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Claire Castillon: adolescence d’aujourd’hui, un état des lieux

Tssitssi, une jeune ado de seize ans, rêve d’une vie facile et luxueuse. Mais, elle est emportée par les vices des réseaux sociaux et ses dérives, et son rêve de maîtriser son destin et de s’affranchir des règles l’entraîne dans une spirale destructrice…


Le nouveau roman de Claire Castillon porte comme titre le surnom de son personnage principal, la petite narratrice perdue et déjantée de cette histoire d’aujourd’hui : « Tssitssi ». Elle habite Meudon chez son père et a seize ans. Visiblement, elle souffre d’un traumatisme qu’elle essaie de compenser en prenant des décisions radicales sur sa vie. Elle n’en mesure pas toujours les conséquences et elle a le chic pour se placer dans des situations inconfortables. Tssitssi devrait aller voir un psychothérapeute. Au lieu de quoi, poussée par son amie Poppée, elle décide de gagner beaucoup d’argent en acceptant de rencontrer des hommes mûrs attirés par les jeunes donzelles. Est-ce de la prostitution ? Elle prétend que non. Mais elle ne sait pas y faire, et ne connaîtra que des déboires.

Une vie sans efforts

Et pourtant, au départ, Tssitssi est confiante en son avenir, sûre de connaître bientôt le luxe et l’oisiveté, se promet-elle, et sans faire d’efforts. Elle décrit sa réalité du moment comme suit : « J’ai 1000 followers sur insta, et depuis que je pose en bikini sur ma photo de profil, ça monte. » Dans la ligne de mire de ses révoltes, il y a son père, « un curé quoi », et ses profs de lycée qui ne la comprennent pas : « Les profs m’accusent de ne pas m’intéresser aux cours et à la vie scolaire, et de pousser certaines amies vers des conversations inadaptées. En clair, le sexe. Comme si à seize ans on était censé penser au réchauffement climatique. » Imparable ! Claire Castillon excelle à personnifier sa petite héroïne, à la faire parler comme si ce qu’elle racontait était normal, alors que c’est pour le moins inconvenant et insolent. Mais Tssitssi ne s’en rend pas compte, ou plutôt elle revendique son choix vers ce qu’elle croit être sa liberté : « Moi, j’ai des objectifs clairs, annonce-t-elle, même si je suis sophistiquée. Je veux m’éloigner du tas. »

Le langage des ados

Dans ce roman de Claire Castillon, la langue et le style jouent évidemment un grand rôle, et permettent de suivre au plus près les pensées divagantes de la jeune narratrice. La romancière utilise avec une très grande dextérité l’argot du temps, et pas seulement, me semble-t-il, celui qu’utilisent les ados. Faire entrer l’argot dans une œuvre est toujours une prouesse, car il faut que ça ait l’air naturel. Certains auteurs par exemple y renoncent, alors que leur sujet s’y prête. Ce fut le cas de Samuel Benchetrit dans ses récentes Chroniques de l’asphalte, pourtant une suite de livres intéressants, mais dans lesquels les jeunes protagonistes de l’histoire communiquent dans une langue digne de l’Académie française. Au contraire, Claire Castillon n’hésite pas à recourir à la langue familière de sa petite ado, et aux mots qu’elle échange avec ses copines, notamment dans l’évocation de leurs activités peu recommandables. Ainsi, l’argot anglais sugar, qui donne sugar baby, définit bien ici le fait pour une très jeune fille de se prostituer avec un homme plus âgé qu’elle.

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Castillon l’écrit parfois « chougar » pour désigner le pédophile lui-même : « chougar daddy », avec un « ch » pour être plus proche de la véritable prononciation en anglais. Sugar est de toute façon très connoté. Il y avait chez les Rolling Stones la chanson « Brown Sugar » (1971), écrite par Mick Jagger, avec des sous-entendus salaces et peut-être racistes. Les Stones l’ont d’ailleurs retirée de leur répertoire (de même que la très troublante « Stray Cat Blues », 1968). Ceci est bien connu.

Sugar baby

Bref, Claire Castillon, nous faisant pénétrer dans l’âme troublée de son personnage, explique en mots choisis comment Tssitssi conçoit son activité de sugar baby auprès de ses clients. Ce qui donne des morceaux d’anthologie, comme : « Si ça lui plaît pas, il change de sugar baby en fait. Et moi je m’en fous, parce que c’est un pacte virtuel. Moi aussi je peux le quitter à tout moment. S’il veut pas m’offrir des soins de cryothérapie ou un week-end ayurvédique à Dubaï. » Hélas pour Tssitssi, tout ne va pas se passer aussi bien qu’elle l’espérait. Ses aventures « vénales » ne lui rapportent en fait pas grand-chose, excepté de déplorables troubles psychologiques que cette vie borderline entraîne, dès le début, chez elle. Sa personnalité se dédouble, elle devient de plus en plus étrangère à sa famille, à l’école qu’elle fréquente. Elle entre finalement dans un véritable délire schizophrénique, hantée qu’elle est par la mort de sa mère. Nous suivons la progression impitoyable de la folie de Tssitssi, et tout le talent de Claire Castillon est de nous rendre palpable cette tragique descente aux enfers digne de Sylvia Plath.

On retrouve dans Tssitssi la rare tonalité de l’indicible pour décrire la détresse d’un être humain maltraité par les conditions modernes d’existence. Il est vrai que Claire Castillon tend à son personnage une main secourable, pour lui redonner sa dignité. En ce sens, cette lecture a, sur le lecteur, un effet de catharsis, ou de résilience. La principale qualité de Tssitssi est celle-là, selon moi : nous ramener à la tempérance.


Claire Castillon, Tssitssi. Éd. Gallimard, 176 pages.

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Samuel Benchetrit, Chroniques de l’asphalte. Tome 4. Éd. Pocket, 312 pages.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le nouveau geste abject du Hamas, que même ses soutiens occidentaux les plus fervents ont eu du mal à accueillir pour les besoins de leur propagande, nous révèle combien la cause palestinienne est devenue une cause islamiste. Les Palestiniens sont maintenus par des institutions internationales dans un état de réfugiés permanents dont l’unique ambition est d’anéantir Israël. Comment leur permettre de créer leur propre Etat dans ces conditions?

Donald Trump met la pression sur les Européens qui sont sommés de faire beaucoup plus afin d’assurer leur propre défense. Emmanuel Macron est peut-être le dirigeant européen qui a le mieux compris le message du président américain. Lundi dernier, il a organisé une réunion de crise en invitant un certain nombre d’autres dirigeants à Paris. Mais jeudi soir, il a voulu donner aux Français un cours de géopolitique sur les réseaux sociaux, afin d’expliquer ce qui se joue entre Trump, Poutine, Zelensky et les autres. Pour Céline Pina et Eliott Mamane, le résultat a été catastrophique par la forme. Le président français a essayé d’exploiter le registre familier, comme Barack Obama savait si bien le faire, mais sans le talent de l’ancien président américain. Par un manque total de tenue, il a abimé la fonction qu’il est censé incarner et a échoué à inspirer confiance au peuple dont il a pour mission d’assurer la protection.

Enfants transgenres: «La controverse médicale n’a cessé de s’amplifier»

Entretien avec Caroline Eliacheff et Céline Masson, qui publient « Le Sermon d’Hippocrate, la Médecine sous l’Emprise des Idéologies » (L’Observatoire)


Causeur. Votre premier ouvrage La Fabrique de l’enfant transgenre, publié en 2022, avait rencontré un certain écho. Pourquoi déjà un second livre ?

Caroline Eliacheff et Céline Masson. Nous publions ce livre trois ans après le premier, et durant cette période, la controverse scientifique et médicale sur le sujet n’a cessé de s’intensifier. Il s’est passé beaucoup de choses et notamment pour nous après la publication de ce premier livre. Nous avons voulu en témoigner. Par ailleurs, de nombreux parents et adolescents nous ont parlé, ils nous ont décrit la manière dont ils ont été reçus dans des services spécialisés qui accompagnent les mineurs en questionnement de genre ou encore au Planning Familial voire par des associations militantes. Ces témoignages ont nourri notre réflexion.

Par ailleurs, nous participons à un réseau international de professionnels et chercheurs sur le sujet. Chaque jour, des informations nous parviennent : articles scientifiques, articles d’opinion, colloques… nous voulions en rendre compte. Mais, notre livre porte aussi sur des aspects socio-historiques et socio-politiques et pas uniquement médico-psychologiques.

Vous récidivez donc, en postulant que la pratique médicale contemporaine est influencée par des idéologies identitaires. Pourtant, la « dysphorie de genre », cela existe vraiment, non ?

Nous ne nions pas l’existence de la dysphorie de genre, nous la redéfinissons eu égard à notre expérience clinique, celle de nos collègues, aux témoignages des parents mais aussi aux articles scientifiques qui paraissent chaque jour et qui apportent un nouvel éclairage sur la transidentification des mineurs. Grâce à cette clinique et ces témoignages nous avons forgé avec nos collègues une nouvelle proposition clinique nommée ASP – Angoisse de sexuation pubertaire – qui permet de mieux comprendre les complexités psychologiques de ces adolescents et surtout adolescentes mal dans leur corps.

Nous constatons que l’approche médicale des mineurs en questionnement de genre s’est constituée sous l’influence de courants idéologiques qui privilégient une approche affirmative au détriment d’une évaluation approfondie de chaque situation.

Nous observons que l’approche médicale des mineurs en questionnement de genre s’est développée sous l’influence de courants idéologiques favorisant une approche transaffirmative, souvent au détriment d’une évaluation neutre, approfondie et rigoureuse de chaque situation.

A lire aussi, Jérémy Stubbs: Enquête sur le lobby trans: l’argent n’a pas de sexe

Ce que nous questionnons, c’est cette tendance à médicaliser trop rapidement des malaises adolescents qui, dans bien des cas, pourraient être compris autrement, en tenant compte de l’histoire personnelle et familiale, et des éventuels troubles psychopathologiques sous-jacents.

Nous critiquons ce que l’on appelle parfois la « médecine de genre » lorsqu’elle repose davantage sur des présupposés idéologiques que sur une démarche clinique rigoureuse. La médecine doit pouvoir accompagner chaque patient avec prudence et discernement, en s’appuyant sur des données scientifiques solides plutôt que sur des injonctions militantes. Notre thèse est donc celle d’une prudence nécessaire : il s’agit d’éviter que des décisions médicales lourdes de conséquences ne soient prises trop rapidement, sous la pression d’un discours qui tend à considérer toute remise en question comme une forme de transphobie.

Est-ce le wokisme qui menace le serment d’Hippocrate des médecins ?

À l’origine du « wokisme », une oppression ressentie où le corps est au centre des préoccupations, des identités blessées, des individus qui se sentent opprimés et s’allient pour lutter contre un ennemi commun. Dans la médecine transaffirmative, le corps biologique est l’oppresseur et l’ennemi des ressentis : il faut dès lors en changer souvent avec le blanc-seing de certains médecins pour qui les ressentis, les discriminations ressenties prévalent sur l’éthique médicale. Ces médecins, au nom du bien, ont choisi d’aider ces patients en accédant à leur demande. Mais est-ce bien leur rôle ?

En 2022, la faculté de médecine de l’université́ du Connecticut (UConn) a proposé́ une version « DEI‐fied», ou « Déi-fiée » en français, du serment d’Hippocrate. DEI signifie Diversity, Equity and Inclusion, soit  Diversité, Équité et Inclusion. Le serment d’UConn fait l’impasse sur l’un des principes éthiques fondamentaux de la médecine occidentale en promouvant les droits humains et l’équité plutôt que l’égalité́ de traitement, au fondement du serment. Le risque alors est de discriminer – pour le bien – les patients en fonction de leur sexe ou genre, leur religion, leur « race », etc…

Vous ne donnez que rarement des noms et ne citez que peu d’exemples français, ou alors vous les anonymisez (ex : Lou et « l’Abri »). Prendre la parole sur ces sujets est-il risqué ? Craigniez-vous des poursuites judiciaires ?

Nous n’hésitons pas à prendre des risques pour nous-mêmes mais nous n’en faisons pas prendre à Lou et à son père qui nous  ont confié leur exceptionnel témoignage. Lou en particulier est maintenant passée à autre chose et son anonymat doit être respecté.

A travers l’histoire, la médecine, saisie par l’idéologie, a pu nuire aux femmes, aux enfants et aux homosexuels, expliquez-vous. Sans tomber dans des parallèles malheureux (on pense à l’époque nazie), quels autres exemples avez-vous en tête ?

Vous citez justement les exemples que nous avons trouvé dans l’histoire relativement récente où la médecine s’est en quelque sorte dévoyée au nom du bien.

Nous avions entendu parler des lobotomies pratiquées jusque dans les années 80 mais inaugurées à une époque où la psychiatrie était balbutiante. Cette technique barbare et controversée a vu ses indications s’élargir à toutes sortes de pathologies (schizophrénie, homosexualité) sans tenir compte de ses effets secondaires ni de ses résultats catastrophiques.

Nous avons découvert les traitements infligés aux femmes hystériques au XIXème siècle (à qui on ôtait utérus et ovaires pour soi-disant les soigner) et aux enfants qui se masturbaient à qui on ôtait le clitoris pour les filles, les testicules pour les garçons. Cette médecine était au service de la morale chrétienne et du patriarcat. Toutes proportions gardées, aujourd’hui, on ôte les seins des mineures qui attribuent leur souffrance au développement de leur poitrine  pour leur bien en pensant les soigner.

Enfin, les traitements infligés aux homosexuels par les psychiatres et les psychanalystes (pas tous bien sûr et surtout pas Freud lui-même) pour les rendre hétérosexuels sont encore dans les mémoires. Est-ce pour ne pas se trouver dans « le camp du mal » que certains soignants d’aujourd’hui se disent dans « le camp du bien » en accédant trop rapidement aux desiderata de mineurs plus ou moins en souffrance ?

Vous décrivez dans le livre tous ces milieux favorables au changement de sexe chez les mineurs, et que votre association L’Observatoire de la petite sirène observe de près. Certains professionnels de santé en France  adhèrent-ils encore trop rapidement aux demandes de transition des jeunes? Dispose-t-on de chiffres quant à cette augmentation inquiétante des demandes de transition de genre chez les mineurs, en France ou à l’étranger ?

Oui on dispose des chiffres dans plusieurs pays mais pas en France bien que les consultations spécialisées ont renseigné l’augmentation du nombre de jeunes qui les consultent. C’est aujourd’hui incontestable, le nombre des demandes a beaucoup augmenté dans tous les pays occidentaux. Un seul exemple : Le GIDS à Londres est un des plus grands centres pédiatriques au monde à avoir reçu ces enfants et adolescents transidentifiés. Il a été fermé en mars 2024 suite à un rapport accablant. En 2010, on comptait 77 demandes  avec un sex ratio de 44% de filles. En 2020, 2778 demandes dont 73% de filles. Près de 5000 demandes en 2022 dont plus de 75% de filles.

A lire aussi, Élodie Messéant: Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

En France, selon un sondage d’opinion de l’IPSOS[1], 11% des personnes nées entre 1997 et 2007 se disent ni femmes ni hommes, dont près d’un tiers se dit transgenres (le chiffre tombe à 5 % pour ceux nés entre 1981 et 1996). Il y a bien un phénomène générationnel qui concerne majoritairement la tranche d’âge des 15-25 ans, d’après les études et les expériences cliniques de collègues dans de nombreux pays. Aux États-Unis, plus de 7 % des femmes et plus de 4 % des hommes en âge de fréquenter l’université se considèrent comme transgenres. Ces chiffres reflètent probablement les tendances observées dans de nombreux autres pays.

Quel regard portez-vous sur la fameuse circulaire Blanquer sur la situation des enfants en questionnement de genre au lycée, et sur les polémiques plus récentes concernant l’éducation sexuelle à l’Education nationale ?

La circulaire Blanquer partait d’une bonne intention. Néanmoins nous pensons qu’elle crée un régime d’exception pour les « élevés transgenres », mettant en cause les principes de neutralité et d’égalité au sein de l’école. Cette circulaire pourrait avantageusement être remplacée par une note de service afin de sécuriser les personnels de l’Éducation nationale. Les élèves ne devraient plus être désignés « enfants transgenres » mais « enfants en questionnement de genre ». De plus, le rapport Cass a montré que cette « transition sociale » n’est pas aussi anodine qu’on voudrait nous le faire croire.

Quant à l’éducation à la vie affective à l’école, nous sommes pour ! La dernière mouture présentée par Elisabeth Borne nous paraît raisonnable. Elle tranche heureusement avec certaines préconisations de l’OMS à propos de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire que nous analysons dans notre livre.

Concernant la pharmacologie, où en est en France la pratique / prescription des bloqueurs de puberté ? Mme Eliacheff, vous êtes médecin psychiatre : dans le chapitre 3, vous faites le parallèle entre les bloqueurs de puberté et les antidépresseurs. Existe-t-il des cas où le recours aux bloqueurs est justifié ? N’en fait-on pas trop sur ce qui est peut-être un simple effet de mode (comme on avait pu l’observer aussi avec les antidépresseurs, ou avec la surmédicalisation d’enfants supposés hyperactifs aux Etats-Unis) ?

En France, il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des bloqueurs de puberté dans l’indication « dysphorie de genre ». Ils sont donc prescrits « hors AMM » (et remboursés par la Sécurité sociale) à des mineurs en pleine santé chez qui ils interrompent pendant plusieurs années le développement physique mais aussi psychique de la puberté. Je ne peux pas vous dire combien de jeunes sont concernés car on n’a pas de chiffres ce qui nous distingue de bien d’autres pays.

Mais ces produits sont autorisés pour des enfants présentant une puberté précoce (entre 5 et 9 ans) – une anomalie touchant davantage les filles – dans le but d’éviter les effets psychologiques et physiques de la puberté à un âge inapproprié.

Chez les adultes, ils sont prescrits (à des doses supérieures) dans l’endométriose chez la femme et chez les hommes dans le cancer de la prostate et pour diminuer la libido des délinquants sexuels.

Mais revenons aux jeunes transidentifiés. Nous racontons comment cette idée est née à Amsterdam dans la tête d’une endocrino-pédiatre spécialiste des pubertés précoces et d’une psychologue du service de genre pour les mineurs. Il s’agissait de soulager la souffrance de ces jeunes qui se disaient « trans » liée à l’apparition de leur puberté, d’éviter des suicides, de passer directement aux hormones croisées vers 16 ans dans des conditions assez strictes qui, très rapidement n’ont plus été respectées. Mais surtout, de nombreuses études ultérieures ont montré que les promesses d’amélioration n’étaient pas tenues et qu’il ne s’agissait pas d’un « bouton pause » permettant au jeune de réfléchir mais bien d’une première étape menant directement à la prise d’hormones croisées (testostérone pour les filles et hormones féminines pour les garçons). La réversibilité mise en avant n’est pas aussi évidente qu’on l’a prétendu. On assiste au paradoxe suivant : les preuves d’inefficacité sont de plus en plus nombreuses et devraient entrainer une baisse des prescriptions ; or, on assiste à l’inverse. Certains médecins ne veulent plus appliquer ce que disent  les études scientifiques de bonne qualité… Pour autant, en France, nous avons l’impression qui serait à confirmer que ces prescriptions ne sont pas très nombreuses (mais c’est déjà trop). Elles ne peuvent se faire qu’avec l’autorisation des parents d’où l’importance de leur donner une information la plus objective possible. C’est ce à quoi nous nous attachons.

245 pages

Le sermon d'Hippocrate: La médecine sous l'emprise des idéologies identitaires

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[1] IPSOS, « enquête LGBT+ Pride 2023 Globale » (juin 2023).

Le massacre des illusions progressistes

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L’important c’est d’errer


C’est l’angoisse sur France Culture « l’esprit d’ouverture ». Guillaume Erner, l’animateur de la matinale, a invité l’écrivain Kamel Daoud qui a défendu Boualem Sansal et critiqué les apparatchiks du FLN, obnubilés depuis 1962 par la haine de la France, une rente mémorielle. Stupeurs des auditeurs mécontents : Daoud est d’extrême-droite ! L’OAS ne passera pas ! Daniel Cohn-Bendit et Jean-Luc Mélenchon parlent de « grand-remplacement » : est-ce de l’art ou du cochon ? Trump embrasse Poutine sur la bouche, l’Europe est à poil, le progrès régresse !

La Thébaïde, les carnivores et les végétariens

LFI ne décolère pas.  Le PS trahit, « Faure m’a tuer ». À gauche, les zizanies, guerre des œufs entre les gros boutiens de Blefuscu et les petits boutiens de Lilliput, durent depuis un an, un siècle, une éternité… Mitterrand-Marchais, Thorez-Blum, Jaurès-Guesde, D’Hubert-Féraud, Robespierre-Danton, Étéocle-Polynice, Abel et Caïn. « L’on hait avec excès lorsque l’on hait un frère » (Racine).

Pour la « vrai gauche », les ultras, carnivores, le progrès c’est la révolution, simple et robuste comme un sans-culotte ou un char T-34 : en avant toute, vers l’avenir radieux ! Le communisme, c’est plutôt une boisson d’hommes. Y’a pas que d’la pomme, pas de dîners de gala, pas d’omettes sans casser d’œufs. À la grande époque, le camp du progrès éparpillait façon puzzle les récalcitrants : goulags, hôpitaux psychiatriques, des dizaines de millions de morts, une boisson d’assassins. Dans l’effroi et la rapine, avec Poutine, sans Navalny, à Moscou et Tienanmen, la place vide reste rouge. À l’Est, rien n’a changé. À l’Ouest, militants, intellectuels, les meilleurs, aveugles et imbéciles, y ont cru. Alain Badiou et Annie Ernaux sont nostalgiques de la botte à Staline. Les jeunes rebelles, nouveaux insoumis, manquent d’estomac, ont mis du Vittel dans leur Vodka. Les plans quinquennaux, l’autogestion, la révolution, c’est fatiguant. Exit les justes combats contre l’obscurantisme, pour la laïcité, l’émancipation, les Lumières. La jeunesse révoltée, Louis Boyard, Sébastien Delogu veulent de la thune, Netflix, du KFC, du Rap, des meufs, de la beuh, pour tous, sans entraves, sans oublier le boulghour de Sandrine Rousseau.

La « deuxième gauche », réformiste, seumarde, herbivore, défend de nobles causes, l’inclusion, les femmes, le bio, la grenouille glissante du Togo. Le « bien commun », le « bon gouvernement », le progrès sont recyclés dans des empreintes, transitions, l’IA bienveillante. Des idées abstraites mais un programme simple : planter des impôts et des fonctionnaires. Rien n’y fait, les gueux ont déserté, la gauche est en manque de dominés. Pour ne pas désespérer le SNES et Libé, il faut réchauffer le « cake d’amour », les tubes des années 60, revamper l’agenda : émancipation des genres humains, guerre de races, créolisation multireligieuse, haine des riches, de l’Occident, de soi, dictionnaire amoureux de l’islamisme à visage humain. Le tiers-monde a pris du galon, c’est le Grand sud. Hourra l’Hamas !

Les lendemains chantent faux mais la feuille de route de Mai 68 est tenue. « Ne dites plus : Monsieur le Professeur, dites : crève salope ! » … Bibliothèques et culture incendiées, mérite, famille, je vous hais, destruction du vieux monde, une certaine idée de la Fange. Naïveté, démagogie, dogmatisme, étatisme, déficits : les deux gauches sont compatibles. À la fin du grand guignol, aux législatives, les frères ennemis se réconcilient sur l’air des bijoux de famille, circonscriptions, du « peuple progressiste », si beau dans ses miroirs. « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir » (Proust).

L’ours Paddington tombe de l’armoire

Le gauchisme, maladie infantile et sénile, du communisme… Après le vitriol, les drôleries. Depuis deux générations, la gauche cabriole dans une langue de caoutchouc et un business pépère, rentable : l’angoisse du « maléfique-nauséabond », mesuré sur une échelle de « Reichter ». Autour de la « fachosphère » intensité 9 (trou noir dont le centre et partout et la circonférence nulle part), gravitent une infinité de droites et tangentes : réacs, passéistes, dures, demi-molles, ultra-conservatrices, libertariennes, crypto, anti, néo, libérales… Le progressisme a abandonné la pensée et la raison, gesticule dans les sophismes, des obsessions -virilisme, masculinisme, populisme- un gloubi-boulga conceptuel flou, tartuffe, des prophéties auto-destructrices qui nourrissent les fanatismes et le fascisme. La boucle est bouclée.

A lire aussi: Saint Paddington

Au Mondial moquette du progrès humain coconstruit, Dominique Méda (professeur de sociologie à Dauphine) domine le concours complet toutes catégories du « yakafautque ». Madame Jourdain du Progrès, Fée clochette des « Mots bleus comptent triple », c’est une force inépuisable de propositions. « On peut fabriquer en France une petite voiture électrique abordable et durable, un choix qui permettrait d’engager une transition juste » (Le Monde, 27 octobre 2024). Dans sa tribune du 4 janvier, le bécassin touche au sublime. « Nous avons besoin d’un projet politique qui place les classes populaires en son cœur… Un projet compréhensible par tous, à la construction et à la réalisation duquel l’ensemble de la population doit être appelé à contribuer et dont les bienfaits collectifs seront visibles. Un projet capable de dessiner les contours d’une société désirable… Il nous faut ensuite disposer des mots justes qui permettront de rendre visibles les avantages du projet en question et donc renoncer à utiliser les formules que nous savons désormais rejetées par une large partie de la population…. Plus généralement, nous devons placer les classes populaires au cœur de ce projet… » (Le Monde).  Dominique, tu nous fends le cœur !

Babouviste pipole, héraut des inégalités en BD et de l’impôt sur les os, Thomas Piketty ne craint personne dans le démago-ubuesque. « L’entrée de l’Ukraine dans l’UE doit être l’occasion de formuler des normes strictes garantissant le pluralisme sous toutes ses formes » (Le Monde, 13 avril 2024). Saint-Just pour rire… Les sociologues ont succédé aux philosophes. Le problème de l’intellectuel de gauche, c’est qu’il ne bosse plus, n’est plus au niveau. Horkheimer, la Dialectique de la Raison, la théorie critique de l’Aufklärung, faire rentrer un carré dans un rond ou la démocratie dans le socialisme, l’ontique, ça prend la tête.« Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon » (La Rochefoucauld).

Les progressistes ont troqué Hegel, l’histoire et la praxis pour des palinodies, l’empyrée des bons sentiments, l’ile aux enfants, Balnibarbi, Dorothée, Casimir, Benoît Hamon. Passés de Lénine à Johnny, ils nous promettaient le ciel au-dessus de nos couches, des fleurs et des dentelles pour que les nuits soient douces. Les faits sont sans pitié. Les empires, la violence, la démographie, le réel, fracassent le logiciel rousseauiste des ravis de la crèche toutlemondiste. Les fondus de la dynamite, des camps de rééducation, sont de retour. « La violence est l’accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flancs » (Marx).

Pour approfondir l’épisiotomie, le changement sans péridural, nous pouvons compter sur les « grands forestiers » (Jünger) : Vlad l’empaleur d’Ukrainiens, Mad Trump, sans oublier l’empire du milieu qui tisse ses routes de la soie, vassalise, étend sa mare nostrum du cap Leeuwin au cap Horn, en passant par le Ghana, Gibraltar et Le Pirée. Le malheur est une idée neuve en Europe. La part du capitaine (de Beaumont), Partie de chasse (Bilal), la faim de l’histoire… toute une époque, qui revient. Il est urgent de se défendre, se remettre à penser, sauver une véritable « démocratie de combat ». Deux générations de gauchisme d’atmosphère, les fils déguisés en père, les idiots, les traitres et les policiers du wokisme ont crétinisé et désarmé l’Occident, désemparé, à la merci des fous, des loups et des assassins.

« Il ne suffit pas de dire ce que l’on voit, il faut, et c’est plus difficile, voir ce que l’on voit » (Charles Péguy).

Et si on supprimait le CNRS ?

Avec ses 32000 agents (dont seulement la moitié de chercheurs) et un budget de 3,7 milliards d’euros, le Centre national de la recherche scientifique est devenu un pachyderme administratif qui cumule les doublons et ne figure plus depuis longtemps en tête des classements. Il existe d’autres établissements aux compétences quasi égales : les universités.


La situation très dégradée des finances publiques et l’excès évident de la dépense devraient imposer à tout gouvernement doté d’un minimum de courage une révision générale des politiques menées afin de traquer les organes inutiles, de rationaliser ce qui peut l’être et plus largement de redéfinir le champ d’intervention de l’État. Si une telle politique, à vrai dire inespérée, était menée, il y a fort à parier qu’une institution apparaîtrait bientôt dans le radar : le Centre national de la recherche scientifique. Certes, la façade est rutilante et peut faire illusion. Le CNRS, c’est 32 000 agents en 2021, derniers chiffres connus – dont seulement la moitié de chercheurs, le reste étant composé d’agents administratifs, ce qui laisse augurer d’un problème. C’est un budget de 3,7 milliards d’euros, dont plus de trois quarts de subventions de l’État (les ressources propres, c’est-à-dire les services rendus aux entreprises, mais aussi à d’autres organismes publics, en représentent donc moins d’un quart). C’est un organisme de rang mondial, le troisième, selon les organes de classement qui font autorité, et même le premier en Europe (mais ce classement comporte un biais important, non seulement en raison de la taille du CNRS, mais parce qu’il est fondé sur un nombre de publications dont beaucoup émanent en fait des universités). C’est enfin une histoire prestigieuse, et donc intouchable, puisque par le nom de son fondateur, Jean Zay, il est associé au meilleur de la Résistance française contre le nazisme, que le général de Gaulle en a fait, dans les années 1960, un des fers de lance de sa politique de grandeur nationale et que de nombreux scientifiques, parmi les plus reconnus et les plus récompensés, prix Nobel et médailles Field compris, ont travaillé en son sein.

Il reste que ces temps héroïques sont un peu derrière nous, si on en croit les derniers indicateurs disponibles et les évolutions inquiétantes qu’ils dessinent : la France ne consacre que 2,2 % de son PIB à la recherche, loin derrière l’objectif de 3 % fixé par l’Union européenne, loin, surtout, des 3,13 % que réalise l’Allemagne, et est totalement dépassée par les pays asiatiques les plus innovants (4,93 % pour la Corée) et, champion du monde, par Israël avec 5,8 %. Certes, l’État n’est pas seul en cause, puisque environ deux tiers des dépenses intérieures de recherche et développement émanent des entreprises, mais au moins serait-il bon de leur donner un environnement favorable auquel les controverses perpétuelles sur le principal instrument de soutien, le crédit impôt-recherche, ne contribuent pas vraiment. La recherche publique ne peut en revanche se dédouaner d’une autre tendance défavorable : la part de la France dans le nombre de publications scientifiques ne cesse de décroître et notre pays figure désormais à la huitième place, dépassé depuis 2017 par l’Italie. Puisqu’il se veut le fleuron du secteur, la responsabilité du CNRS dans ce fiasco ne peut pas être éludée. Mais au-delà de ces effets circonstanciels, le mastodonte public pose deux types de problèmes structurels.

Une place discutable dans le paysage universitaire

Le premier est un problème d’organisation administrative. Le CNRS est en effet un acteur inutile, dans la mesure où il existe déjà des établissements qui, à côté de leur mission d’enseignement, et en lien étroit avec elle, se voient reconnaître une compétence très large en matière de recherche : ce sont tout simplement les universités. Elles disposent d’ailleurs pour cela, avec quelques établissements assimilés, d’un monopole (sur lequel on pourrait d’ailleurs discuter) qui est celui de délivrer les diplômes du doctorat et de l’habilitation à diriger des recherches, alors que le CNRS n’intervient en aucun cas en la matière. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas mieux éviter un doublon et organiser la totalité de la recherche scientifique autour de grands pôles universitaires, comme le font l’immense majorité des pays développés ? Quel est l’apport du CNRS ? Que fait-il que les universités ne pourraient pas faire ? Officiellement contribuer à définir une politique générale de la recherche. Mais outre qu’on peut légitimement s’interroger sur cette centralisation dans un pays démocratique, force est de reconnaître que le CNRS s’acquitte très mal de cette tâche. C’est en tout cas un des principaux reproches que lui fait l’organisme public d’évaluation (le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou Hcéres dans le jargon du ministère de l’Enseignement et la Recherche, qui comme toutes les bureaucraties labyrinthiques, adore les acronymes) dans le dernier rapport qu’il lui consacre en novembre 2023. Et de noter, avec une fermeté assez rare pour être soulignée que « le conseil d’administration du CNRS ne joue pas son rôle stratégique[1] ». Autre mission avancée : gérer de gros équipements de recherche qui nécessitent des immobilisations lourdes et des équipes importantes. L’argument semble incontestable pour justifier l’existence du CNRS, au moins dans les sciences dures, physique ou biologie par exemple, mais ne vaut rien en matière de sciences sociales et humaines (16 % de l’activité du CNRS qui pourrait donc sans dommage sortir de l’institution). Notons surtout, pour mieux apprécier la rigueur de la démonstration, que les secteurs où ces équipements sont les parmi plus considérables, c’est-à-dire l’énergie atomique et la médecine, ne sont pas rattachés au CNRS, mais disposent de leur propre centre de recherche, respectivement le CEA et l’Inserm. Chercher l’erreur… Enfin, le CNRS sert à sélectionner des dossiers de recherche et accueille les universitaires qui les ont initiés en « délégation » (pendant quelques mois, ils sont accueillis au CNRS et dispensés de leur charge d’enseignement, qui est de cent quatre-vingt-douze heures par an) ou leur fait bénéficier d’avantages matériels. Cette fonction est évidemment légitime mais n’a nul besoin, pour être accomplie, d’une structure aussi lourde que le CNRS. C’est si vrai qu’une structure, beaucoup plus légère, existe déjà à cette fin : il s’agit de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui distribue 1,2 milliard d’euros par an et pourrait tout à fait élargir ses missions. La France n’a besoin que d’une agence de moyens et non pas de deux, dont l’une éléphantesque.

Le malheur est que le CNRS n’est pas seulement inutile, il est aussi néfaste. Pour le comprendre, il faut ouvrir le capot et explorer la machinerie administrative. En général, le CNRS n’agit pas seul : son mode d’action privilégié passe par une association avec l’université dans le cadre d’une structure conjointe appelée une « unité mixte de recherche » (UMR). Ces laboratoires regroupent des personnels titulaires de l’université, qui sont très majoritaires (professeurs et maîtres de conférences), et des personnels titulaires du CNRS (chargés et directeurs de recherche), auxquels s’ajoutent des doctorants et quelques électrons libres ne disposant pas de postes fixes (membres associés). Cette organisation présente deux défauts majeurs. D’abord, les agents du CNRS, dont le statut, notamment en termes indemnitaires, est très proche de celui de leurs collègues universitaires, ne doivent aucune charge de cours. L’enseignement supérieur se prive ainsi de 16 000 enseignants, alors que les besoins sont criants, les amphithéâtres surchargés et que sont pratiqués à grande échelle l’embauche de vacataires et le paiement d’heures dites « complémentaires » (royalement rémunérées autour de 43 euros brut). Cette situation commence d’ailleurs à faire scandale et est désormais ouvertement contestée, y compris dans la presse bien-pensante. Le second défaut n’est pas moins grave et sans doute plus sournois. La présence du CNRS au sein des UMR complique la machine bureaucratique, déjà protubérante au sein des universités, et consiste concrètement à tout faire en double. Certaines dépenses sont prises sur des crédits du CNRS, d’autres sur des crédits universitaires, sans que leur nature diffère réellement. Il y a évidemment deux logiciels de paiement, deux cadres juridiques pour la gestion du personnel, deux structures hiérarchiques… Le nombre de réunions, de comités et de conseils, tantôt de « labo », tantôt d’UFR ou de « sous-section », est multiplié par deux, alimentant une tendance déjà prononcée à la polysynodie. Cette redondance et ce temps mal employé ont évidemment un coût qui mériterait d’être chiffré.

Vers un modèle plus efficace et compétitif

La réorganisation administrative n’est pas le seul problème généré par le CNRS. Il en existe un second, qui porte sur les principes et engage la liberté, et donc la nécessaire diversité de la recherche. Est-il légitime de définir une orientation générale de la recherche émanant d’une seule institution, qui plus est publique ? Les esprits libéraux répondront probablement par la négative. Cette interrogation est particulièrement sensible dans le domaine des sciences sociales et humaines, où l’on voit les effets d’une telle politique, qui sont de privilégier les sujets à la mode ou idéologiquement mobilisables, c’est-à-dire, dans les faits, le colonial et le « post-colonial », le genre et l’écologie. Le problème n’est pas que ces thèmes, au demeurant légitimes et souvent honnêtement traités, soient abordés, c’est qu’ils ont acquis, sinon une exclusivité, au moins une prépondérance, qu’ils sont, dans certains cas, devenus des passages obligés ou des réflexes conditionnés, au détriment d’autres thèmes, tout aussi légitimes, de l’imagination créative ou de la simple curiosité intellectuelle. À cela s’ajoutent (mais la remarque vaut malheureusement aussi pour les universités) des procédures de recrutement insuffisamment robustes, surtout lorsqu’il s’agit d’emplois à vie : la direction du CNRS a ainsi été dernièrement mise en cause par la Cour des comptes pour avoir modifié les ordres de classement établis par des commissions d’experts.

Que faire donc ? Supprimer le CNRS assurément. Mais ce projet se décline en deux temps. Il prend d’abord la forme d’une réorganisation administrative, simple dans son principe, redoutable dans ses modalités. Il suffit de faire comme partout et d’articuler l’enseignement supérieur et la recherche autour de trois types d’institutions : des universités qui se voient reconnaître, comme c’est déjà largement le cas, une compétence générale en la matière ; une agence de moyens, l’ANR, dont la force de frappe serait renforcée ; et une instance d’évaluation, l’Hcéres. Et rien d’autre ! Dans les faits, il suffirait de transférer les moyens du CNRS aux établissements universitaires auxquels ils sont déjà associés, de verser les chargés de recherche dans le corps des maîtres de conférences et les directeurs dans celui des professeurs. Dans cette architecture rationalisée (on imagine les économies d’échelle !), on pourrait même imaginer de faire sortir l’agence de moyens de la sphère publique. C’est le cas en Suisse, pays bien plus performant que la France en la matière (la recherche y représente 3,3 % du PIB) où la structure équivalente, le Fonds national suisse, revendique fièrement son statut de fondation de droit privé. Car une simple rationalisation administrative est sans doute insuffisante et il faut imaginer une réforme plus large qui viendrait casser le quasi-monopole de l’État en matière de recherche fondamentale. La création de véritables universités privées, combinant enseignement supérieur et recherche, et délivrant un diplôme équivalent au doctorat, devrait très sérieusement être envisagée, sur le modèle de ce qui se passe à peu près partout dans le monde occidental. On doit à cet égard saluer l’audace du patronat italien (et la pusillanimité de son homologue français) qui a fondé, dès 1974, une université, la Luiss, devenue depuis une des premières d’Europe en économie et en sciences politiques. Cette orientation permettrait à coup sûr d’établir une véritable diversité de pensée, difficilement envisageable dans un périmètre purement public, et une plus grande efficacité, gagée sur la concurrence. S’interroger sur l’avenir du CNRS, c’est aussi ouvrir un débat salutaire sur l’ensemble de notre système d’enseignement et de recherche, dont l’ensemble de la société serait à terme bénéficiaire.


[1] « Rapport d’évaluation du CNRS », novembre 2023, p. 4, consultable en ligne sur le site du Hcéres.

La vraie menace de ChatGPT: la fin de l’écriture

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L’espoir de laisser par l’écriture la trace d’une pensée s’estompe à mesure que grandit l’influence de Chat GPT, jusque dans les salles de classe. Il n’est pas question de négocier avec ce robot, il faut le combattre et lui interdire le champ de la pensée réflexive.


Lecture et écriture sont le propre de l’Homme

Lire et écrire constituèrent la magnifique réponse à la question que les hommes ont mis des centaines de milliers d’années à oser formuler : « Que suis-je ? » Cette question, qu’ils ont si longtemps tenté d’occulter dans la griserie de l’immédiate réaction, n’a pu émerger du plus profond de leur intelligence collective que lorsqu’ils osèrent mettre en mots, en une même affirmation, leur conscience d’Être et la certitude de devoir, un jour, n’être plus. Si la création de l’écriture a été si tardive dans l’histoire de l’humanité (il y a quelques milliers d’années seulement), alors que la construction du langage était depuis longtemps engagée, c’est sans doute parce qu’il a fallu du temps pour que le besoin d’assurer une continuité spirituelle se manifestât au sein d’une intelligence humaine osant enfin regarder la mort en face. Par le génie de l’écriture, un être humain pu ainsi confier à un autre, qu’il ne connaissait pas, une trace de son esprit, en espérant que cette trace serait reçue quand lui-même ne serait plus.

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C’est donc dans des mots envoyés au plus loin de lui-même que l’Homme trouva la meilleure défense, le meilleur abri contre la « terreur de la dilution » : « Je suis celui qui écrit et qui en écrivant, laisse dans l’intelligence d’un inconnu une trace qui, pour être maladroite et sans réelle beauté, est et sera une preuve tangible de mon existence singulière. » S’il est nécessaire que nous nous battions en famille et à l’école pour que nos enfants sachent lire avec émerveillement et écrire avec délice, c’est afin qu’ils sachent qu’ils sont et qu’ils seront. Lecture et écriture portent ainsi ensemble ce que j’appellerai la « résistance existentielle ». Lire et écrire sont en ce sens absolument indissociables : lire, c’est répondre fraternellement à l’appel désespéré de l’écriture ; telle est l’alliance sacrée de la lecture et de l’écriture qui fait de nous des êtres à nuls autres pareils ; des êtres capables de s’élever au-dessus de leur humaine condition.

La menace de l’IA

Ce sont les termes de ce pacte sacré que menacent d’effacer aujourd’hui les robots conversationnels comme Chat GPT. N’écrivez plus, ne créez plus ! Recopiez ! N’inventez plus ! Vous ferez de toute façon moins bien, moins riche, moins séduisant. Acceptez la défaite de votre intelligence singulière et inclinez-vous devant la puissance infinie des data et l’astuce des algorithmes qui savent choisir et agencer les informations afin de répondre au plus près de vos attentes supposées. Surtout, surtout ne rêvez plus « d’inécrit » ; n’imaginez pas que vous puissiez jamais écrire ce que jamais personne n’a écrit, penser ce que jamais personne n’a pensé, transmettre ce que jamais personne n’a transmis. Tout est déjà écrit et stocké ; l’heure est venue du grand ressassement. Et si, par un hasard « malencontreux », émergeait une idée inédite, une proposition originale, une image audacieuse ou une innovation scientifique elle se fondrait illico dans la masse informe des data prête à être débitée pour combler vos désirs étiquetés. L’idée même d’une écriture singulière, en quête d’originalité est ainsi bafouée par Chat GPT. L’espoir de laisser par l’écriture la trace d’une pensée à nulle autre pareille est ainsi dénoncé par cette impitoyable totalitaire. L’espérance même d’une continuité spirituelle, défiant notre disparition matérielle, est détruite : l’espoir d’immortalité est passée du côté de la machine et l’Homme est voué sans recours à la dilution. De ce point de vue, Chat GPT est notre ennemi juré ; il est une menace pour nos enfants, pour nos élèves. Il n’est pas question de négocier avec ce robot, encore moins de pactiser avec lui, il faut le combattre et lui interdire le champ de la pensée réflexive.

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Lui permettre, sous prétexte de modernité, d’entrer dans les classes, serait accepter que progressivement les élèves veuillent savoir sans se donner le temps d’apprendre. Toute attente, tout délais imposés par un tâtonnement souvent laborieux les exaspèreront et pourront les mettre dans une colère souvent rentrée et paralysante. Pour la plupart, ces élèves rendus fragiles seront incapables de faire l’effort de construire des réponses par le dialogue et l’argumentation. Savoir, oui ! Apprendre à construire eux-mêmes malgré leurs doutes et leurs inquiétudes, non ! Ce « temps de débat interne » ferme et serein qui est nécessaire à la construction d’une réflexion, provoquera chez ces élèves d’un nouveau type la dispersion et la déroute. Ils vivront cette invitation comme un vide, comme une faille, parce que le doute, l’incertitude et la distance seront devenus pour eux trop douloureux pour pouvoir stimuler l’activité de penser (Serge Boimare, L’enfant et la peur d’apprendre, 2014). Au lieu de ressentir l’anxiété légère et normale que provoque naturellement le fait de ne pas savoir encore, c’est une terrible frustration qui les envahira quand il faudra associer, faire des liens, en un mot…  chercher contre soi-même et contre l’Autre. Piégés dans un univers où le trivial le dispute au superficiel et le prévisible à l’imprécis, les élèves chemineront sur la voie de la passivité car ils se seront habitués à se contenter de réponses immédiates, évidentes et définitives.

Aujourd’hui plus que jamais ce sont les termes de l’alliance entre lecture et écriture que nous devons absolument transmettre à nos enfants, à nos élèves si nous voulons qu’ils ne sombrent pas dans la désespérance et l’insignifiance. À la question si essentielle « que suis-je ? », refusons qu’ils répondent : « Je suis celui qui disparaitra un jour et dont il ne restera rien ! » ; « Je suis celui qui, incapable de laisser une trace singulière de lui-même, meurtrit et tue pour faire semblant d’exister. » Non ! faut leur apprendre à tenir un tout autre discours : « Je suis celui qui écrit comme personne d’autre n’a osé écrire, je suis celui qui écrit pour que, dans la nuit, au loin, une chandelle s’allume. »


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La barbarie moderne: un retour des ténèbres sous des masques multiples

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Les cérémonies organisées par le Hamas en marge de la remise des cadavres des enfants Bibas glacent le monde. Malheureusement, la barbarie n’est pas uniquement le propre du Hamas mais se généralise sur la planète.


Frapper des policiers isolés à coups de barre de fer, ou jeter un cocktail Molotov dans leur voiture en mettant leur vie en danger, ne relève en rien d’une lutte héroïque contre les inégalités et les injustices sociales. Il ne s’agit pas d’un acte de résistance légitime contre la supposée violence d’État et ses prétendus « chiens de garde » au service des puissants, comme certains intellectuels gauchistes aimeraient le faire croire. Ce n’est ni un cri de révolte éclairé ni un acte d’insurrection noble : c’est une régression brutale, un retour aux instincts les plus primitifs de l’humanité. C’est la manifestation d’une barbarie contemporaine qui, sous des prétextes idéologiques ou pseudo-moraux, nie toute notion d’humanité, de respect et de justice véritable.

Retour d’un imaginaire médiéval féroce

Depuis les attentats survenus dans différentes villes d’Europe, le terme de terrorisme islamiste est devenu omniprésent dans le débat public. Les images du chef de Boko Haram justifiant, au nom d’Allah, l’enlèvement de jeunes filles nigérianes, majoritairement chrétiennes, leur mariage forcé, leur conversion à l’islam et, dans certains cas, leur vente sur des marchés, ont profondément choqué les consciences à l’échelle mondiale.

Plus récemment, les événements tragiques impliquant le Hamas ont ravivé cette horreur. L’un des épisodes les plus glaçants fut la macabre cérémonie organisée à Gaza, où des cadres contenant les photos des jeunes enfants israéliens kidnappés lors des attaques du 7-Octobre 2023 furent exhibés dans une mise en scène sinistre. Ce qui choque davantage, c’est l’accueil enthousiaste de cette démonstration : la foule des Gazaouis a applaudi cette mise en scène morbide, et des parents ont même emmené leurs enfants pour y assister. Ce spectacle macabre, loin de susciter l’indignation, a été célébré par une partie de la population, révélant à quel point la barbarie peut s’enraciner dans les sociétés plongées dans la haine et la propagande.

Pourtant, cette brutalité n’est pas unique à un contexte religieux ou géopolitique précis. Paradoxalement, des œuvres de fiction populaires, telles que Game of Thrones, encensées en Occident, plongent elles aussi les spectateurs dans un univers où la sauvagerie règne en maître. Elles dépeignent un monde médiéval féroce où clans et seigneurs s’affrontent, où les massacres, les viols et les mutilations deviennent des instruments ordinaires de pouvoir. Cette fascination moderne pour la violence crue et la domination brute reflète peut-être, sous une forme détournée, l’attrait inquiétant pour un monde régi par la loi du plus fort.

La barbarie n’est pas l’apanage d’une religion, d’un peuple ou d’une région du monde. Elle traverse les âges et les civilisations. En Afrique des Grands Lacs ou dans certaines régions d’Amérique latine, des massacres et des violences extrêmes surviennent sans le moindre lien avec l’islam. En Europe, notre propre histoire est marquée par des épisodes sanglants : des guerres de religion entre Protestants et Catholiques aux horreurs de la Terreur révolutionnaire, où, sous prétexte de justice sociale, on guillotinait à tour de bras, rasait des villes entières et exterminait des populations accusées de trahison.

Voltaire rappelait avec une ironie amère les atrocités de la Saint-Barthélemy, où les citoyens de Paris, aveuglés par le fanatisme religieux, assassinèrent sans pitié leurs compatriotes qui n’assistaient pas à la messe. Cette violence, qu’elle soit justifiée par la foi, la politique ou l’idéologie, trouve toujours ses racines dans l’intolérance et la haine viscérale de l’Autre.

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Les djihadistes invoquent le Coran pour justifier leurs actes abominables, tout comme les nazis invoquaient une mythique pureté aryenne et une vision fantasmée du Saint Empire romain germanique, ou comme les gardes rouges de la Révolution culturelle s’abritaient derrière le Petit Livre rouge de Mao pour légitimer leurs exactions. Dans chacun de ces cas, l’idéologie, qu’elle soit religieuse ou politique, devient le masque d’une volonté de destruction, d’un rejet viscéral de la liberté individuelle et de la pensée critique.

Mais de quoi s’agit-il réellement ?

Lorsqu’un monde change trop rapidement, les sociétés peuvent ressentir un profond sentiment d’humiliation, d’impuissance et de peur face à des mutations qu’elles ne comprennent plus. C’est dans ces moments de fragilité que germe la violence. L’agression devient alors une réponse maladroite, une tentative désespérée de reprendre un semblant de contrôle sur une réalité qui échappe à l’individu.

Face à ces bouleversements, certains cherchent des coupables faciles. Ils fabriquent des boucs émissaires, s’enferment dans des clans, et se livrent à des rébellions désespérées contre une autorité perçue comme brutale et corrompue. Ironie cruelle : en s’alliant à d’autres formes d’autorité, souvent plus impitoyables et dogmatiques, ils espèrent trouver une vérité absolue, une cause à défendre.

C’est dans ces moments que ressurgissent les monstres de l’imaginaire collectif, les tyrans qui offrent des illusions de puissance à ceux qui se sentent dépossédés. Cet univers sombre, peuplé de violence et de pulsions destructrices, se reflète dans des récits comme Game of Thrones, où la soif de pouvoir justifie toutes les cruautés. Les faibles y deviennent des proies, les femmes des objets de conquête, et les adversaires des cibles à détruire.

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Aujourd’hui, cette régression touche plusieurs régions du monde – du monde musulman à certaines zones d’Afrique et d’Amérique latine. Ce retour à la barbarie repose sur un rejet viscéral de la modernité et de ses valeurs fondamentales : la raison critique, l’éducation, l’émancipation des individus, en particulier des femmes. Le nom même de Boko Haram, qui signifie en haoussa « l’éducation occidentale est un péché », illustre ce rejet profond.

Mais, en réalité, l’idéologie n’est qu’un prétexte. Le fanatique, qu’il soit religieux ou politique, n’est guidé ni par la foi ni par la justice, mais par la haine et la peur. Il ne s’attaque jamais aux puissants véritables : il cible ceux qui représentent symboliquement une force honnie, tout en étant suffisamment vulnérables pour qu’il puisse, en lâche, frapper sans risquer de véritables représailles.

En fin de compte, cette violence n’est pas le signe d’une quête de justice ou d’émancipation, mais d’une régression vers les ténèbres, où la barbarie se déguise en vertu et où la haine se pare des habits trompeurs de la vérité sacrée. La vigilance est de mise, car ces monstres ne surgissent pas du néant : ils se nourrissent des failles de nos sociétés, des frustrations, des humiliations et des abandons, pour s’imposer là où la raison s’efface. 

Cronos, premier film de Guillermo del Toro: une résurrection

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Un conte vampirique, peu connu en France, qui relate l’histoire d’un homme victime d’un sortilège suite à la piqûre d’un mystérieux scarabée…


Affiche du film Cronos, 1993 © Cameliadistribution

Retour aux sources : Guillermo del Toro n’a pas nagé de tous temps dans les superproductions aux effets visuels aussi dispendieux que spectaculaires, cf. Le Labyrinthe de Pan (2006), La Forme de l’eau (2017), etc. On avait pu déjà revoir en salles, il y a quelques années, restauré sous les auspices de Carlotta Films, cette perle du cinéma fantastique titrée L’Échine du diable (2001). Le film nous transportait à l’époque de la guerre civile espagnole, dans une économie de moyens auquel le cinéaste mexicain désormais passé sous étendard U.S nous a déshabitué depuis. Sur le registre formel superlatif auquel Guillermo del Toro sacrifie aujourd’hui jusqu’à l’excès, les aficionados, en 2025, soupirent après son Frankenstein, promis pour novembre prochain sur Netflix avec, au casting, rien moins que Christophe Waltz et la nouvelle coqueluche des réseaux, l’australien Jacob Elordi.

En attendant ressort cette semaine en salles son premier long métrage, Cronos, restauré paraît-il sous sa supervision personnelle. Je crois bien que ce film n’avait été vu à l’époque, en France, que par les fanatiques de l’Étrange Festival, autant dire personne. Ce merveilleux conte macabre, aux couleurs chatoyantes et à l’esthétique épurée, laisse déjà augurer de la suite. En 1993, Guillermo del Toro n’a même pas trente ans : d’une maturité stupéfiante, son talent de conteur éclate dans Cronos.

À Mexico, un vieil antiquaire, Jesus Gris, élève avec amour sa petite-fille, orpheline âgée de 8 ans. Dans le socle en bois d’une statue ancienne qu’il s’affairait à restaurer, il découvre un objet ouvragé, en or, une espèce de scarabée doté d’un mouvement d’horlogerie. Mais le joyau est pourvu d’un étrange mécanisme : des griffes se déploient, enserrent la main de Jesus, un dard en surgit, qui lui injecte un venin secrété par un insecte abrité dans ses entrailles.

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Par l’effet de ce sortilège, Jesus sent l’envahir un fluide de jouvence. Il en garde le secret, dont seule l’enfant restera complice. Or voilà que, détenteur d’un incunable livrant le mode d’emploi du bidule, un milliardaire à l’agonie, aidé de son filandreux majordome, s’est mis sur la piste du talisman. Le grabataire est prêt à tout pour le récupérer, jusqu’à cambrioler la boutique de l’antiquaire. Sans succès. Reste que la mue de Jesus ne va pas sans souffrance : l’insecte captif a besoin de sang pour dispenser son suc réparateur, il faut donc en laper, en boire – soif inextinguible… Fatale.

Croisant le mythe de Faust et de Dracula, Cronos préfigure les motifs dont les opus ultérieurs de Guillermo del Toro feront leur miel. Dans le rôle de Jesus, feu l’acteur argentin Federico Luppi (1936-2017). Claudio Brook (1927-1995) campe ici le méchant richissime – dernier emploi de la vie professionnelle du comédien mexicain. Quant au sbire traître et sadique, incarné par l’acteur américain au visage simiesque Ron Perlman, son emploi dans Cronos contribue à asseoir cette belle carrière qui, à l’enseigne de Guillermo del Toro, le mènera jusqu’au rôle-titre de Hellboy (2004) puis de Hellboy 2 (2008), jusqu’à Pinocchio il y a trois ans…

Les premiers films n’ont pas toujours « fait leur temps », comme on dit : Cronos est captivant.


Cronos. Film de Guillermo del Toro. Avec Federico Luppi, Ron Perlman, Claudio Brook, Margarita Isabel. Mexique, couleur, 1993. Durée: 1h33
En salles le 26 février.

Au revoir les enfants

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Le Hamas a remis ce matin à Israël les corps de quatre otages, dont ceux des deux enfants Bibas, en échange de la libération de prisonniers palestiniens. Le commentaire d’Elisabeth Lévy.


L’institut médico-légal Abu Kabir de Tel-Aviv a annoncé ce soir que les travaux d’identification des corps restitués à Israël plus tôt dans la journée par le Hamas se poursuivaient pour trois d’entre eux, le quatrième – Oded Lifshitz , 85 ans – ayant déjà été identifié NDLR.

Je n’ai rien à dire. Rien que ne disent déjà les yeux rieurs de ce bébé rouquin assassiné parce qu’il était juif. Rien d’autre que l’incompréhension et l’envie de croire que nous n’oublierons pas, même si, bien sûr nous continuerons à tapoter sur nos téléphones et à faire les soldes (on a arrêté la poésie, mais pas à cause d’Auschwitz). Il y a des enfants soldats. Guillaume Erner rappelait l’autre matin que Kfir Bibas avait fait entrer dans notre vocabulaire le monstrueux oxymore « bébé-otage ».

La mémoire vit avec son temps. Les visages de Kfir et Ariel Bibas que nous garderons sont des instantanés heureux, vestiges en couleur de promesses piétinées. Pourtant, ils convoquent irrépressiblement l’image en noir et blanc de l’enfant du ghetto de Varsovie. Mis en joue par un soldat allemand, il lève les bras. À ses côtés, une femme, sans doute sa mère, dont l’amour surpasse encore l’indicible effroi. S’appelait-il Yentl, Shmouel, Moïshé, on ne sait pas. La photo, retrouvée dans l’album d’un SS, ne voulait pas dénoncer, mais prouver le sérieux de l’entreprise de déjudaïsation menée par les nazis. Le 7-Octobre, les assassins ont pris des photos et des vidéos, pour montrer au monde entier, et à leurs familles pétries de fierté, qu’eux aussi étaient capables de massacrer des juifs. Qu’ils pensent être des héros ­– et le soient pour beaucoup – révèle à quel point la « cause palestinienne » a perdu la tête.

Alors que l’atroce nouvelle de la mort des Bibas se répandait, distillée au compte-goutte par les sadiques du Hamas, un autre visage est arrivé dans ma boite aux lettres, celui du jeune Roman Polanski, un autre enfant du ghetto dont la mère n’est pas revenue. Sandrine Treiner publie chez Flammarion le bouleversant témoignage qu’il a livré à l’INA ainsi que celui de son père, rédigé après plusieurs décennies de silence1.

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Alors que le convoi funèbre de véhicules blancs traversait Israël en deuil, comment ne pas penser aussi à Myriam Monsonego, Arié et Gabriel Sandler (8, 5 et 3 ans) assassinés dans une cour d’école, eux aussi parce qu’ils étaient juifs ? L’uniforme change, la rage d’effacer ne varie pas, comme en témoigne l’obscène mise en scène des échanges – si obscène que même la Croix-Rouge s’en est émue. Comme le rappelle Michael Prazan dans La vérité sur le Hamas et ses idiots utiles (L’Observatoire, 2025), la force maléfique du Hamas, c’est l’amour de la mort – même si ses dirigeants aiment surtout celle des autres. Qui osera demander aux Israéliens de se réconcilier avec ces foules qui dansent sur des cercueils ?

Bien sûr, toutes les vies se valent. Encore que. J’ai beaucoup de mal à penser que celle de Yahia Sinwar, qui aura laissé pour toute trace de son passage sur terre un fleuve de sang, vaut celle de Kfir Bibas. Et autant à ne pas regretter que des médecins israéliens lui aient sauvé la vie. Mais toutes les vies d’enfants se valent. Il n’y a pas de bons et de mauvais enfants morts. On doit tous les pleurer. Les enfants palestiniens tués à Gaza étaient eux aussi des promesses détruites, eux aussi avaient des mères qui ont filmé leurs premiers sourires. Combien, parmi ceux qui restent, sont détruits de l’intérieur par le bourrage de crâne et l’endoctrinement au fanatisme, on l’ignore. Peut-on en vouloir aux enfants de croire ce que leur disent les adultes ?

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On n’honore pas par le mensonge. Si toutes les vies d’enfants se valent, toutes leurs morts n’ont pas le même sens. Les enfants de Gaza ont été délibérément, cyniquement sacrifiés par le Hamas, sans doute la seule « force militaire » au monde qui protège ses combattants et expose ses civils. Ne les laissons pas enrôler dans la croisade « antisioniste » de l’islamo-gauche, alors que le mensonge éhonté du « génocide » est devenu une vérité, qui sert de sauf-conduit à tous ceux qui réclament plus de liberté d’expression pour pouvoir cracher leur haine des juifs.

On croit souvent que l’injonction juive « souviens-toi » – Ytzkor – concerne les victimes. Mais il s’agit d’abord de se souvenir d’Amalek, figure fondatrice des ennemis du peuple juif. Souvenons-nous de Kfir, Ariel, souvenons-nous de Myriam, Arié, Gabriel. Que les innocents massacrés reposent en paix. Mais n’oublions jamais ceux qui profanaient leurs visages placardés sur les murs de nos villes. N’oublions pas les ricanements d’Ersilia Soudais, n’oublions pas les mensonges de Guiraud, Caron, Delogu et consorts, n’oublions pas les sous-entendus de Mélenchon. Le déshonneur ne s’efface pas avec le temps.

La vérité sur le Hamas et ses « idiots utiles »

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Ne courez pas ! Marchez !: suivi de Lettres à mon fils de Ryszard Polanski

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Édouard Baer, un Cyrano fraternel

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Notre chroniqueur est allé voir la reprise de la fameuse pièce d’Edmond Rostand


Il y a des journées qui marquent. Ce fut le cas avec le jeudi 13 février. Entre une émission passionnante et batailleuse le matin à l’Heure des pros sur CNews et, avant mes irremplaçables Vraies Voix sur Sud Radio, un film de 3 h 30 dur, âpre, éprouvant, singulier : The Brutalist. Puis un couronnement espéré le soir : Cyrano de Bergerac  au théâtre Antoine, avec Édouard Baer. J’attendais avec impatience son interprétation de ce rôle mythique. J’avais lu des entretiens avec lui et avec Anne Kessler (metteur en scène, sociétaire honoraire de la Comédie-Française) et je ne doutais pas que nous échapperions à la médiocrité.

Un défi

Pourtant, quel défi ! Nous avons tous dans la tête le film magnifique de Jean-Paul Rappeneau avec un Gérard Depardieu indépassable. L’erreur aurait été de chercher à rivaliser avec ce monument artistique alors que déjà la relative pauvreté des moyens du théâtre et le nombre réduit des comédiens auraient rendu impossible une telle gageure. Nous n’avons pas été déçus parce que délibérément le Cyrano d’Edouard Baer a été sorti du champ de l’épopée pour s’inscrire dans celui de la fraternité, de la proximité. C’était non plus le Cyrano qu’à l’évidence nous n’aurions pas pu être mais un ami abordant tous les morceaux de bravoure de la pièce avec une sorte de simplicité, de familiarité. Nous étions ainsi accordés avec ce héros, ses fiertés, ses exigences et sa flamme. Il n’était plus à des années-lumière de nous !

Il me semble d’ailleurs que le terme de héros, avec ce qu’il implique de courage, d’audace, d’exemplarité et d’aura charismatique, n’est plus approprié car on cherche à nous montrer, malgré la splendeur du texte qui n’est jamais sacrifié, un Cyrano à ras d’humanité.

« Cyrano de Bergerac » actuellement au Théâtre Antoine à Paris © Matthieu Gerbaud

Cette démarche artistique révèle à quel point ces vers – tellement connus qu’ils sont consubstantiels à notre patrimoine comme la morale qu’ils expriment – peuvent cependant appeler une autre vision que celle habituelle du panache, de la gloire, de l’affirmation sourcilleuse de soi.

Il y a de la modestie dans le Cyrano d’Édouard Baer, quelque chose de doucement et de tristement pathétique dans la conscience de ce qu’il croit être sa laideur alors que « ses élégances » sont ailleurs, et dans une sorte de fatalisme jamais plaintif que ce grand acteur joue admirablement.

À lire aussi : Épopée révolutionnaire

C’est une épopée perdant son lustre pour plus d’humanité. C’est une expression, à la fois navrée mais emplie d’allure, d’un destin que nous aurions à égaler : il y a comme une incitation subtile à nous signifier que Cyrano n’est pas si éloigné et qu’il est un frère qui ne doit pas nous intimider.

Soulagement

Tout au long de la représentation, Edouard Baer, usant finement d’une palette de sentiment, d’espérance, de mélancolie et de nostalgie contrastée mais jamais forcée, demeure dans une élocution homogène, sans s’abandonner – et c’est le parti pris du spectacle – à des débordements qui le conduiraient, pour être admiré, à se mettre en scène lui-même face aux autres.

Paradoxalement c’est sans doute la seule faiblesse de cette intelligente représentation. Gérard Depardieu, jouant la déchirante scène finale, émeut au-delà de tout parce qu’il y a un gouffre entre son verbe généralement tonitruant d’avant et les murmures affaiblis et si tendres précédant sa mort. Avec Édouard Baer, il n’y a pas ce changement de rythme. Il meurt doucement comme il a offert ce qu’il était : sans exhibition.

Je craignais tellement la trahison de ce chef-d’œuvre par des initiatives discutables que, au soir de cette journée exceptionnelle, j’ai poussé un ouf de soulagement et, mieux, de bonheur.


Cyrano de Bergerac
Jusqu’au 27 avril au Théâtre Antoine, les mardis, mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 21h, les samedis et dimanches à 16h.

Claire Castillon: adolescence d’aujourd’hui, un état des lieux

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Claire Castillon © JF Paga

Tssitssi, une jeune ado de seize ans, rêve d’une vie facile et luxueuse. Mais, elle est emportée par les vices des réseaux sociaux et ses dérives, et son rêve de maîtriser son destin et de s’affranchir des règles l’entraîne dans une spirale destructrice…


Le nouveau roman de Claire Castillon porte comme titre le surnom de son personnage principal, la petite narratrice perdue et déjantée de cette histoire d’aujourd’hui : « Tssitssi ». Elle habite Meudon chez son père et a seize ans. Visiblement, elle souffre d’un traumatisme qu’elle essaie de compenser en prenant des décisions radicales sur sa vie. Elle n’en mesure pas toujours les conséquences et elle a le chic pour se placer dans des situations inconfortables. Tssitssi devrait aller voir un psychothérapeute. Au lieu de quoi, poussée par son amie Poppée, elle décide de gagner beaucoup d’argent en acceptant de rencontrer des hommes mûrs attirés par les jeunes donzelles. Est-ce de la prostitution ? Elle prétend que non. Mais elle ne sait pas y faire, et ne connaîtra que des déboires.

Une vie sans efforts

Et pourtant, au départ, Tssitssi est confiante en son avenir, sûre de connaître bientôt le luxe et l’oisiveté, se promet-elle, et sans faire d’efforts. Elle décrit sa réalité du moment comme suit : « J’ai 1000 followers sur insta, et depuis que je pose en bikini sur ma photo de profil, ça monte. » Dans la ligne de mire de ses révoltes, il y a son père, « un curé quoi », et ses profs de lycée qui ne la comprennent pas : « Les profs m’accusent de ne pas m’intéresser aux cours et à la vie scolaire, et de pousser certaines amies vers des conversations inadaptées. En clair, le sexe. Comme si à seize ans on était censé penser au réchauffement climatique. » Imparable ! Claire Castillon excelle à personnifier sa petite héroïne, à la faire parler comme si ce qu’elle racontait était normal, alors que c’est pour le moins inconvenant et insolent. Mais Tssitssi ne s’en rend pas compte, ou plutôt elle revendique son choix vers ce qu’elle croit être sa liberté : « Moi, j’ai des objectifs clairs, annonce-t-elle, même si je suis sophistiquée. Je veux m’éloigner du tas. »

Le langage des ados

Dans ce roman de Claire Castillon, la langue et le style jouent évidemment un grand rôle, et permettent de suivre au plus près les pensées divagantes de la jeune narratrice. La romancière utilise avec une très grande dextérité l’argot du temps, et pas seulement, me semble-t-il, celui qu’utilisent les ados. Faire entrer l’argot dans une œuvre est toujours une prouesse, car il faut que ça ait l’air naturel. Certains auteurs par exemple y renoncent, alors que leur sujet s’y prête. Ce fut le cas de Samuel Benchetrit dans ses récentes Chroniques de l’asphalte, pourtant une suite de livres intéressants, mais dans lesquels les jeunes protagonistes de l’histoire communiquent dans une langue digne de l’Académie française. Au contraire, Claire Castillon n’hésite pas à recourir à la langue familière de sa petite ado, et aux mots qu’elle échange avec ses copines, notamment dans l’évocation de leurs activités peu recommandables. Ainsi, l’argot anglais sugar, qui donne sugar baby, définit bien ici le fait pour une très jeune fille de se prostituer avec un homme plus âgé qu’elle.

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Castillon l’écrit parfois « chougar » pour désigner le pédophile lui-même : « chougar daddy », avec un « ch » pour être plus proche de la véritable prononciation en anglais. Sugar est de toute façon très connoté. Il y avait chez les Rolling Stones la chanson « Brown Sugar » (1971), écrite par Mick Jagger, avec des sous-entendus salaces et peut-être racistes. Les Stones l’ont d’ailleurs retirée de leur répertoire (de même que la très troublante « Stray Cat Blues », 1968). Ceci est bien connu.

Sugar baby

Bref, Claire Castillon, nous faisant pénétrer dans l’âme troublée de son personnage, explique en mots choisis comment Tssitssi conçoit son activité de sugar baby auprès de ses clients. Ce qui donne des morceaux d’anthologie, comme : « Si ça lui plaît pas, il change de sugar baby en fait. Et moi je m’en fous, parce que c’est un pacte virtuel. Moi aussi je peux le quitter à tout moment. S’il veut pas m’offrir des soins de cryothérapie ou un week-end ayurvédique à Dubaï. » Hélas pour Tssitssi, tout ne va pas se passer aussi bien qu’elle l’espérait. Ses aventures « vénales » ne lui rapportent en fait pas grand-chose, excepté de déplorables troubles psychologiques que cette vie borderline entraîne, dès le début, chez elle. Sa personnalité se dédouble, elle devient de plus en plus étrangère à sa famille, à l’école qu’elle fréquente. Elle entre finalement dans un véritable délire schizophrénique, hantée qu’elle est par la mort de sa mère. Nous suivons la progression impitoyable de la folie de Tssitssi, et tout le talent de Claire Castillon est de nous rendre palpable cette tragique descente aux enfers digne de Sylvia Plath.

On retrouve dans Tssitssi la rare tonalité de l’indicible pour décrire la détresse d’un être humain maltraité par les conditions modernes d’existence. Il est vrai que Claire Castillon tend à son personnage une main secourable, pour lui redonner sa dignité. En ce sens, cette lecture a, sur le lecteur, un effet de catharsis, ou de résilience. La principale qualité de Tssitssi est celle-là, selon moi : nous ramener à la tempérance.


Claire Castillon, Tssitssi. Éd. Gallimard, 176 pages.

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Samuel Benchetrit, Chroniques de l’asphalte. Tome 4. Éd. Pocket, 312 pages.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Emmanuel Macron répond à des questions sur l'Ukraine © Chaines YouTube d'Emmanuel Macron, D.R.

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le nouveau geste abject du Hamas, que même ses soutiens occidentaux les plus fervents ont eu du mal à accueillir pour les besoins de leur propagande, nous révèle combien la cause palestinienne est devenue une cause islamiste. Les Palestiniens sont maintenus par des institutions internationales dans un état de réfugiés permanents dont l’unique ambition est d’anéantir Israël. Comment leur permettre de créer leur propre Etat dans ces conditions?

Donald Trump met la pression sur les Européens qui sont sommés de faire beaucoup plus afin d’assurer leur propre défense. Emmanuel Macron est peut-être le dirigeant européen qui a le mieux compris le message du président américain. Lundi dernier, il a organisé une réunion de crise en invitant un certain nombre d’autres dirigeants à Paris. Mais jeudi soir, il a voulu donner aux Français un cours de géopolitique sur les réseaux sociaux, afin d’expliquer ce qui se joue entre Trump, Poutine, Zelensky et les autres. Pour Céline Pina et Eliott Mamane, le résultat a été catastrophique par la forme. Le président français a essayé d’exploiter le registre familier, comme Barack Obama savait si bien le faire, mais sans le talent de l’ancien président américain. Par un manque total de tenue, il a abimé la fonction qu’il est censé incarner et a échoué à inspirer confiance au peuple dont il a pour mission d’assurer la protection.

Enfants transgenres: «La controverse médicale n’a cessé de s’amplifier»

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La pédopsychiatre Caroline Eliacheff et la psychanalyste Céline Masson © Céline Nieszawer

Entretien avec Caroline Eliacheff et Céline Masson, qui publient « Le Sermon d’Hippocrate, la Médecine sous l’Emprise des Idéologies » (L’Observatoire)


Causeur. Votre premier ouvrage La Fabrique de l’enfant transgenre, publié en 2022, avait rencontré un certain écho. Pourquoi déjà un second livre ?

Caroline Eliacheff et Céline Masson. Nous publions ce livre trois ans après le premier, et durant cette période, la controverse scientifique et médicale sur le sujet n’a cessé de s’intensifier. Il s’est passé beaucoup de choses et notamment pour nous après la publication de ce premier livre. Nous avons voulu en témoigner. Par ailleurs, de nombreux parents et adolescents nous ont parlé, ils nous ont décrit la manière dont ils ont été reçus dans des services spécialisés qui accompagnent les mineurs en questionnement de genre ou encore au Planning Familial voire par des associations militantes. Ces témoignages ont nourri notre réflexion.

Par ailleurs, nous participons à un réseau international de professionnels et chercheurs sur le sujet. Chaque jour, des informations nous parviennent : articles scientifiques, articles d’opinion, colloques… nous voulions en rendre compte. Mais, notre livre porte aussi sur des aspects socio-historiques et socio-politiques et pas uniquement médico-psychologiques.

Vous récidivez donc, en postulant que la pratique médicale contemporaine est influencée par des idéologies identitaires. Pourtant, la « dysphorie de genre », cela existe vraiment, non ?

Nous ne nions pas l’existence de la dysphorie de genre, nous la redéfinissons eu égard à notre expérience clinique, celle de nos collègues, aux témoignages des parents mais aussi aux articles scientifiques qui paraissent chaque jour et qui apportent un nouvel éclairage sur la transidentification des mineurs. Grâce à cette clinique et ces témoignages nous avons forgé avec nos collègues une nouvelle proposition clinique nommée ASP – Angoisse de sexuation pubertaire – qui permet de mieux comprendre les complexités psychologiques de ces adolescents et surtout adolescentes mal dans leur corps.

Nous constatons que l’approche médicale des mineurs en questionnement de genre s’est constituée sous l’influence de courants idéologiques qui privilégient une approche affirmative au détriment d’une évaluation approfondie de chaque situation.

Nous observons que l’approche médicale des mineurs en questionnement de genre s’est développée sous l’influence de courants idéologiques favorisant une approche transaffirmative, souvent au détriment d’une évaluation neutre, approfondie et rigoureuse de chaque situation.

A lire aussi, Jérémy Stubbs: Enquête sur le lobby trans: l’argent n’a pas de sexe

Ce que nous questionnons, c’est cette tendance à médicaliser trop rapidement des malaises adolescents qui, dans bien des cas, pourraient être compris autrement, en tenant compte de l’histoire personnelle et familiale, et des éventuels troubles psychopathologiques sous-jacents.

Nous critiquons ce que l’on appelle parfois la « médecine de genre » lorsqu’elle repose davantage sur des présupposés idéologiques que sur une démarche clinique rigoureuse. La médecine doit pouvoir accompagner chaque patient avec prudence et discernement, en s’appuyant sur des données scientifiques solides plutôt que sur des injonctions militantes. Notre thèse est donc celle d’une prudence nécessaire : il s’agit d’éviter que des décisions médicales lourdes de conséquences ne soient prises trop rapidement, sous la pression d’un discours qui tend à considérer toute remise en question comme une forme de transphobie.

Est-ce le wokisme qui menace le serment d’Hippocrate des médecins ?

À l’origine du « wokisme », une oppression ressentie où le corps est au centre des préoccupations, des identités blessées, des individus qui se sentent opprimés et s’allient pour lutter contre un ennemi commun. Dans la médecine transaffirmative, le corps biologique est l’oppresseur et l’ennemi des ressentis : il faut dès lors en changer souvent avec le blanc-seing de certains médecins pour qui les ressentis, les discriminations ressenties prévalent sur l’éthique médicale. Ces médecins, au nom du bien, ont choisi d’aider ces patients en accédant à leur demande. Mais est-ce bien leur rôle ?

En 2022, la faculté de médecine de l’université́ du Connecticut (UConn) a proposé́ une version « DEI‐fied», ou « Déi-fiée » en français, du serment d’Hippocrate. DEI signifie Diversity, Equity and Inclusion, soit  Diversité, Équité et Inclusion. Le serment d’UConn fait l’impasse sur l’un des principes éthiques fondamentaux de la médecine occidentale en promouvant les droits humains et l’équité plutôt que l’égalité́ de traitement, au fondement du serment. Le risque alors est de discriminer – pour le bien – les patients en fonction de leur sexe ou genre, leur religion, leur « race », etc…

Vous ne donnez que rarement des noms et ne citez que peu d’exemples français, ou alors vous les anonymisez (ex : Lou et « l’Abri »). Prendre la parole sur ces sujets est-il risqué ? Craigniez-vous des poursuites judiciaires ?

Nous n’hésitons pas à prendre des risques pour nous-mêmes mais nous n’en faisons pas prendre à Lou et à son père qui nous  ont confié leur exceptionnel témoignage. Lou en particulier est maintenant passée à autre chose et son anonymat doit être respecté.

A travers l’histoire, la médecine, saisie par l’idéologie, a pu nuire aux femmes, aux enfants et aux homosexuels, expliquez-vous. Sans tomber dans des parallèles malheureux (on pense à l’époque nazie), quels autres exemples avez-vous en tête ?

Vous citez justement les exemples que nous avons trouvé dans l’histoire relativement récente où la médecine s’est en quelque sorte dévoyée au nom du bien.

Nous avions entendu parler des lobotomies pratiquées jusque dans les années 80 mais inaugurées à une époque où la psychiatrie était balbutiante. Cette technique barbare et controversée a vu ses indications s’élargir à toutes sortes de pathologies (schizophrénie, homosexualité) sans tenir compte de ses effets secondaires ni de ses résultats catastrophiques.

Nous avons découvert les traitements infligés aux femmes hystériques au XIXème siècle (à qui on ôtait utérus et ovaires pour soi-disant les soigner) et aux enfants qui se masturbaient à qui on ôtait le clitoris pour les filles, les testicules pour les garçons. Cette médecine était au service de la morale chrétienne et du patriarcat. Toutes proportions gardées, aujourd’hui, on ôte les seins des mineures qui attribuent leur souffrance au développement de leur poitrine  pour leur bien en pensant les soigner.

Enfin, les traitements infligés aux homosexuels par les psychiatres et les psychanalystes (pas tous bien sûr et surtout pas Freud lui-même) pour les rendre hétérosexuels sont encore dans les mémoires. Est-ce pour ne pas se trouver dans « le camp du mal » que certains soignants d’aujourd’hui se disent dans « le camp du bien » en accédant trop rapidement aux desiderata de mineurs plus ou moins en souffrance ?

Vous décrivez dans le livre tous ces milieux favorables au changement de sexe chez les mineurs, et que votre association L’Observatoire de la petite sirène observe de près. Certains professionnels de santé en France  adhèrent-ils encore trop rapidement aux demandes de transition des jeunes? Dispose-t-on de chiffres quant à cette augmentation inquiétante des demandes de transition de genre chez les mineurs, en France ou à l’étranger ?

Oui on dispose des chiffres dans plusieurs pays mais pas en France bien que les consultations spécialisées ont renseigné l’augmentation du nombre de jeunes qui les consultent. C’est aujourd’hui incontestable, le nombre des demandes a beaucoup augmenté dans tous les pays occidentaux. Un seul exemple : Le GIDS à Londres est un des plus grands centres pédiatriques au monde à avoir reçu ces enfants et adolescents transidentifiés. Il a été fermé en mars 2024 suite à un rapport accablant. En 2010, on comptait 77 demandes  avec un sex ratio de 44% de filles. En 2020, 2778 demandes dont 73% de filles. Près de 5000 demandes en 2022 dont plus de 75% de filles.

A lire aussi, Élodie Messéant: Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

En France, selon un sondage d’opinion de l’IPSOS[1], 11% des personnes nées entre 1997 et 2007 se disent ni femmes ni hommes, dont près d’un tiers se dit transgenres (le chiffre tombe à 5 % pour ceux nés entre 1981 et 1996). Il y a bien un phénomène générationnel qui concerne majoritairement la tranche d’âge des 15-25 ans, d’après les études et les expériences cliniques de collègues dans de nombreux pays. Aux États-Unis, plus de 7 % des femmes et plus de 4 % des hommes en âge de fréquenter l’université se considèrent comme transgenres. Ces chiffres reflètent probablement les tendances observées dans de nombreux autres pays.

Quel regard portez-vous sur la fameuse circulaire Blanquer sur la situation des enfants en questionnement de genre au lycée, et sur les polémiques plus récentes concernant l’éducation sexuelle à l’Education nationale ?

La circulaire Blanquer partait d’une bonne intention. Néanmoins nous pensons qu’elle crée un régime d’exception pour les « élevés transgenres », mettant en cause les principes de neutralité et d’égalité au sein de l’école. Cette circulaire pourrait avantageusement être remplacée par une note de service afin de sécuriser les personnels de l’Éducation nationale. Les élèves ne devraient plus être désignés « enfants transgenres » mais « enfants en questionnement de genre ». De plus, le rapport Cass a montré que cette « transition sociale » n’est pas aussi anodine qu’on voudrait nous le faire croire.

Quant à l’éducation à la vie affective à l’école, nous sommes pour ! La dernière mouture présentée par Elisabeth Borne nous paraît raisonnable. Elle tranche heureusement avec certaines préconisations de l’OMS à propos de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire que nous analysons dans notre livre.

Concernant la pharmacologie, où en est en France la pratique / prescription des bloqueurs de puberté ? Mme Eliacheff, vous êtes médecin psychiatre : dans le chapitre 3, vous faites le parallèle entre les bloqueurs de puberté et les antidépresseurs. Existe-t-il des cas où le recours aux bloqueurs est justifié ? N’en fait-on pas trop sur ce qui est peut-être un simple effet de mode (comme on avait pu l’observer aussi avec les antidépresseurs, ou avec la surmédicalisation d’enfants supposés hyperactifs aux Etats-Unis) ?

En France, il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des bloqueurs de puberté dans l’indication « dysphorie de genre ». Ils sont donc prescrits « hors AMM » (et remboursés par la Sécurité sociale) à des mineurs en pleine santé chez qui ils interrompent pendant plusieurs années le développement physique mais aussi psychique de la puberté. Je ne peux pas vous dire combien de jeunes sont concernés car on n’a pas de chiffres ce qui nous distingue de bien d’autres pays.

Mais ces produits sont autorisés pour des enfants présentant une puberté précoce (entre 5 et 9 ans) – une anomalie touchant davantage les filles – dans le but d’éviter les effets psychologiques et physiques de la puberté à un âge inapproprié.

Chez les adultes, ils sont prescrits (à des doses supérieures) dans l’endométriose chez la femme et chez les hommes dans le cancer de la prostate et pour diminuer la libido des délinquants sexuels.

Mais revenons aux jeunes transidentifiés. Nous racontons comment cette idée est née à Amsterdam dans la tête d’une endocrino-pédiatre spécialiste des pubertés précoces et d’une psychologue du service de genre pour les mineurs. Il s’agissait de soulager la souffrance de ces jeunes qui se disaient « trans » liée à l’apparition de leur puberté, d’éviter des suicides, de passer directement aux hormones croisées vers 16 ans dans des conditions assez strictes qui, très rapidement n’ont plus été respectées. Mais surtout, de nombreuses études ultérieures ont montré que les promesses d’amélioration n’étaient pas tenues et qu’il ne s’agissait pas d’un « bouton pause » permettant au jeune de réfléchir mais bien d’une première étape menant directement à la prise d’hormones croisées (testostérone pour les filles et hormones féminines pour les garçons). La réversibilité mise en avant n’est pas aussi évidente qu’on l’a prétendu. On assiste au paradoxe suivant : les preuves d’inefficacité sont de plus en plus nombreuses et devraient entrainer une baisse des prescriptions ; or, on assiste à l’inverse. Certains médecins ne veulent plus appliquer ce que disent  les études scientifiques de bonne qualité… Pour autant, en France, nous avons l’impression qui serait à confirmer que ces prescriptions ne sont pas très nombreuses (mais c’est déjà trop). Elles ne peuvent se faire qu’avec l’autorisation des parents d’où l’importance de leur donner une information la plus objective possible. C’est ce à quoi nous nous attachons.

245 pages

Le sermon d'Hippocrate: La médecine sous l'emprise des idéologies identitaires

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[1] IPSOS, « enquête LGBT+ Pride 2023 Globale » (juin 2023).

Le massacre des illusions progressistes

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Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure marchent contre la "vie chère" à Paris, 16 octobre 2022 © ISA HARSIN/SIPA

L’important c’est d’errer


C’est l’angoisse sur France Culture « l’esprit d’ouverture ». Guillaume Erner, l’animateur de la matinale, a invité l’écrivain Kamel Daoud qui a défendu Boualem Sansal et critiqué les apparatchiks du FLN, obnubilés depuis 1962 par la haine de la France, une rente mémorielle. Stupeurs des auditeurs mécontents : Daoud est d’extrême-droite ! L’OAS ne passera pas ! Daniel Cohn-Bendit et Jean-Luc Mélenchon parlent de « grand-remplacement » : est-ce de l’art ou du cochon ? Trump embrasse Poutine sur la bouche, l’Europe est à poil, le progrès régresse !

La Thébaïde, les carnivores et les végétariens

LFI ne décolère pas.  Le PS trahit, « Faure m’a tuer ». À gauche, les zizanies, guerre des œufs entre les gros boutiens de Blefuscu et les petits boutiens de Lilliput, durent depuis un an, un siècle, une éternité… Mitterrand-Marchais, Thorez-Blum, Jaurès-Guesde, D’Hubert-Féraud, Robespierre-Danton, Étéocle-Polynice, Abel et Caïn. « L’on hait avec excès lorsque l’on hait un frère » (Racine).

Pour la « vrai gauche », les ultras, carnivores, le progrès c’est la révolution, simple et robuste comme un sans-culotte ou un char T-34 : en avant toute, vers l’avenir radieux ! Le communisme, c’est plutôt une boisson d’hommes. Y’a pas que d’la pomme, pas de dîners de gala, pas d’omettes sans casser d’œufs. À la grande époque, le camp du progrès éparpillait façon puzzle les récalcitrants : goulags, hôpitaux psychiatriques, des dizaines de millions de morts, une boisson d’assassins. Dans l’effroi et la rapine, avec Poutine, sans Navalny, à Moscou et Tienanmen, la place vide reste rouge. À l’Est, rien n’a changé. À l’Ouest, militants, intellectuels, les meilleurs, aveugles et imbéciles, y ont cru. Alain Badiou et Annie Ernaux sont nostalgiques de la botte à Staline. Les jeunes rebelles, nouveaux insoumis, manquent d’estomac, ont mis du Vittel dans leur Vodka. Les plans quinquennaux, l’autogestion, la révolution, c’est fatiguant. Exit les justes combats contre l’obscurantisme, pour la laïcité, l’émancipation, les Lumières. La jeunesse révoltée, Louis Boyard, Sébastien Delogu veulent de la thune, Netflix, du KFC, du Rap, des meufs, de la beuh, pour tous, sans entraves, sans oublier le boulghour de Sandrine Rousseau.

La « deuxième gauche », réformiste, seumarde, herbivore, défend de nobles causes, l’inclusion, les femmes, le bio, la grenouille glissante du Togo. Le « bien commun », le « bon gouvernement », le progrès sont recyclés dans des empreintes, transitions, l’IA bienveillante. Des idées abstraites mais un programme simple : planter des impôts et des fonctionnaires. Rien n’y fait, les gueux ont déserté, la gauche est en manque de dominés. Pour ne pas désespérer le SNES et Libé, il faut réchauffer le « cake d’amour », les tubes des années 60, revamper l’agenda : émancipation des genres humains, guerre de races, créolisation multireligieuse, haine des riches, de l’Occident, de soi, dictionnaire amoureux de l’islamisme à visage humain. Le tiers-monde a pris du galon, c’est le Grand sud. Hourra l’Hamas !

Les lendemains chantent faux mais la feuille de route de Mai 68 est tenue. « Ne dites plus : Monsieur le Professeur, dites : crève salope ! » … Bibliothèques et culture incendiées, mérite, famille, je vous hais, destruction du vieux monde, une certaine idée de la Fange. Naïveté, démagogie, dogmatisme, étatisme, déficits : les deux gauches sont compatibles. À la fin du grand guignol, aux législatives, les frères ennemis se réconcilient sur l’air des bijoux de famille, circonscriptions, du « peuple progressiste », si beau dans ses miroirs. « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir » (Proust).

L’ours Paddington tombe de l’armoire

Le gauchisme, maladie infantile et sénile, du communisme… Après le vitriol, les drôleries. Depuis deux générations, la gauche cabriole dans une langue de caoutchouc et un business pépère, rentable : l’angoisse du « maléfique-nauséabond », mesuré sur une échelle de « Reichter ». Autour de la « fachosphère » intensité 9 (trou noir dont le centre et partout et la circonférence nulle part), gravitent une infinité de droites et tangentes : réacs, passéistes, dures, demi-molles, ultra-conservatrices, libertariennes, crypto, anti, néo, libérales… Le progressisme a abandonné la pensée et la raison, gesticule dans les sophismes, des obsessions -virilisme, masculinisme, populisme- un gloubi-boulga conceptuel flou, tartuffe, des prophéties auto-destructrices qui nourrissent les fanatismes et le fascisme. La boucle est bouclée.

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Au Mondial moquette du progrès humain coconstruit, Dominique Méda (professeur de sociologie à Dauphine) domine le concours complet toutes catégories du « yakafautque ». Madame Jourdain du Progrès, Fée clochette des « Mots bleus comptent triple », c’est une force inépuisable de propositions. « On peut fabriquer en France une petite voiture électrique abordable et durable, un choix qui permettrait d’engager une transition juste » (Le Monde, 27 octobre 2024). Dans sa tribune du 4 janvier, le bécassin touche au sublime. « Nous avons besoin d’un projet politique qui place les classes populaires en son cœur… Un projet compréhensible par tous, à la construction et à la réalisation duquel l’ensemble de la population doit être appelé à contribuer et dont les bienfaits collectifs seront visibles. Un projet capable de dessiner les contours d’une société désirable… Il nous faut ensuite disposer des mots justes qui permettront de rendre visibles les avantages du projet en question et donc renoncer à utiliser les formules que nous savons désormais rejetées par une large partie de la population…. Plus généralement, nous devons placer les classes populaires au cœur de ce projet… » (Le Monde).  Dominique, tu nous fends le cœur !

Babouviste pipole, héraut des inégalités en BD et de l’impôt sur les os, Thomas Piketty ne craint personne dans le démago-ubuesque. « L’entrée de l’Ukraine dans l’UE doit être l’occasion de formuler des normes strictes garantissant le pluralisme sous toutes ses formes » (Le Monde, 13 avril 2024). Saint-Just pour rire… Les sociologues ont succédé aux philosophes. Le problème de l’intellectuel de gauche, c’est qu’il ne bosse plus, n’est plus au niveau. Horkheimer, la Dialectique de la Raison, la théorie critique de l’Aufklärung, faire rentrer un carré dans un rond ou la démocratie dans le socialisme, l’ontique, ça prend la tête.« Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon » (La Rochefoucauld).

Les progressistes ont troqué Hegel, l’histoire et la praxis pour des palinodies, l’empyrée des bons sentiments, l’ile aux enfants, Balnibarbi, Dorothée, Casimir, Benoît Hamon. Passés de Lénine à Johnny, ils nous promettaient le ciel au-dessus de nos couches, des fleurs et des dentelles pour que les nuits soient douces. Les faits sont sans pitié. Les empires, la violence, la démographie, le réel, fracassent le logiciel rousseauiste des ravis de la crèche toutlemondiste. Les fondus de la dynamite, des camps de rééducation, sont de retour. « La violence est l’accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flancs » (Marx).

Pour approfondir l’épisiotomie, le changement sans péridural, nous pouvons compter sur les « grands forestiers » (Jünger) : Vlad l’empaleur d’Ukrainiens, Mad Trump, sans oublier l’empire du milieu qui tisse ses routes de la soie, vassalise, étend sa mare nostrum du cap Leeuwin au cap Horn, en passant par le Ghana, Gibraltar et Le Pirée. Le malheur est une idée neuve en Europe. La part du capitaine (de Beaumont), Partie de chasse (Bilal), la faim de l’histoire… toute une époque, qui revient. Il est urgent de se défendre, se remettre à penser, sauver une véritable « démocratie de combat ». Deux générations de gauchisme d’atmosphère, les fils déguisés en père, les idiots, les traitres et les policiers du wokisme ont crétinisé et désarmé l’Occident, désemparé, à la merci des fous, des loups et des assassins.

« Il ne suffit pas de dire ce que l’on voit, il faut, et c’est plus difficile, voir ce que l’on voit » (Charles Péguy).

Et si on supprimait le CNRS ?

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Manifestation des syndicats de chercheurs du CNRS contre le projet « Key Labs » visant à allouer des moyens privilégiés aux « laboratoires d’excellence », siège du CNRS, Paris, 27 janvier 2025 © ARNAUD CESAR VILETTE/OLA NEWS/SIPA

Avec ses 32000 agents (dont seulement la moitié de chercheurs) et un budget de 3,7 milliards d’euros, le Centre national de la recherche scientifique est devenu un pachyderme administratif qui cumule les doublons et ne figure plus depuis longtemps en tête des classements. Il existe d’autres établissements aux compétences quasi égales : les universités.


La situation très dégradée des finances publiques et l’excès évident de la dépense devraient imposer à tout gouvernement doté d’un minimum de courage une révision générale des politiques menées afin de traquer les organes inutiles, de rationaliser ce qui peut l’être et plus largement de redéfinir le champ d’intervention de l’État. Si une telle politique, à vrai dire inespérée, était menée, il y a fort à parier qu’une institution apparaîtrait bientôt dans le radar : le Centre national de la recherche scientifique. Certes, la façade est rutilante et peut faire illusion. Le CNRS, c’est 32 000 agents en 2021, derniers chiffres connus – dont seulement la moitié de chercheurs, le reste étant composé d’agents administratifs, ce qui laisse augurer d’un problème. C’est un budget de 3,7 milliards d’euros, dont plus de trois quarts de subventions de l’État (les ressources propres, c’est-à-dire les services rendus aux entreprises, mais aussi à d’autres organismes publics, en représentent donc moins d’un quart). C’est un organisme de rang mondial, le troisième, selon les organes de classement qui font autorité, et même le premier en Europe (mais ce classement comporte un biais important, non seulement en raison de la taille du CNRS, mais parce qu’il est fondé sur un nombre de publications dont beaucoup émanent en fait des universités). C’est enfin une histoire prestigieuse, et donc intouchable, puisque par le nom de son fondateur, Jean Zay, il est associé au meilleur de la Résistance française contre le nazisme, que le général de Gaulle en a fait, dans les années 1960, un des fers de lance de sa politique de grandeur nationale et que de nombreux scientifiques, parmi les plus reconnus et les plus récompensés, prix Nobel et médailles Field compris, ont travaillé en son sein.

Il reste que ces temps héroïques sont un peu derrière nous, si on en croit les derniers indicateurs disponibles et les évolutions inquiétantes qu’ils dessinent : la France ne consacre que 2,2 % de son PIB à la recherche, loin derrière l’objectif de 3 % fixé par l’Union européenne, loin, surtout, des 3,13 % que réalise l’Allemagne, et est totalement dépassée par les pays asiatiques les plus innovants (4,93 % pour la Corée) et, champion du monde, par Israël avec 5,8 %. Certes, l’État n’est pas seul en cause, puisque environ deux tiers des dépenses intérieures de recherche et développement émanent des entreprises, mais au moins serait-il bon de leur donner un environnement favorable auquel les controverses perpétuelles sur le principal instrument de soutien, le crédit impôt-recherche, ne contribuent pas vraiment. La recherche publique ne peut en revanche se dédouaner d’une autre tendance défavorable : la part de la France dans le nombre de publications scientifiques ne cesse de décroître et notre pays figure désormais à la huitième place, dépassé depuis 2017 par l’Italie. Puisqu’il se veut le fleuron du secteur, la responsabilité du CNRS dans ce fiasco ne peut pas être éludée. Mais au-delà de ces effets circonstanciels, le mastodonte public pose deux types de problèmes structurels.

Une place discutable dans le paysage universitaire

Le premier est un problème d’organisation administrative. Le CNRS est en effet un acteur inutile, dans la mesure où il existe déjà des établissements qui, à côté de leur mission d’enseignement, et en lien étroit avec elle, se voient reconnaître une compétence très large en matière de recherche : ce sont tout simplement les universités. Elles disposent d’ailleurs pour cela, avec quelques établissements assimilés, d’un monopole (sur lequel on pourrait d’ailleurs discuter) qui est celui de délivrer les diplômes du doctorat et de l’habilitation à diriger des recherches, alors que le CNRS n’intervient en aucun cas en la matière. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas mieux éviter un doublon et organiser la totalité de la recherche scientifique autour de grands pôles universitaires, comme le font l’immense majorité des pays développés ? Quel est l’apport du CNRS ? Que fait-il que les universités ne pourraient pas faire ? Officiellement contribuer à définir une politique générale de la recherche. Mais outre qu’on peut légitimement s’interroger sur cette centralisation dans un pays démocratique, force est de reconnaître que le CNRS s’acquitte très mal de cette tâche. C’est en tout cas un des principaux reproches que lui fait l’organisme public d’évaluation (le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou Hcéres dans le jargon du ministère de l’Enseignement et la Recherche, qui comme toutes les bureaucraties labyrinthiques, adore les acronymes) dans le dernier rapport qu’il lui consacre en novembre 2023. Et de noter, avec une fermeté assez rare pour être soulignée que « le conseil d’administration du CNRS ne joue pas son rôle stratégique[1] ». Autre mission avancée : gérer de gros équipements de recherche qui nécessitent des immobilisations lourdes et des équipes importantes. L’argument semble incontestable pour justifier l’existence du CNRS, au moins dans les sciences dures, physique ou biologie par exemple, mais ne vaut rien en matière de sciences sociales et humaines (16 % de l’activité du CNRS qui pourrait donc sans dommage sortir de l’institution). Notons surtout, pour mieux apprécier la rigueur de la démonstration, que les secteurs où ces équipements sont les parmi plus considérables, c’est-à-dire l’énergie atomique et la médecine, ne sont pas rattachés au CNRS, mais disposent de leur propre centre de recherche, respectivement le CEA et l’Inserm. Chercher l’erreur… Enfin, le CNRS sert à sélectionner des dossiers de recherche et accueille les universitaires qui les ont initiés en « délégation » (pendant quelques mois, ils sont accueillis au CNRS et dispensés de leur charge d’enseignement, qui est de cent quatre-vingt-douze heures par an) ou leur fait bénéficier d’avantages matériels. Cette fonction est évidemment légitime mais n’a nul besoin, pour être accomplie, d’une structure aussi lourde que le CNRS. C’est si vrai qu’une structure, beaucoup plus légère, existe déjà à cette fin : il s’agit de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui distribue 1,2 milliard d’euros par an et pourrait tout à fait élargir ses missions. La France n’a besoin que d’une agence de moyens et non pas de deux, dont l’une éléphantesque.

Le malheur est que le CNRS n’est pas seulement inutile, il est aussi néfaste. Pour le comprendre, il faut ouvrir le capot et explorer la machinerie administrative. En général, le CNRS n’agit pas seul : son mode d’action privilégié passe par une association avec l’université dans le cadre d’une structure conjointe appelée une « unité mixte de recherche » (UMR). Ces laboratoires regroupent des personnels titulaires de l’université, qui sont très majoritaires (professeurs et maîtres de conférences), et des personnels titulaires du CNRS (chargés et directeurs de recherche), auxquels s’ajoutent des doctorants et quelques électrons libres ne disposant pas de postes fixes (membres associés). Cette organisation présente deux défauts majeurs. D’abord, les agents du CNRS, dont le statut, notamment en termes indemnitaires, est très proche de celui de leurs collègues universitaires, ne doivent aucune charge de cours. L’enseignement supérieur se prive ainsi de 16 000 enseignants, alors que les besoins sont criants, les amphithéâtres surchargés et que sont pratiqués à grande échelle l’embauche de vacataires et le paiement d’heures dites « complémentaires » (royalement rémunérées autour de 43 euros brut). Cette situation commence d’ailleurs à faire scandale et est désormais ouvertement contestée, y compris dans la presse bien-pensante. Le second défaut n’est pas moins grave et sans doute plus sournois. La présence du CNRS au sein des UMR complique la machine bureaucratique, déjà protubérante au sein des universités, et consiste concrètement à tout faire en double. Certaines dépenses sont prises sur des crédits du CNRS, d’autres sur des crédits universitaires, sans que leur nature diffère réellement. Il y a évidemment deux logiciels de paiement, deux cadres juridiques pour la gestion du personnel, deux structures hiérarchiques… Le nombre de réunions, de comités et de conseils, tantôt de « labo », tantôt d’UFR ou de « sous-section », est multiplié par deux, alimentant une tendance déjà prononcée à la polysynodie. Cette redondance et ce temps mal employé ont évidemment un coût qui mériterait d’être chiffré.

Vers un modèle plus efficace et compétitif

La réorganisation administrative n’est pas le seul problème généré par le CNRS. Il en existe un second, qui porte sur les principes et engage la liberté, et donc la nécessaire diversité de la recherche. Est-il légitime de définir une orientation générale de la recherche émanant d’une seule institution, qui plus est publique ? Les esprits libéraux répondront probablement par la négative. Cette interrogation est particulièrement sensible dans le domaine des sciences sociales et humaines, où l’on voit les effets d’une telle politique, qui sont de privilégier les sujets à la mode ou idéologiquement mobilisables, c’est-à-dire, dans les faits, le colonial et le « post-colonial », le genre et l’écologie. Le problème n’est pas que ces thèmes, au demeurant légitimes et souvent honnêtement traités, soient abordés, c’est qu’ils ont acquis, sinon une exclusivité, au moins une prépondérance, qu’ils sont, dans certains cas, devenus des passages obligés ou des réflexes conditionnés, au détriment d’autres thèmes, tout aussi légitimes, de l’imagination créative ou de la simple curiosité intellectuelle. À cela s’ajoutent (mais la remarque vaut malheureusement aussi pour les universités) des procédures de recrutement insuffisamment robustes, surtout lorsqu’il s’agit d’emplois à vie : la direction du CNRS a ainsi été dernièrement mise en cause par la Cour des comptes pour avoir modifié les ordres de classement établis par des commissions d’experts.

Que faire donc ? Supprimer le CNRS assurément. Mais ce projet se décline en deux temps. Il prend d’abord la forme d’une réorganisation administrative, simple dans son principe, redoutable dans ses modalités. Il suffit de faire comme partout et d’articuler l’enseignement supérieur et la recherche autour de trois types d’institutions : des universités qui se voient reconnaître, comme c’est déjà largement le cas, une compétence générale en la matière ; une agence de moyens, l’ANR, dont la force de frappe serait renforcée ; et une instance d’évaluation, l’Hcéres. Et rien d’autre ! Dans les faits, il suffirait de transférer les moyens du CNRS aux établissements universitaires auxquels ils sont déjà associés, de verser les chargés de recherche dans le corps des maîtres de conférences et les directeurs dans celui des professeurs. Dans cette architecture rationalisée (on imagine les économies d’échelle !), on pourrait même imaginer de faire sortir l’agence de moyens de la sphère publique. C’est le cas en Suisse, pays bien plus performant que la France en la matière (la recherche y représente 3,3 % du PIB) où la structure équivalente, le Fonds national suisse, revendique fièrement son statut de fondation de droit privé. Car une simple rationalisation administrative est sans doute insuffisante et il faut imaginer une réforme plus large qui viendrait casser le quasi-monopole de l’État en matière de recherche fondamentale. La création de véritables universités privées, combinant enseignement supérieur et recherche, et délivrant un diplôme équivalent au doctorat, devrait très sérieusement être envisagée, sur le modèle de ce qui se passe à peu près partout dans le monde occidental. On doit à cet égard saluer l’audace du patronat italien (et la pusillanimité de son homologue français) qui a fondé, dès 1974, une université, la Luiss, devenue depuis une des premières d’Europe en économie et en sciences politiques. Cette orientation permettrait à coup sûr d’établir une véritable diversité de pensée, difficilement envisageable dans un périmètre purement public, et une plus grande efficacité, gagée sur la concurrence. S’interroger sur l’avenir du CNRS, c’est aussi ouvrir un débat salutaire sur l’ensemble de notre système d’enseignement et de recherche, dont l’ensemble de la société serait à terme bénéficiaire.


[1] « Rapport d’évaluation du CNRS », novembre 2023, p. 4, consultable en ligne sur le site du Hcéres.

La vraie menace de ChatGPT: la fin de l’écriture

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Image d'illustration, enfant écrivant à son bureau © Stephane ALLAMAN/SIPA

L’espoir de laisser par l’écriture la trace d’une pensée s’estompe à mesure que grandit l’influence de Chat GPT, jusque dans les salles de classe. Il n’est pas question de négocier avec ce robot, il faut le combattre et lui interdire le champ de la pensée réflexive.


Lecture et écriture sont le propre de l’Homme

Lire et écrire constituèrent la magnifique réponse à la question que les hommes ont mis des centaines de milliers d’années à oser formuler : « Que suis-je ? » Cette question, qu’ils ont si longtemps tenté d’occulter dans la griserie de l’immédiate réaction, n’a pu émerger du plus profond de leur intelligence collective que lorsqu’ils osèrent mettre en mots, en une même affirmation, leur conscience d’Être et la certitude de devoir, un jour, n’être plus. Si la création de l’écriture a été si tardive dans l’histoire de l’humanité (il y a quelques milliers d’années seulement), alors que la construction du langage était depuis longtemps engagée, c’est sans doute parce qu’il a fallu du temps pour que le besoin d’assurer une continuité spirituelle se manifestât au sein d’une intelligence humaine osant enfin regarder la mort en face. Par le génie de l’écriture, un être humain pu ainsi confier à un autre, qu’il ne connaissait pas, une trace de son esprit, en espérant que cette trace serait reçue quand lui-même ne serait plus.

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C’est donc dans des mots envoyés au plus loin de lui-même que l’Homme trouva la meilleure défense, le meilleur abri contre la « terreur de la dilution » : « Je suis celui qui écrit et qui en écrivant, laisse dans l’intelligence d’un inconnu une trace qui, pour être maladroite et sans réelle beauté, est et sera une preuve tangible de mon existence singulière. » S’il est nécessaire que nous nous battions en famille et à l’école pour que nos enfants sachent lire avec émerveillement et écrire avec délice, c’est afin qu’ils sachent qu’ils sont et qu’ils seront. Lecture et écriture portent ainsi ensemble ce que j’appellerai la « résistance existentielle ». Lire et écrire sont en ce sens absolument indissociables : lire, c’est répondre fraternellement à l’appel désespéré de l’écriture ; telle est l’alliance sacrée de la lecture et de l’écriture qui fait de nous des êtres à nuls autres pareils ; des êtres capables de s’élever au-dessus de leur humaine condition.

La menace de l’IA

Ce sont les termes de ce pacte sacré que menacent d’effacer aujourd’hui les robots conversationnels comme Chat GPT. N’écrivez plus, ne créez plus ! Recopiez ! N’inventez plus ! Vous ferez de toute façon moins bien, moins riche, moins séduisant. Acceptez la défaite de votre intelligence singulière et inclinez-vous devant la puissance infinie des data et l’astuce des algorithmes qui savent choisir et agencer les informations afin de répondre au plus près de vos attentes supposées. Surtout, surtout ne rêvez plus « d’inécrit » ; n’imaginez pas que vous puissiez jamais écrire ce que jamais personne n’a écrit, penser ce que jamais personne n’a pensé, transmettre ce que jamais personne n’a transmis. Tout est déjà écrit et stocké ; l’heure est venue du grand ressassement. Et si, par un hasard « malencontreux », émergeait une idée inédite, une proposition originale, une image audacieuse ou une innovation scientifique elle se fondrait illico dans la masse informe des data prête à être débitée pour combler vos désirs étiquetés. L’idée même d’une écriture singulière, en quête d’originalité est ainsi bafouée par Chat GPT. L’espoir de laisser par l’écriture la trace d’une pensée à nulle autre pareille est ainsi dénoncé par cette impitoyable totalitaire. L’espérance même d’une continuité spirituelle, défiant notre disparition matérielle, est détruite : l’espoir d’immortalité est passée du côté de la machine et l’Homme est voué sans recours à la dilution. De ce point de vue, Chat GPT est notre ennemi juré ; il est une menace pour nos enfants, pour nos élèves. Il n’est pas question de négocier avec ce robot, encore moins de pactiser avec lui, il faut le combattre et lui interdire le champ de la pensée réflexive.

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Lui permettre, sous prétexte de modernité, d’entrer dans les classes, serait accepter que progressivement les élèves veuillent savoir sans se donner le temps d’apprendre. Toute attente, tout délais imposés par un tâtonnement souvent laborieux les exaspèreront et pourront les mettre dans une colère souvent rentrée et paralysante. Pour la plupart, ces élèves rendus fragiles seront incapables de faire l’effort de construire des réponses par le dialogue et l’argumentation. Savoir, oui ! Apprendre à construire eux-mêmes malgré leurs doutes et leurs inquiétudes, non ! Ce « temps de débat interne » ferme et serein qui est nécessaire à la construction d’une réflexion, provoquera chez ces élèves d’un nouveau type la dispersion et la déroute. Ils vivront cette invitation comme un vide, comme une faille, parce que le doute, l’incertitude et la distance seront devenus pour eux trop douloureux pour pouvoir stimuler l’activité de penser (Serge Boimare, L’enfant et la peur d’apprendre, 2014). Au lieu de ressentir l’anxiété légère et normale que provoque naturellement le fait de ne pas savoir encore, c’est une terrible frustration qui les envahira quand il faudra associer, faire des liens, en un mot…  chercher contre soi-même et contre l’Autre. Piégés dans un univers où le trivial le dispute au superficiel et le prévisible à l’imprécis, les élèves chemineront sur la voie de la passivité car ils se seront habitués à se contenter de réponses immédiates, évidentes et définitives.

Aujourd’hui plus que jamais ce sont les termes de l’alliance entre lecture et écriture que nous devons absolument transmettre à nos enfants, à nos élèves si nous voulons qu’ils ne sombrent pas dans la désespérance et l’insignifiance. À la question si essentielle « que suis-je ? », refusons qu’ils répondent : « Je suis celui qui disparaitra un jour et dont il ne restera rien ! » ; « Je suis celui qui, incapable de laisser une trace singulière de lui-même, meurtrit et tue pour faire semblant d’exister. » Non ! faut leur apprendre à tenir un tout autre discours : « Je suis celui qui écrit comme personne d’autre n’a osé écrire, je suis celui qui écrit pour que, dans la nuit, au loin, une chandelle s’allume. »


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La barbarie moderne: un retour des ténèbres sous des masques multiples

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Des militants du Hamas remettent des cercueils contenant quatre corps à la Croix-Rouge à Khan Younis, pour qu'ils soient renvoyés en Israël, le jeudi 20 février 2025 © Abdel Kareem Hana/AP/SIPA

Les cérémonies organisées par le Hamas en marge de la remise des cadavres des enfants Bibas glacent le monde. Malheureusement, la barbarie n’est pas uniquement le propre du Hamas mais se généralise sur la planète.


Frapper des policiers isolés à coups de barre de fer, ou jeter un cocktail Molotov dans leur voiture en mettant leur vie en danger, ne relève en rien d’une lutte héroïque contre les inégalités et les injustices sociales. Il ne s’agit pas d’un acte de résistance légitime contre la supposée violence d’État et ses prétendus « chiens de garde » au service des puissants, comme certains intellectuels gauchistes aimeraient le faire croire. Ce n’est ni un cri de révolte éclairé ni un acte d’insurrection noble : c’est une régression brutale, un retour aux instincts les plus primitifs de l’humanité. C’est la manifestation d’une barbarie contemporaine qui, sous des prétextes idéologiques ou pseudo-moraux, nie toute notion d’humanité, de respect et de justice véritable.

Retour d’un imaginaire médiéval féroce

Depuis les attentats survenus dans différentes villes d’Europe, le terme de terrorisme islamiste est devenu omniprésent dans le débat public. Les images du chef de Boko Haram justifiant, au nom d’Allah, l’enlèvement de jeunes filles nigérianes, majoritairement chrétiennes, leur mariage forcé, leur conversion à l’islam et, dans certains cas, leur vente sur des marchés, ont profondément choqué les consciences à l’échelle mondiale.

Plus récemment, les événements tragiques impliquant le Hamas ont ravivé cette horreur. L’un des épisodes les plus glaçants fut la macabre cérémonie organisée à Gaza, où des cadres contenant les photos des jeunes enfants israéliens kidnappés lors des attaques du 7-Octobre 2023 furent exhibés dans une mise en scène sinistre. Ce qui choque davantage, c’est l’accueil enthousiaste de cette démonstration : la foule des Gazaouis a applaudi cette mise en scène morbide, et des parents ont même emmené leurs enfants pour y assister. Ce spectacle macabre, loin de susciter l’indignation, a été célébré par une partie de la population, révélant à quel point la barbarie peut s’enraciner dans les sociétés plongées dans la haine et la propagande.

Pourtant, cette brutalité n’est pas unique à un contexte religieux ou géopolitique précis. Paradoxalement, des œuvres de fiction populaires, telles que Game of Thrones, encensées en Occident, plongent elles aussi les spectateurs dans un univers où la sauvagerie règne en maître. Elles dépeignent un monde médiéval féroce où clans et seigneurs s’affrontent, où les massacres, les viols et les mutilations deviennent des instruments ordinaires de pouvoir. Cette fascination moderne pour la violence crue et la domination brute reflète peut-être, sous une forme détournée, l’attrait inquiétant pour un monde régi par la loi du plus fort.

La barbarie n’est pas l’apanage d’une religion, d’un peuple ou d’une région du monde. Elle traverse les âges et les civilisations. En Afrique des Grands Lacs ou dans certaines régions d’Amérique latine, des massacres et des violences extrêmes surviennent sans le moindre lien avec l’islam. En Europe, notre propre histoire est marquée par des épisodes sanglants : des guerres de religion entre Protestants et Catholiques aux horreurs de la Terreur révolutionnaire, où, sous prétexte de justice sociale, on guillotinait à tour de bras, rasait des villes entières et exterminait des populations accusées de trahison.

Voltaire rappelait avec une ironie amère les atrocités de la Saint-Barthélemy, où les citoyens de Paris, aveuglés par le fanatisme religieux, assassinèrent sans pitié leurs compatriotes qui n’assistaient pas à la messe. Cette violence, qu’elle soit justifiée par la foi, la politique ou l’idéologie, trouve toujours ses racines dans l’intolérance et la haine viscérale de l’Autre.

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Les djihadistes invoquent le Coran pour justifier leurs actes abominables, tout comme les nazis invoquaient une mythique pureté aryenne et une vision fantasmée du Saint Empire romain germanique, ou comme les gardes rouges de la Révolution culturelle s’abritaient derrière le Petit Livre rouge de Mao pour légitimer leurs exactions. Dans chacun de ces cas, l’idéologie, qu’elle soit religieuse ou politique, devient le masque d’une volonté de destruction, d’un rejet viscéral de la liberté individuelle et de la pensée critique.

Mais de quoi s’agit-il réellement ?

Lorsqu’un monde change trop rapidement, les sociétés peuvent ressentir un profond sentiment d’humiliation, d’impuissance et de peur face à des mutations qu’elles ne comprennent plus. C’est dans ces moments de fragilité que germe la violence. L’agression devient alors une réponse maladroite, une tentative désespérée de reprendre un semblant de contrôle sur une réalité qui échappe à l’individu.

Face à ces bouleversements, certains cherchent des coupables faciles. Ils fabriquent des boucs émissaires, s’enferment dans des clans, et se livrent à des rébellions désespérées contre une autorité perçue comme brutale et corrompue. Ironie cruelle : en s’alliant à d’autres formes d’autorité, souvent plus impitoyables et dogmatiques, ils espèrent trouver une vérité absolue, une cause à défendre.

C’est dans ces moments que ressurgissent les monstres de l’imaginaire collectif, les tyrans qui offrent des illusions de puissance à ceux qui se sentent dépossédés. Cet univers sombre, peuplé de violence et de pulsions destructrices, se reflète dans des récits comme Game of Thrones, où la soif de pouvoir justifie toutes les cruautés. Les faibles y deviennent des proies, les femmes des objets de conquête, et les adversaires des cibles à détruire.

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Aujourd’hui, cette régression touche plusieurs régions du monde – du monde musulman à certaines zones d’Afrique et d’Amérique latine. Ce retour à la barbarie repose sur un rejet viscéral de la modernité et de ses valeurs fondamentales : la raison critique, l’éducation, l’émancipation des individus, en particulier des femmes. Le nom même de Boko Haram, qui signifie en haoussa « l’éducation occidentale est un péché », illustre ce rejet profond.

Mais, en réalité, l’idéologie n’est qu’un prétexte. Le fanatique, qu’il soit religieux ou politique, n’est guidé ni par la foi ni par la justice, mais par la haine et la peur. Il ne s’attaque jamais aux puissants véritables : il cible ceux qui représentent symboliquement une force honnie, tout en étant suffisamment vulnérables pour qu’il puisse, en lâche, frapper sans risquer de véritables représailles.

En fin de compte, cette violence n’est pas le signe d’une quête de justice ou d’émancipation, mais d’une régression vers les ténèbres, où la barbarie se déguise en vertu et où la haine se pare des habits trompeurs de la vérité sacrée. La vigilance est de mise, car ces monstres ne surgissent pas du néant : ils se nourrissent des failles de nos sociétés, des frustrations, des humiliations et des abandons, pour s’imposer là où la raison s’efface. 

Cronos, premier film de Guillermo del Toro: une résurrection

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Cronos © Cameliadistribution

Un conte vampirique, peu connu en France, qui relate l’histoire d’un homme victime d’un sortilège suite à la piqûre d’un mystérieux scarabée…


Affiche du film Cronos, 1993 © Cameliadistribution

Retour aux sources : Guillermo del Toro n’a pas nagé de tous temps dans les superproductions aux effets visuels aussi dispendieux que spectaculaires, cf. Le Labyrinthe de Pan (2006), La Forme de l’eau (2017), etc. On avait pu déjà revoir en salles, il y a quelques années, restauré sous les auspices de Carlotta Films, cette perle du cinéma fantastique titrée L’Échine du diable (2001). Le film nous transportait à l’époque de la guerre civile espagnole, dans une économie de moyens auquel le cinéaste mexicain désormais passé sous étendard U.S nous a déshabitué depuis. Sur le registre formel superlatif auquel Guillermo del Toro sacrifie aujourd’hui jusqu’à l’excès, les aficionados, en 2025, soupirent après son Frankenstein, promis pour novembre prochain sur Netflix avec, au casting, rien moins que Christophe Waltz et la nouvelle coqueluche des réseaux, l’australien Jacob Elordi.

En attendant ressort cette semaine en salles son premier long métrage, Cronos, restauré paraît-il sous sa supervision personnelle. Je crois bien que ce film n’avait été vu à l’époque, en France, que par les fanatiques de l’Étrange Festival, autant dire personne. Ce merveilleux conte macabre, aux couleurs chatoyantes et à l’esthétique épurée, laisse déjà augurer de la suite. En 1993, Guillermo del Toro n’a même pas trente ans : d’une maturité stupéfiante, son talent de conteur éclate dans Cronos.

À Mexico, un vieil antiquaire, Jesus Gris, élève avec amour sa petite-fille, orpheline âgée de 8 ans. Dans le socle en bois d’une statue ancienne qu’il s’affairait à restaurer, il découvre un objet ouvragé, en or, une espèce de scarabée doté d’un mouvement d’horlogerie. Mais le joyau est pourvu d’un étrange mécanisme : des griffes se déploient, enserrent la main de Jesus, un dard en surgit, qui lui injecte un venin secrété par un insecte abrité dans ses entrailles.

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Par l’effet de ce sortilège, Jesus sent l’envahir un fluide de jouvence. Il en garde le secret, dont seule l’enfant restera complice. Or voilà que, détenteur d’un incunable livrant le mode d’emploi du bidule, un milliardaire à l’agonie, aidé de son filandreux majordome, s’est mis sur la piste du talisman. Le grabataire est prêt à tout pour le récupérer, jusqu’à cambrioler la boutique de l’antiquaire. Sans succès. Reste que la mue de Jesus ne va pas sans souffrance : l’insecte captif a besoin de sang pour dispenser son suc réparateur, il faut donc en laper, en boire – soif inextinguible… Fatale.

Croisant le mythe de Faust et de Dracula, Cronos préfigure les motifs dont les opus ultérieurs de Guillermo del Toro feront leur miel. Dans le rôle de Jesus, feu l’acteur argentin Federico Luppi (1936-2017). Claudio Brook (1927-1995) campe ici le méchant richissime – dernier emploi de la vie professionnelle du comédien mexicain. Quant au sbire traître et sadique, incarné par l’acteur américain au visage simiesque Ron Perlman, son emploi dans Cronos contribue à asseoir cette belle carrière qui, à l’enseigne de Guillermo del Toro, le mènera jusqu’au rôle-titre de Hellboy (2004) puis de Hellboy 2 (2008), jusqu’à Pinocchio il y a trois ans…

Les premiers films n’ont pas toujours « fait leur temps », comme on dit : Cronos est captivant.


Cronos. Film de Guillermo del Toro. Avec Federico Luppi, Ron Perlman, Claudio Brook, Margarita Isabel. Mexique, couleur, 1993. Durée: 1h33
En salles le 26 février.

Au revoir les enfants

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Une femme pleure alors qu'un convoi transportant les cercueils contenant les corps de quatre otages israéliens, dont une mère et ses deux enfants, tout juste remis par des groupes militants palestiniens à Gaza, passe sur une route près du kibboutz Reim, dans le sud d'Israël, le jeudi 20 février 2025 © Ariel Schalit/AP/SIPA

Le Hamas a remis ce matin à Israël les corps de quatre otages, dont ceux des deux enfants Bibas, en échange de la libération de prisonniers palestiniens. Le commentaire d’Elisabeth Lévy.


L’institut médico-légal Abu Kabir de Tel-Aviv a annoncé ce soir que les travaux d’identification des corps restitués à Israël plus tôt dans la journée par le Hamas se poursuivaient pour trois d’entre eux, le quatrième – Oded Lifshitz , 85 ans – ayant déjà été identifié NDLR.

Je n’ai rien à dire. Rien que ne disent déjà les yeux rieurs de ce bébé rouquin assassiné parce qu’il était juif. Rien d’autre que l’incompréhension et l’envie de croire que nous n’oublierons pas, même si, bien sûr nous continuerons à tapoter sur nos téléphones et à faire les soldes (on a arrêté la poésie, mais pas à cause d’Auschwitz). Il y a des enfants soldats. Guillaume Erner rappelait l’autre matin que Kfir Bibas avait fait entrer dans notre vocabulaire le monstrueux oxymore « bébé-otage ».

La mémoire vit avec son temps. Les visages de Kfir et Ariel Bibas que nous garderons sont des instantanés heureux, vestiges en couleur de promesses piétinées. Pourtant, ils convoquent irrépressiblement l’image en noir et blanc de l’enfant du ghetto de Varsovie. Mis en joue par un soldat allemand, il lève les bras. À ses côtés, une femme, sans doute sa mère, dont l’amour surpasse encore l’indicible effroi. S’appelait-il Yentl, Shmouel, Moïshé, on ne sait pas. La photo, retrouvée dans l’album d’un SS, ne voulait pas dénoncer, mais prouver le sérieux de l’entreprise de déjudaïsation menée par les nazis. Le 7-Octobre, les assassins ont pris des photos et des vidéos, pour montrer au monde entier, et à leurs familles pétries de fierté, qu’eux aussi étaient capables de massacrer des juifs. Qu’ils pensent être des héros ­– et le soient pour beaucoup – révèle à quel point la « cause palestinienne » a perdu la tête.

Alors que l’atroce nouvelle de la mort des Bibas se répandait, distillée au compte-goutte par les sadiques du Hamas, un autre visage est arrivé dans ma boite aux lettres, celui du jeune Roman Polanski, un autre enfant du ghetto dont la mère n’est pas revenue. Sandrine Treiner publie chez Flammarion le bouleversant témoignage qu’il a livré à l’INA ainsi que celui de son père, rédigé après plusieurs décennies de silence1.

A lire aussi, Guillaume Erner: «Je n’ai pas vu venir ce qui nous arrive »

Alors que le convoi funèbre de véhicules blancs traversait Israël en deuil, comment ne pas penser aussi à Myriam Monsonego, Arié et Gabriel Sandler (8, 5 et 3 ans) assassinés dans une cour d’école, eux aussi parce qu’ils étaient juifs ? L’uniforme change, la rage d’effacer ne varie pas, comme en témoigne l’obscène mise en scène des échanges – si obscène que même la Croix-Rouge s’en est émue. Comme le rappelle Michael Prazan dans La vérité sur le Hamas et ses idiots utiles (L’Observatoire, 2025), la force maléfique du Hamas, c’est l’amour de la mort – même si ses dirigeants aiment surtout celle des autres. Qui osera demander aux Israéliens de se réconcilier avec ces foules qui dansent sur des cercueils ?

Bien sûr, toutes les vies se valent. Encore que. J’ai beaucoup de mal à penser que celle de Yahia Sinwar, qui aura laissé pour toute trace de son passage sur terre un fleuve de sang, vaut celle de Kfir Bibas. Et autant à ne pas regretter que des médecins israéliens lui aient sauvé la vie. Mais toutes les vies d’enfants se valent. Il n’y a pas de bons et de mauvais enfants morts. On doit tous les pleurer. Les enfants palestiniens tués à Gaza étaient eux aussi des promesses détruites, eux aussi avaient des mères qui ont filmé leurs premiers sourires. Combien, parmi ceux qui restent, sont détruits de l’intérieur par le bourrage de crâne et l’endoctrinement au fanatisme, on l’ignore. Peut-on en vouloir aux enfants de croire ce que leur disent les adultes ?

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On n’honore pas par le mensonge. Si toutes les vies d’enfants se valent, toutes leurs morts n’ont pas le même sens. Les enfants de Gaza ont été délibérément, cyniquement sacrifiés par le Hamas, sans doute la seule « force militaire » au monde qui protège ses combattants et expose ses civils. Ne les laissons pas enrôler dans la croisade « antisioniste » de l’islamo-gauche, alors que le mensonge éhonté du « génocide » est devenu une vérité, qui sert de sauf-conduit à tous ceux qui réclament plus de liberté d’expression pour pouvoir cracher leur haine des juifs.

On croit souvent que l’injonction juive « souviens-toi » – Ytzkor – concerne les victimes. Mais il s’agit d’abord de se souvenir d’Amalek, figure fondatrice des ennemis du peuple juif. Souvenons-nous de Kfir, Ariel, souvenons-nous de Myriam, Arié, Gabriel. Que les innocents massacrés reposent en paix. Mais n’oublions jamais ceux qui profanaient leurs visages placardés sur les murs de nos villes. N’oublions pas les ricanements d’Ersilia Soudais, n’oublions pas les mensonges de Guiraud, Caron, Delogu et consorts, n’oublions pas les sous-entendus de Mélenchon. Le déshonneur ne s’efface pas avec le temps.

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Édouard Baer, un Cyrano fraternel

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Edouard Baer dans le rôle de Cyrano de Bergerac, au Théâtre Antoine à Paris © Matthieu Gerbaud

Notre chroniqueur est allé voir la reprise de la fameuse pièce d’Edmond Rostand


Il y a des journées qui marquent. Ce fut le cas avec le jeudi 13 février. Entre une émission passionnante et batailleuse le matin à l’Heure des pros sur CNews et, avant mes irremplaçables Vraies Voix sur Sud Radio, un film de 3 h 30 dur, âpre, éprouvant, singulier : The Brutalist. Puis un couronnement espéré le soir : Cyrano de Bergerac  au théâtre Antoine, avec Édouard Baer. J’attendais avec impatience son interprétation de ce rôle mythique. J’avais lu des entretiens avec lui et avec Anne Kessler (metteur en scène, sociétaire honoraire de la Comédie-Française) et je ne doutais pas que nous échapperions à la médiocrité.

Un défi

Pourtant, quel défi ! Nous avons tous dans la tête le film magnifique de Jean-Paul Rappeneau avec un Gérard Depardieu indépassable. L’erreur aurait été de chercher à rivaliser avec ce monument artistique alors que déjà la relative pauvreté des moyens du théâtre et le nombre réduit des comédiens auraient rendu impossible une telle gageure. Nous n’avons pas été déçus parce que délibérément le Cyrano d’Edouard Baer a été sorti du champ de l’épopée pour s’inscrire dans celui de la fraternité, de la proximité. C’était non plus le Cyrano qu’à l’évidence nous n’aurions pas pu être mais un ami abordant tous les morceaux de bravoure de la pièce avec une sorte de simplicité, de familiarité. Nous étions ainsi accordés avec ce héros, ses fiertés, ses exigences et sa flamme. Il n’était plus à des années-lumière de nous !

Il me semble d’ailleurs que le terme de héros, avec ce qu’il implique de courage, d’audace, d’exemplarité et d’aura charismatique, n’est plus approprié car on cherche à nous montrer, malgré la splendeur du texte qui n’est jamais sacrifié, un Cyrano à ras d’humanité.

« Cyrano de Bergerac » actuellement au Théâtre Antoine à Paris © Matthieu Gerbaud

Cette démarche artistique révèle à quel point ces vers – tellement connus qu’ils sont consubstantiels à notre patrimoine comme la morale qu’ils expriment – peuvent cependant appeler une autre vision que celle habituelle du panache, de la gloire, de l’affirmation sourcilleuse de soi.

Il y a de la modestie dans le Cyrano d’Édouard Baer, quelque chose de doucement et de tristement pathétique dans la conscience de ce qu’il croit être sa laideur alors que « ses élégances » sont ailleurs, et dans une sorte de fatalisme jamais plaintif que ce grand acteur joue admirablement.

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C’est une épopée perdant son lustre pour plus d’humanité. C’est une expression, à la fois navrée mais emplie d’allure, d’un destin que nous aurions à égaler : il y a comme une incitation subtile à nous signifier que Cyrano n’est pas si éloigné et qu’il est un frère qui ne doit pas nous intimider.

Soulagement

Tout au long de la représentation, Edouard Baer, usant finement d’une palette de sentiment, d’espérance, de mélancolie et de nostalgie contrastée mais jamais forcée, demeure dans une élocution homogène, sans s’abandonner – et c’est le parti pris du spectacle – à des débordements qui le conduiraient, pour être admiré, à se mettre en scène lui-même face aux autres.

Paradoxalement c’est sans doute la seule faiblesse de cette intelligente représentation. Gérard Depardieu, jouant la déchirante scène finale, émeut au-delà de tout parce qu’il y a un gouffre entre son verbe généralement tonitruant d’avant et les murmures affaiblis et si tendres précédant sa mort. Avec Édouard Baer, il n’y a pas ce changement de rythme. Il meurt doucement comme il a offert ce qu’il était : sans exhibition.

Je craignais tellement la trahison de ce chef-d’œuvre par des initiatives discutables que, au soir de cette journée exceptionnelle, j’ai poussé un ouf de soulagement et, mieux, de bonheur.


Cyrano de Bergerac
Jusqu’au 27 avril au Théâtre Antoine, les mardis, mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 21h, les samedis et dimanches à 16h.