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Ouzbékistan: le pays se désenclave à pas de géant


Ouzbékistan: le pays se désenclave à pas de géant
Depuis 2016, Shavkat Mirziyoyev est le président ouzbek. Ici photographié lors des élections de décembre 2019 © Photo: AP/SIPA Numéro de reportage: AP22411001_000002

Le magazine The Economist a récemment élu l’Ouzbékistan “pays de l’année 2019”. Analyse d’un pays longtemps isolé du reste de la marche du monde.


Le célèbre magazine The Economist a récemment élu l’Ouzbékistan “pays de l’année 2019”, un titre qui convient à un Etat qui s’améliore grâce à de vastes réformes. De fait, l’évolution récente est assez spectaculaire pour un pays qui vient de loin.

Longtemps le pays a eu la réputation d’être un des plus fermés au monde. Fermé il l’était vraiment, à plusieurs égards. C’est un des deux Etats au monde (avec le Lichtenstein) à être “doublement enclavé”, ce qui signifie qu’un de ses voisins n’a lui-même aucun accès à une mer ouverte ou à un océan. Ses relations avec plusieurs de ses voisins ont longtemps été détestables, les frontières avec le Tadjikistan et le Kirghizstan étant parfois fermées. Et le régime était un des plus opaques au monde, avec peu d’investissements étrangers et une mauvaise réputation en matière de droits de l’homme. Ministre puis premier secrétaire du parti communiste d’Ouzbékistan, Islam Karimov devint président après l’indépendance survenue en 1991, suite à l’implosion de l’Union soviétique et le restera pendant un quart de siècle, jusqu’à son décès en 2016.

Shavkat Mirziyoyev le réformateur

A sa mort, son premier ministre, Shavkat Mirziyoyev, nommé en 2003, le remplace en septembre 2016. Chacun s’attend à la continuité de la politique de son prédécesseur qu’il a loyalement servi pendant longtemps. Au contraire, le nouveau président entreprend une série de réformes qui entrainent un bouleversement économique et politique.

D’abord au plan économique, une véritable ouverture facilite les investissements étrangers, encourage le secteur privé, permet la diversification de l’économie (longtemps dépendante du coton) et le développement du tourisme. Le pays exporte du gaz vers la Russie, le Kazakhstan et surtout la Chine et dispose d’importantes réserves minérales encore inexploitées. Il a été classé par la Banque mondiale parmi les 20 pays où le climat pour les affaires s’est le plus amélioré .

Après la Russie, l’économie se tourne vers la Chine

Ensuite, et de façon spectaculaire, le pays se réconcilie avec ses voisins. Avec la République kirghize, les relations ont souvent été compliquées. Par la géographie et l’histoire, le sud de ce pays est très dépendant de l’Ouzbékistan. L’Union soviétique a laissé en héritage des frontières bizarres avec des enclaves territoriales et ethniques ouzbèke en territoire kirghize et vice versa. En 1990, dans la région de Osh, un conflit à forte dimension ethnique avait fait plus de 1 000 morts. Avec le Tadjikistan, le conflit portait surtout sur l’eau et la construction de barrages. Les montagnes tadjikes alimentent en eau les plaines ouzbèkes où le coton, gourmand en eau et crucial pour l’économie, est cultivé. Le président Karimov avait déclaré qu’une guerre pourrait résulter de ces tensions. Les deux pays se sont réconciliés et ont signé de nombreux accords de coopération.

Au niveau international, le pays s’efforce de garder de bonnes relations avec les grandes puissances de façon équilibrée, sans privilégier d’alliance particulière. La question de l’adhésion à l’Union économique Eurasie, dominée par la Russie, reste ouverte depuis plusieurs années. Plus d’un million d’Ouzbèkes travaillent en Russie et au Kazakhstan, mais certains craignent que la participation à cette union retarde une adhésion à l’OMC et une plus grande intégration au marché mondial. Le commerce avec la Chine a désormais dépassé celui avec la Russie et le pays a adhéré à la Belt and Road Initiative du président Xi Jing Ping. Avec les Etats-Unis, la coopération est aussi militaire.  En 2013, près de 70 % du ravitaillement envoyé au contingent américain en Afghanistan passait par le voisin ouzbek.

Islam modéré

Enfin au plan politique, le changement est aussi impressionnant. La justice a été profondément réformée afin de rendre les magistrats plus indépendants. De nombreux prisonniers d’opinion ont été libérés. L’Etat de droit a été renforcé dans plusieurs domaines.  Le gouvernement lutte aussi contre le « travail forcé » dans les champs de coton, une culture qui avait été dévolue à cette région par l’Union soviétique et qui a dramatiquement contribué à l’asséchement de la mer d’Aral.

Pays à 90% musulman, les Ouzbèkes pratiquent une forme modérée de l’islam et sont tolérants vis-vis des autres religions. Le gouvernement lutte contre l’extrémisme religieux qui, comme dans tous les pays musulmans, constitue une menace. En 2005, le pays a été victime d’une tentation d’insurrection islamiste dans la région de la vallée de la Ferghana autour de la ville d’Andijan. Depuis, les autorités surveillent les individus suspectés de radicalisation, mais le nouveau président a considérablement réduit cette liste, de 17 000 à un millier selon certaines sources.

Des élections législatives se sont tenues le 22 décembre 2019. Pour la première fois, elle offrait, dans chaque circonscription, la possibilité de choisir entre cinq candidats appartenant à cinq partis. Cette élection constitue un pas important dans la démocratisation du pays et l’OSCE a été invitée à les observer.

Un pays qui mériterait plus de touristes

Last but not least, le pays est sans doute amené à devenir une importante destination touristique. Son histoire est fascinante. Les émirats et khanats de Khiva, Boukhara et, bien sur Samarcande, la capitale de l’empire de Tamerlan, ont été, de 1798 à 1907, au centre du « grand jeu », la course d’influence entre la Russie des Tsars et l’Empire britannique, pour contrôler ces régions, magistralement retracée dans le livre de Peter Hopkirk, Le grand jeu : Officiers et espions en Asie Centrale. Le roman historique Samarcande d’Amin Malouf décrit l’ambiance de la ville au XIXe siècle et retrace la vie d’Omar Khayyâm, un philosophe, un poète, un astronome et mathématicien et celle de Hassan-e Sabbah, le fondateur de la secte des Assassins. Les monuments rénovés de ces villes datent plutôt des XIVe et XVe siècle, après les invasions mongoles qui ont ravagé la région et avant le déclin de la route de la soie, suite à l’ouverture de routes maritimes. Ce sont des merveilles de l’art musulman qui figurent au patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’Ouzbékistan, un pays dont on parle peu en Europe, mérite d’être mieux connu.  Les « nouvelles route de la soie » vont lui donner une nouvelle importance géopolitique. Ce n’est pas sans raison que The Economist l’a distingué cette année.

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Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins sans frontières, ex-président de l’International Crisis Group

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