L’essayiste Loup Viallet répond à la polémique déclenchée après ses propos en débat sur CNews. Il précise son idée et dénonce un mauvais procès. Il avait notamment déclaré: « Lorsque des Maghrébins sont en infraction en France et sont sous le coup d’une OQTF, et qu’ils ne peuvent pas quitter le territoire national, qu’on les mette à Mayotte, qu’on les mette en Guyane! »
Je réaffirme l’ensemble des propos que j’ai tenus, mardi 27 juillet, au cours de l’émission « Midi News » diffusée en direct sur CNews.
J’invite tous ceux qui m’ont mis en cause par des propos excessifs frisant parfois la diffamation ou l’injure (notamment les députés Philippe Naillet, Jean-Hugues Ratenon, Marine Le Pen, les sénatrices Jasmin et Phinéra-Horth, le ministre des Outre-mer Jean-François Carenco, le vice-président de la Conférence des Bâtonniers de France…) à sortir de leurs postures démagogiques et victimaires et à cesser de chercher à éviter un débat de fond par des réactions aussi irrationnelles que déplacées.
À entendre ou à lire mes détracteurs, il serait « insultant » (pour le député Naillet), « imbécile et colonialiste » (pour maître Lingibé), « méprisable » (pour la députée Le Pen), « intolérable » (pour le ministre Carenco) d’avoir émis l’idée de répartir des mineurs non accompagnés (MNA) et de transférer des détenus métropolitains dans les départements d’Outre-Mer. Construire des centres d’accueil et des centres de détention dans les territoires ultramarins (la contrepartie de la terrible idée précédente) serait la prémisse d’un retour du « bagne » (pour la sénatrice Phinéra-Horth) et rien moins qu’une « réplique de camps de concentration » pour la sénatrice Jasmin. La sénatrice Phinéra-Horth a résumé le sentiment de cette coalition d’indignés par cette formule empruntée avec audace à mon interlocuteur de plateau qui l’avait lancée le jour de l’émission : « Les Outre-mer ne sont pas les poubelles de la France ! »
Ces déclarations sont problématiques à plusieurs titres. En effet, le transfert de détenus est une pratique qui existe déjà entre les territoires ultramarins et le territoire métropolitain… mais les flux vont surtout vers l’hexagone. En ce moment par exemple, le leader du gang Sektion kriminel est incarcéré dans l’Allier alors qu’il a été inculpé à Basse-Terre pour des faits commis en Guadeloupe. En 2019, le seul fiché S de Polynésie était transféré en métropole dans un centre de détention pour djihadistes. Un gangster, un djihadiste. Loin de constituer des cas isolés, ces deux exemples relèvent d’une politique plus générale et plus systématique qui a été explicitée publiquement par le chef de la mission des services d’Outre-mer dans le journal télévisé d’Antenne Réunion le 13 mars 2018 : « À chaque fois que je peux le faire, je fais en sorte de pouvoir transférer des détenus en métropole ».
A-t-on entendu des responsables politiques métropolitains assumant des responsabilités de premier plan qualifier ces propos de méprisables, de colonialistes ou d’anti-républicains ? Cette politique de transfert de détenus est à la fois motivée par la volonté de couper les délinquants les plus dangereux de leurs appuis locaux, d’éloigner les leaders et potentiels leaders parmi les criminels et de pallier à la pénurie des moyens infrastructurels et financiers… au risque d’engorger encore un peu plus les services pénitentiaires du territoire métropolitain. L’année du transfert du radicalisé polynésien en métropole, la surpopulation carcérale métropolitaine était en effet encore plus élevée (117,8%) que dans l’ensemble des outre-mer (112,4%). Malgré cette asymétrie, il a été estimé, dans ce cas comme dans les autres, que les dispositifs présents en métropole étaient dans une meilleure situation pour prendre en charge des problématiques propres aux territoires ultramarins.
Pour quelle raison cette politique de transfert de détenus entre la métropole et les territoires ultramarins aurait vocation à être à sens unique ? Si les moyens et la distance géographique de la métropole sont des ressources utiles à la politique carcérale ultramarine, la métropole devrait aussi pouvoir s’appuyer sans complexe sur la distance géographique des territoires ultramarins pour éloigner des délinquants métropolitains de leurs écosystèmes locaux, les couper de leurs lieux de récidive et décourager ceux qui voulaient les imiter. En contrepartie, les collectivités d’outre-mer verraient s’accélérer les transferts de moyens pour former et recruter de nouveaux fonctionnaires, rénover et bâtir de nouveaux centres de gestion et de détention. Proposer la réciprocité entre la métropole et les territoires ultramarins au sujet des transferts de détenus fait seulement sursauter ceux qui ont une conception dépassée de la République, où un seul territoire aurait des devoirs envers tous les autres.
Cette solidarité entre tous les territoires de la République devrait aussi pouvoir être mise en œuvre concernant la répartition des MNA. Depuis 2016, les objectifs de cette politique sont fixés par le ministère de la Justice. Cette année encore, Paris, les départements d’Ile-de-France, la métropole de Lyon et les Bouches-du-Rhône prennent en charge les plus gros contingents de MNA, mais chaque collectivité prend sa part… à l’exception des territoires ultramarins. Cette politique inéquitable fait reposer l’effort national sur les collectivités du territoire métropolitain et de la Corse. Dans un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les migrations déposé le 10 novembre 2021, les députés LREM Sonia Krimi et Sébastien Nadot avaient émis la recommandation d’encourager financièrement les départements particulièrement volontaires dans leur politique d’accueil et de logement des MNA, sans faire état d’un régime d’exception pour les collectivités ultramarines. C’est une piste qu’il serait intéressant d’explorer en les incluant explicitement.
Plutôt que de stériliser le débat en feignant l’outrance, j’invite le ministre des Outre-mer et les parlementaires qui m’ont abusivement mis en cause à étudier une proposition de loi visant à assurer l’équité entre tous les territoires de la République, permettant notamment la réciprocité dans le transfert des détenus, la solidarité nationale dans l’accueil des MNA et l’augmentation des moyens de la politique carcérale et de la politique d’aide à l’enfance dans les Outre-mer.
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