de leur côté. Derrière les visages de ces « héroïnes » des temps modernes, deux mondes irréconciliables.


On avait laissé la militante écologiste la plus célèbre de la planète, un keffieh noir et blanc autour du cou, défiler dans les rues de Malmö, dans son pays, où se tenait au mois de mai le concours de l’Eurovision 2024. Alors que l’armée israélienne menait une offensive terrestre à Gaza, après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, Melle Thunberg avait rejoint le cortège de manifestants protestant contre la participation de la représentante d’Israël, Eden Golan, à la plus célèbre compétition de la chanson.

On ignore si la chanteuse israélienne a pu croiser l’activiste suédoise aux abords de la Malmö Arena. La plupart de temps, Melle Golan est restée confinée dans son hôtel, et ses rares sorties pour les répétitions au concours ont été accompagnées par des manifestations d’hostilité de la part de certains concurrents ou encore par les sifflets d’une partie des spectateurs. On retient surtout que la prestation de la jeune Israélienne avec la chanson « Hurricane » a véritablement ému le public européen. Les habitants de 15 pays sur 25 l’ont même placée en première position, y compris… la Suède, pays dont le gouvernement est traditionnellement très critique à l’égard de la politique de l’État hébreu. Il faut croire que la voix protestataire de Greta n’a pas eu le même effet sur ses compatriotes que la voix du cœur d’Eden, finalement.

Le choix des armes

On a retrouvé l’égérie de la lutte pour le climat, au début du mois de septembre, à Copenhague, lorsque la presse a relayé les photos d’elle escortée par la police à la sortie de l’université de la capitale danoise. Avec un groupe de militants, Melle Thunberg avait occupé un bâtiment de cet établissement pour dénoncer le partenariat de celui-ci avec les institutions académiques en Israël. La posture anti-israélienne de l’activiste suédoise ne faisait alors plus de doute ; elle s’est inscrite dans la durée, en prolongement de la lutte contre les pollueurs et les climato-sceptiques. Greta associe Israël et son gouvernement aux forces qui nuisent à la planète et à la paix dans le monde. Et elle est loin d’être la seule…

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Presque au même moment, Eden Golan a donné de ses nouvelles dans les médias israéliens. La chanteuse a annoncé qu’elle allait commencer cet automne son service dans l’armée de Tsahal. Auréolée de son succès à l’Eurovision, Melle Golan n’a pas cherché à échapper à son devoir civique, surtout en cette période si éprouvante pour sa patrie. « J’espère pouvoir chanter pour les soldats, leur apporter de la joie… J’ai des frissons en pensant à ça », a-t-elle déclaré au site d’information Ynet.

Détracteurs contre créateurs

Greta et Eden, nées la même année, en 2003, sont deux jeunes héroïnes du nouveau siècle, que le destin a voulu réunir cette année à Malmö pour mieux les opposer, pour faire d’elles les symboles de deux camps irréconciliables qui s’affrontent aujourd’hui partout dans le monde : le camp de ceux qui crient et le camp de ceux qui créent. Les premiers cherchent à déconstruire le patrimoine civilisationnel au nom d’une idéologie, les seconds essaient de l’enrichir et de le rendre meilleur, en écoutant leur cœur.

La passion pour l’écologie d’une adolescente mal dans sa peau, en difficulté à l’école, et atteinte d’autisme – tout ce que nous savons de l’histoire de Greta – avait de bonnes raisons d’émouvoir l’opinion publique. Après tout, les révolutions ont souvent été faites par les jeunes gens en quête de sens. Mais, son attitude accusatrice envers Israël, dans un conflit dont elle ne maitrise sans doute pas tous les tenants et aboutissants, trahit au mieux la récupération dont la jeune femme a été victime. Parmi les signataires de la toute première pétition contre la participation d’Israël à l’Eurovision publiée au mois de janvier 2024 dans le quotidien suédois Aftonbladet figurait Malena Ernmann, une chanteuse d’opéra bien connue en Suède, et qui n’est personne d’autre que la mère de Greta. C’était déjà Madame Ernmann qui avait lancé sa fille sur l’orbite du combat contre le réchauffement climatique en publiant, en 2018, un livre co-écrit par toute la famille et intitulé « Scènes du cœur ».

Derrière chaque enfant, il y a un parent

Le mouvement de libération de la parole des femmes nous révèle chaque année les cas d’abus sexuels de jeunes femmes par des hommes plus âgés, à travers, notamment, des exemples de personnalités célèbres, comme Brooke Shields ou Judith Godrèche en passant par Flavie Flamant. L’approbation, même tacite, de leurs mères, fut le facteur déterminant dans la mise en relation des adolescentes avec les pygmalions au comportement abusif. La mère Thunberg a fabriqué une « serial » militante, sans doute avec les meilleures intentions, mais en privant sa fille de la possibilité de former sa propre vision du monde. L’emprise sur un enfant n’a pas toujours une dimension uniquement sexuelle, assurément.

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Tout en contraste, la jeune Eden a trouvé sa vocation à l’âge de 9 ans. Pour elle, ce serait la musique et rien d’autre. Elle compose, écrit les paroles de ses chansons, participe à des concours. Ses parents ne sont pas musiciens, mais ils font confiance à leur fille. Ils lui trouvent un professeur vocal et l’encouragent dans cette voie. À 12 ans, Eden participe à « The Voice » en Russie, où son père a été expatrié quelques années. Elle termine cinquième et subit déjà les attaques antisémites. La chanteuse de 20 ans arrive à l’Eurovision avec un solide bagage professionnel et la force du caractère forgé par son parcours. Le 11 mai 2024, Melle Golan bouleverse les téléspectateurs du monde entier par son talent et par sa remarquable résilience. À tel point que le maire de New-York, Eric Adams, proclame le 6 juin 2024 « Eden Golan Day » dans sa ville, à l’occasion d’une journée de levée de fonds pour une association de secours médical en Israël.

Début octobre, Greta s’est encore fait arrêter par la police, cette fois à Bruxelles, lors d’une manifestation contre les subventions aux énergies fossiles. Melle Golan, elle, a chanté le 7 octobre au siège des Nations-Unis, à New-York, en présence de l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon. Elle a pu enfin interpréter la version originale de sa chanson écrite pour l’Eurovision, « October Rain », refusée par les organisateurs du concours.

Eden et Greta, deux mondes que tout oppose, sont bien parties pour continuer de faire des apparitions, alors que l’histoire de notre siècle se déroule. Une Histoire, qui sera ensuite écrite, comme à son habitude, par le camp des vainqueurs…