Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Boléro gipsy, écran total, mon vieux plaid contre le mistral. Valise bouclée. À nous Avignon, Aix, Orange, festivals de nos amours ! Rien à dire de la saison finissante à Paris. Tout raté, bicause trousseau. Moi qui raffole des histoires de souillon changée en princesse, j’aurai même pas vu ni la Cendrillon de Joël Pommerat porte Saint-Martin ni celle de Rossini sauce Guillaume Gallienne à Garnier.
À la place, on vous résumerait bien les drames et les ballets de la télé. Mais même là, le retour manqué de la vengeance du petit Grégory et le retour de la vengeance manquée du grand Bayrou, que voulez-vous qu’on en tire ? Du vrai bon spectacle digne de toi, lecteur, je cherche, je cherche. Et non.
Ah si ! Si, si. Entre ces peccadilles, en voilà un, de spectacle, dont personne ne se lasse. Un show plus énorme que le crépuscule à Nouméa : la pub pour bagnoles. Trois minutes d’info, dix minutes de pub pour bagnoles. Au début on note à peine, mais à la longue je te jure ça marque.
Bourdieu a tort, Peugeot a raison
La plus air du temps vous l’avez vue et revue comme moi pendant Roland-Garros. C’est pour une bagnole française. Version longue : trois mômes jouent au tennis devant un immeuble cossu, école privée pour cancres friqués à ce qu’on devine. Intérieur jour. C’est l’heure de la leçon de musique. À Melun, on soufflerait dans un pipeau, là c’est chic, on gratte le violon. Un élève plus tête à claques tu meurs écrase l’archet en soupirant, quand une balle de tennis entre par la fenêtre. Ni une ni deux, la tête à claques tourne son violon, frappe la balle qui rebondit au tableau noir (beurk le tableau noir) et décapite un joli plâtre posé sur le bureau du maître (beurk la sculpture, beurk le bureau, beurk le maître). Sûr de ne s’exposer à aucune réprimande étant donné le revenu de papa, le petit rebelle exulte et nargue le prof, coi. Extérieur jour. Maman félicite le morveux, lequel, devenu par un effet de montage le superchampion Novak Djokovic, se retrouve vingt ans plus tard au volant d’une Peugeot. « More fun, better sensations », conclut l’annonceur. In french : Pourquoi pisser dans un violon quand l’or coule de ta raquette ? L’art, l’école, quelle louze ! Cachet moyen d’un violoniste anonyme qui joue l’ouverture de Rossini qu’on entend derrière : 300 euros. Revenus de Novak Djokovic en 2016 : 98 millions de dollars. Bourdieu a tort : les héritiers se contrefoutent de l’héritage (à part l’oseille bien sûr). Mais Peugeot a raison : méprise ton prof, défonce le matériel. More fun, better sensations.
Même chaîne, la seconde d’après. Rien. Vous l’avez vue aussi celle-là ? Moins souvent en tout cas. C’est une série de variations sur rien. « Il n’y a rien de tel que rien. » Le rien originel, plus rien dans le frigo, vivre de rien, rire de rien, croire en rien, la beauté de rien, l’art de ne rien faire, tout ça parce que « rien, ça n’est pas rien, c’est même la meilleure chose qui puisse vous arriver ». Pub pour Volkswagen, la bagnole qui protège. Chef-d’œuvre sans bavure filmé par Notre Inimitable Clemens Purner. Musique : La Tartine de beurre, ce presque rien pour débutants que l’agence, comme d’ailleurs toute les méthodes de piano dans le commerce, attribue à Mozart. Eh ben même pas. De graves musicologues précisent : Mozart père, Leopold. Mais en fait, on n’en sait… rien.
Rien, musique de personne. Merci, Volkswagen ! Grâce à toi, l’été promet ce que je nous souhaite pour les mois qui viennent. Juste pour deux mois, oh comme je voudrais que ça nous arrive à nous tous ! Rien.