Picasso créait-il avec autre chose qu’avec son cerveau ? Dans son dernier livre, sa biographe, Sophie Chauveau, repère une connexion entre les cycles sexuels et artistiques du peintre.
Benoît Rayski. Pourquoi ce titre de votre livre : Si jamais je mourais ?
Sophie Chauveau. C’est une phrase de Picasso. Il n’envisageait absolument pas de mourir. L’idée que la vie prend fin un jour le hérissait au plus degré. Une impossibilité totale pour lui.
Derrière les tableaux auxquels vous rendez hommage, il y a l’homme : une bête, il traitait les femmes comme de la viande. Quel besoin aviez-vous d’aller fouiller dans ses entrailles ?
Ça correspond à ses cycles picturaux : chaque fois qu’il rencontre une femme, il tombe en amour et sa peinture devient belle. C’est magnifique. Et quand il commence à ne plus la désirer, ça se gâte. Et au lit, et en peinture. Une destruction du monde, des tableaux et de la femme.
Est-ce que ça veut dire qu’il y a des tableaux qui sont moins beaux que d’autres ?
Les critiques d’arts ont beaucoup dit, par exemple, que les dernières années étaient exclusivement sexuelles, presque des graffitis de chiotte. Tous chargés d’une dose d’Eros importante. Mais il y a parmi eux des chefs d’œuvre absolus.
Ça ne répond pas vraiment à ma question. Pourquoi êtes-vous allée fouiller ça ?
Parce j’ai besoin de comprendre comment marche la cuisine de l’être humain qui devient un génie créateur. Ce qui m’intéresse, c’est la matière même de la vie. Quand on n’est pas dans le gras de la vie, on ne peut pas comprendre l’œuvre.
Vous ne risquez pas de désespérer beaucoup d’admirateurs de Picasso ?
D’abord, ce n’est pas moi qui le révèle, ses femmes en ont parlé, ses amis en ont parlé, ses enfants en ont parlé. Je n’ai fait que compiler quelque chose qui était connu. N’oublions pas le bonhomme qui a fini comme une rockstar en téléphonant toutes les semaines à Paris Match pour être dans le journal. Ça fait de lui un des êtres les plus médiatiques de la deuxième partie du XXème siècle.
Il y a une phrase terrible dans votre livre : « Picasso peignait avec le sang des autres »…
C’est une phrase de Françoise Gilot qui fut 10 ans sa femme et la mère de ses deux derniers enfants, Claude et Paloma. Elle a écrit cette phrase dans un livre où elle raconte sa vie avec Picasso qui n’était pas semée de roses.
Quel sens donnez-vous à cette phrase ?
Picasso a très tôt confondu son pinceau et son phallus : les deux alimentent sa sève intérieure. Il se sert des autres en allant piocher dans l’âme des autres, en allant patauger chez les autres.
Vous n’êtes pas sortie intacte de votre livre alors ?
Non. Picasso ça démolit. Ça bouge encore. Il y a quelque chose chez cet homme et cette œuvre et cette puissance de création qui continue de travailler ceux qui s’en approchent. Les tableaux vibrent encore et le bonhomme aussi.
Si Jamais je mourais. Sophie Chauveau. Editions Télémaque.
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