En cette rentrée littéraire, que lire? Un premier roman signé de P.E. Cayral, intitulé Au départ, nous étions quatre.
Il existe deux grandes sortes de romans. Il y a d’abord ceux qu’on lit malgré leurs toutes premières pages. Qu’on se force en quelque sorte à lire. Parce qu’on considère qu’il peut falloir un peu de temps pour que se noue une relation sérieuse entre un lecteur et un auteur, a fortiori quand ce dernier est totalement inconnu du premier. Ou parce que l’on aime s’infliger des sévices, plaisir spécial qu’on désigne à l’aide du terme de « masochiste ».
Fortiche
En dehors de ces romans-là, il y a ceux qu’on lit grâce à leurs premières pages. Celui de P.E. Cayral est à ranger dans cette seconde catégorie. Lisez celles qui ouvrent Au départ, nous étions quatre, qui composent un chapitre intitulé « Greg », et vous comprendrez. Ces pages lues, c’est naturellement que vous entamerez le chapitre suivant. Et ainsi de suite. Jusqu’à la fin. Qui n’en est peut-être pas une puisque manque, c’est assez remarquable, le point final de rigueur, sinon habituel…
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C’est assez fort ce que réussit P.E. Cayral. En effet, parvenir ainsi à nous intéresser à l’histoire d’une fratrie qui aurait dû, si l’un d’entre eux n’était pas mort-né, comporter quatre garçons, n’était pas gagné. Qu’il s’agisse des Quatre filles du docteur March ou de Rocco et ses frères, les familles nombreuses et leurs péripéties intimes, disséquées sur des centaines de pages ou des heures durant sur grand écran, ont moins le vent en poupe de nos jours.
Même couronnées, elles intéressant beaucoup moins si ne se dégage pas d’emblée comme une forte odeur de scandale. Alors un clan de Bretons issu d’un milieu paysan, quand la population des agriculteurs actifs se réduit chaque année comme peau de chagrin, vous pensez bien… Pourtant, avec P.E. Cayral, ça passe comme une lettre à La Poste du temps de sa splendeur, c’est-à-dire d’avant sa privatisation. Il y a longtemps.
Humour et style
Pourquoi la sauce prend-elle ? Parce qu’en dehors des premières pages, c’est tout l’ensemble qui est fort bien écrit. Aussi bien que Les pâturages du ciel, un roman de John Steinbeck peu connu mais qui vaut le détour, du moins quand il est traduit de l’anglais par Louis Guilloux, le fameux auteur du Sang noir. Ça, on ne peut pas dire, le P.E. Cayral, il sait tenir un stylo – ou se servir de son traitement de texte. Et sûr, aussi, qu’il a une conception assez exigeante de l’écriture qu’on dit « en prose », en plus de savoir ce que c’est que la poésie. Même un expert-comptable ou un inspecteur des finances, ce qu’on a fait de mieux en matière de robot à visage humain, ce roman doit être en mesure de lui faire des choses, soit lui nouer la gorge, soit lui picoter les yeux. Il a du style, le P.E. Cayral.
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Il a du style et un certain humour aussi, ce qui ne gâche rien, au contraire. Surtout quand il parle des cadres sup’, rompus à l’art de la reptation devant le patron, et plus particulièrement de leur « dossier de contenance » : « celui qui ne quitte pas le cadre sup en promenade dans un couloir, fait de pages blanches sans rien dessus, et qu’il faut apporter pour donner à la rencontre un signe d’intérêt. »
Sur la quatrième de couverture, l’éditeur ne nous dit pas grand-chose à propos de P.E. Cayral. Juste qu’il « vit à Paris mais (…) parcourt l’Europe pour vendre des chapeaux. » Si c’est vrai, il ferait bien de cesser rapidement cette activité pour embrasser une carrière de romancier à plein temps.
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