La bande-annonce de Potiche est redoutable d’efficacité. Elle nous téléporte dans un univers seventies kitschouïlle, qui en fait théoriquement le parfait film du dimanche soir. L’intrigue, « librement inspirée » d’une pièce de Barillet et Grédy, promettait une bonne tranche de rigolade, certes au prix de quelques grosses ficelles. L’histoire en deux mots ? Dans la France des années Giscard, Pujol l’industriel – qu’incarne Fabrice Luchini – admoneste ses ouvriers et délaisse sa femme. Jusqu’au jour où une attaque le contraint à confier les rênes de l’usine à sa cocue d’épouse interprétée par une Catherine Deneuve au brushing impeccablement laqué. S’ensuivront une mini-révolution féministe et la transformation d’une petite ville de province patriarcale en avant-garde de la gynécocratie. En fait Potiche, c’est le kitsch de 8 femmes recouvert du papier peint féministe, le tout suintant d’un humour guimauve et niais.
Pauvres acteurs
À force d’avancer avec ses gros sabots, Ozon finit par s’essuyer les pieds sur le spectateur pendant 1h45. Sans craindre d’assumer son rôle de réalisateur démissionnaire. Comme ces parents qui laissent leur progéniture sortir jusqu’à pas d’heure, il s’amuse à martyriser ses comédiens en les mutant en acteurs de série Z. Quiconque a vu Luchini moquer l’empire du Bien au théâtre de l’Atelier, ne peut qu’être pris d’empathie pour le sort qu’Ozon lui réserve. Quel sens de la nuance psychologique fallait-il pour camper un grand patron tout à la fois cupide, volage, phallocrate et réac !
Que Luchini se console, le reste de la distribution n’est guère mieux loti. Tous récitent leurs poncifs lénifiants (« c’est le sens de l’histoire, partout les femmes prennent le pouvoir ») en pilotage automatique. Histoire de coller avec la pauvreté du script, ils font l’effort de (très) mal jouer. On le concède volontiers, cela finit par payer ! La seule trouvaille d’Ozon ? Convier une ex-gagnante de la Star’Ac à incarner Deneuve jeune et ses frasques filmées à la Marc Dorcel.
Soyons honnêtes, Ozon a au moins compris une chose : il est très difficile de rater un film. Potiche n’est pas une œuvre ratée mais un film manqué. Pour le rater, encore eût-il fallu essayer. Là où Ozon est impardonnable, c’est qu’il a loupé son ratage. Après tout, il y a des films ratés qu’on aime voir et revoir pour leurs rares instants de grâce ou leur mauvais goût extrême
Quitte à céder aux facilités d’un moralisme de supermarché – songez que le fin mot du film est « C’est beau la vie ! »- Ozon aurait dû pousser la provocation jusqu’au bout. Sans se contenter benoîtement de faire danser Deneuve sur du Michèle Torr, il aurait gagné à carrément dévaster son film : engager Max Pécas comme assistant-réalisateur aux côtés des toujours verts Jacques Balutin et Olivier Lejeune lequel, flanqué d’une moumoute blonde, aurait fait une Mme Pujol plus vraie que nature. Cela aurait eu de la gueule ! Mais à la consternation, la vraie, Ozon a lâchement préféré le son rassurant du tiroir-caisse. Après tout, les premiers chiffres du box-office lui donnent raison…
Faire triompher les avancées sociétales
Pourtant, Eclater de rire devant Potiche réclame un certain effort.
Du renversement des rôles sur lequel repose tout le film jusqu’aux amourettes entre le patronat en jupette et le syndicaliste bourru mais romantique, tout est strictement téléguidé. Les scènes aux couleurs guimauves s’enchaînent sans surprise et assaillent le spectateur de répliques ringardes et de sketches prévisibles. Alors devant la série affligeante de stéréotypes dégoulinants de conformisme, le spectateur ne peut qu’afficher un sourire convenu. Du créatif homo à la bourgeoise nympho, version Lady Chatterley relookée à la mode des seventies, du patron pourri aux employés exploités, Ozon ne va pas chercher très loin. De même que pour sa ridicule déduction : les femmes seraient de meilleurs patrons que les hommes, comme si les qualités morales étaient une affaire de sexe.
Mais là pas question de se moquer, il s’agit de faire triompher les avancées sociétales. Il est tellement plus confortable de se situer dans le camp des clichés officiellement admis comme vérités incontestables que de chercher à les perturber en inventant de réelles pitreries imprévisibles à l’ironie cinglante.
Le tableau final est donc consternant de bons sentiments. Femme libérée de la servitude liée à son sexe et à sa condition sociale, devenue le symbole d’un patronat moderne puis la super-woman d’une politique avant-gardiste, Mme Pujol aux côtés de son fils homo, désinhibé par son coming-out artistique, remporte la bataille menée contre l’archaïsme de la souveraineté patriarcale. Quelle leçon de drôlerie !
Mais Ozon atteint l’apothéose du kitsch lorsque, pour combler le vide du film, il s’adonne à aux clins d’œil anachroniques et faussement politiquement incorrects. Luchini ne cite plus Muray dans le texte mais Sarkozy. Des fameux slogans de la campagne présidentielle – « pour gagner plus, ils devront travailler plus » aux formules injurieuses – « casse toi pauvre con », voilà ce qui finit par faire rire le public. À croire que le sarkozysme est devenu dans le septième art la nouvelle ficelle du rire. Comme Mme Pujol qui fonde un parti « sans étiquette », François Ozon réalise un film qui tend vers le consensus mou pour mieux plaire à tout le monde. Potiche s’inscrit dans la lignée des films confortant les valeurs sacralisées de notre monde au lieu de s’en moquer.
Finalement, la seule potiche du film, c’est le spectateur.
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