Bien sûr, le dimanche 7 mai, je n’ai pas voté blanc, bien sûr j’ai voté Macron comme il le « fallait » et pourtant… Pourtant qu’est-ce qu’ils m’ont fatigué les « curés », les donneurs de leçons, les moralistes étriqués du camp du Bien. Ils m’auraient presque fait douter tant ils manquaient de doute, de curiosité et d’empathie. Moi, j’avais envie de nuance.
Il y a 30 ans, ma petite ville était heureuse
Au fond, j’aurais dû leur raconter l’histoire d’une ville comme il en existe beaucoup en France. Elle s’appelle Chauny, pourrait s’appeler Laon aussi, ou Soissons. Il y a trente ans, depuis mon petit village de Picardie, juché sur ma Mobylette 103 SP (pour les connaisseurs), j’allais y retrouver mes amis, la plupart fils d’ouvriers. C’était une ville heureuse, « la petite maison dans la prairie » version 20 000 habitants : un centre-ville vivant, des couples et des enfants aux sourires partagés, la simplicité d’existences réglées par les 3×8 des usines qui faisaient respirer l’économie de la ville et vivre le petit commerce. Une maison, un jardin, deux voitures, les couples d’ouvriers croyaient en l’avenir. Le parti communiste de l’époque accompagnait ces familles vers l’émancipation par les études et la culture.
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Seulement voilà, à partir des années 1990, les usines, l’une après l’autre, ont déposé le bilan ou été délocalisées. Nexans, Saint-Gobain, Atochem ont disparu du paysage. Il n’en reste plus une seule à Chauny. De plans sociaux en réductions d’effectifs, les ouvriers ont été ballottés, précarisés, chaque foyer perdant un puis deux emplois. Ne sont restés que quelques distributeurs low cost et grandes surfaces de hard-discount pour consommateurs subventionnés par la dette d’un État obèse.
Aujourd’hui, on y crève
Aujourd’hui, dans le centre historique de Laon, un magasin sur deux est en vente ou à louer. À Chauny, mon oncle médecin ne voit plus un seul patient à fiche de paye. Seuls demeurent les CMU, les RSA et les sans-rien. Chacun compte. À 30 euros près, le budget du mois déraille. On gratte le sol, on piste les promotions, on reporte les[access capability= »lire_inedits »] achats, on tente de faire pousser des légumes, on grappille, on troque. On prie pour que l’hiver ne soit pas trop rigoureux. Ici, on vit en réel le concept de « décroissance » cher aux enfants de bourgeois qui étudient la socio dans des facs proches du Quartier latin. Une panne de voiture met dans le rouge. Une chaudière en panne et c’est le drame. La misère, le gris et le désespoir suintent des rues traversées ici et là par des ombres courbées, honteuses d’être inutiles. Des gens furieux d’avoir été trahis par les délires de la gauche (135 heures, alourdissement des charges sociales…) ou par une CGT jusqu’au-boutiste qui a souvent accéléré le désastre. Des gens conscients d’avoir aussi été abandonnés par une droite adepte du libre-échangisme naïf avec la Chine et rêvant d’une économie basée uniquement sur les services.
La plupart de ceux-là votent Front national. C’est pourquoi, après cette campagne électorale, je ne peux cacher ma gêne devant le déferlement de rage qu’ils ont subi, une rage de personnes ou de médias protégés par les murailles du périphérique parisien. Que d’indécence dans ces leçons de morale assénées par les vainqueurs de la mondialisation à ses victimes. Qu’on me comprenne bien, je ne nie pas l’existence d’un noyau dur d’extrême droite dans ce parti et je le combattrai toujours de toutes mes forces. Mais je ne confonds pas la colère des populations ouvrières abandonnées et le danger fasciste. Je n’ose imaginer ce qu’elles ont ressenti quand elles ont entendu certains éditorialistes, des people nantis et autres « comico-curés » qui, bien au chaud derrière leurs invisibles frontières culturelles, les traitaient implicitement de nazis ou au mieux de débiles ou de beaufs.
Et en plus, on n’a pas le droit d’être mécontent
Quiconque se revendique de l’humanisme, de la compassion et du désir d’honnêteté intellectuelle me comprendra. Voilà, si j‘ai voté Macron dimanche, c’est parce que le programme du FN est tout simplement une catastrophe. Mais maintenant, il va falloir entendre la douleur de ces terres sacrifiées et déployer toute son énergie pour les sortir de la misère sociale, mais aussi de l’abandon culturel. Sinon, dans cinq ans, le pays basculera dans l’aventure qu’il a refusée aujourd’hui.
Aider les victimes et « en même temps », cesser de les caricaturer pour ne pas avoir à les entendre. Si cette histoire a une morale, c’est bien la nécessité de retrouver dans les débats le goût de la nuance et de l’écoute, toutes choses qui semblent avoir disparu des radars, des posts Facebook et des postures. Tout comme l’égalité de traitement. Il semble qu’il y ait en France des haines acceptables (celles contre un électeur du FN) et d’autres qui ne le sont pas, des indignations légitimes, approuvées par tout ce que Paris compte de consciences morales (pour le jeune Théo par exemple) et des colères que l’on prie de ne pas faire trop de bruit (pour les policiers brûlés vifs dans leur voiture…). Il y a les racailles des cités que les belles âmes s’évertuent à excuser, et là-bas dans la cambrousse paumée, ces « beaufs » qui votent pour le « repli sur soi » auxquels on appose l’étiquette fasciste sans jamais se poser de question.
Mais en vérité, qui sont les nouveaux beaufs ? Les ouvriers déclassés et abandonnés ? Ou bien les cadors des clips de rap dans lesquels la femme est un bout de chair à disposition, la bouteille de Jack Daniel’s un prolongement du bras, la violence un art de vivre et la limousine le nec plus ultra de la réussite sociale ?
La réalité est toujours plus complexe que ce que les réseaux sociaux déversent pour nous dresser les uns contre les autres. Encore faut-il se mettre d’accord sur le récit pour que le réel soit le même pour tous. C’est loin d’être gagné.
Ouf, la campagne est finie. Je vais enfin pouvoir poster sur Facebook des photos de chats, de chiens et de chutes en skateboard.[/access]
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