Macron va parler ce soir. Et alors? Il n’y aucune surprise à attendre d’une allocution où le président continuera à vivre dans un monde parallèle, persifle Jérôme Leroy.
Jérôme Leroy, un justicier qui surgit hors de la nuit…
Macron va parler et finalement, tout le monde s’en moque un peu. Ce qu’il lui reste de partisans ou d’obligés sait qu’il ne changera rien, qu’il « assumera ». Comme ce verbe aura plu à la macronie ! Assumer, c’est-à-dire, refuser tout examen critique. Et non, comme ce serait le cas pour un bandit de grand-chemin qui ferait un hold-up sur deux ans de la vie des Français, reconnaître sa faute et en assumer les conséquences, c’est-à-dire le châtiment qui va avec. Si l’image du bandit de grand chemin m’est venue, c’est à cause de l’heure à laquelle Macron a promulgué sa loi inique: en pleine nuit, à la manière des tire-laine et autre monte-en l’air.
Pour les partisans de Macron donc, notamment s’ils sont députés, les retours en circonscription sont de plus en plus douloureux. Tel député du centre de la France, et de l’échiquier politique Macron-compatible, rencontré dans un salon littéraire, me racontait sa divine surprise de 2017 quand il avait été élu contre un sortant socialiste ; et sa tristesse en 2022 quand il avait été élu plus largement… mais face à un candidat RN qui n’avait aucun poids jusque-là !
La gauche disparait du jeu politique, la colère apparait dans les rues
Ce que cela signifiait, c’est que si la gauche avait disparu de cette circonscription rurale, elle avait été remplacée par ceux qui avaient su capitaliser la colère : celle des gilets jaunes, celle d’une population lassée par l’arrogance constante de Macron, par l’incroyable mépris de classe dont il n’a jamais su se départir face à « ceux qui ne sont rien ». Si mon député en question tient le choc pour l’instant, c’est parce que contrairement à beaucoup d’autres Renaissance et assimilés, il est un enfant du pays, que les gens le connaissent, qu’ils l’engueulent mais l’aiment bien au fond. Est-ce que cela suffira la prochaine fois ? Il a, quand on lui pose la question, un sourire mélancolique et il lève les yeux au ciel…
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M’est alors venu à l’idée, après cette conversation, que nous expérimentions à quel point la Vème République, surtout depuis la coïncidence de la présidentielle et des législatives et l’impossibilité de faire plus de deux mandats consécutifs, était devenue une arme dangereuse quand une personnalité comme celle de l’actuel président se retrouvait au pouvoir, avec une mission bien précise: mater l’exception française, c’est-à-dire, parlons clair, mater le peuple français qui est l’un des derniers à n’être pas convaincu que la vie doive se résumer à une soumission totale au libéralisme. Il y aurait, au moins depuis 1995, une histoire à écrire de ces refus successifs qui font l’honneur d’un pays.
C’est pour cela que les opposants – que ce soit l’Intersyndicale ou les parlementaires, y compris ceux du groupe Liot avec Charles de Courson et une fraction des LR – , eux non plus, n’attendent rien de leur côté. L’onction du Conseil Constitutionnel a dopé Emmanuel Macron. Un Conseil, qui a jugé « en droit » comme on dit, mais qui a, de fait, pris une position politique et montré son mépris pour le RIP – lequel ressemble, pour les neuf sages, à ces jouets, ces pistolets factices que l’on donne aux enfants pour faire panpan avec la bouche mais qui ne pourront jamais tirer à balle réelle.
Quand est-ce qu’on arrive?
C’est amusant, d’ailleurs, quand on entend Elisabeth Borne dire « qu’on est allé au bout du processus démocratique ». Se rend-elle compte que sa phrase est à double sens ? Que l’on peut comprendre que finalement, les moyens démocratiques n’ont pas suffi à faire reculer une loi dont, on ne se lassera jamais de le dire, neuf Français actifs sur 10 sont contre; et que même la possibilité d’un referendum ne leur sera pas donnée ?
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Alors, oui, que Macron parle ! Sa parole est complètement dépassée, démonétisée. Son aveuglement, réel ou feint, montrera juste à quel point il est dans un autre monde. Les clefs du pouvoir sont dans la boite à gants : c’est le titre qu’avait donné Frédéric Dard, alias San Antonio, à un excellent roman politique. Désormais, les clefs du pouvoir sont dans la poche du costume fité de Macron et il n’a pas l’intention de les lâcher. Il dira qu’il faudra passer à autre chose, et Borne, en écho, parle déjà « d’accélérer les réformes ». Vraiment ? Après quatre mois de mobilisation populaire ? Après les blessures infligées par un mépris sans faille ? Avec un parlement à la majorité introuvable, auquel on a tordu le bras ? Le président parlera d’écologie, d’éducation, de santé mais il sera inaudible sauf pour les commentateurs qui feront des émissions spéciales. Sans doute mise-t-il sur le précédent Sarkozy lors du mouvement de 2010, aussi ample que celui-ci. Il oublie juste que Sarkozy, en 2010, disposait d’une majorité confortable au parlement et d’une partie non négligeable de l’opinion derrière lui. Et même comme cela, deux ans après, il se faisait battre par le plus mauvais candidat possible, François Hollande.
On souhaite bien de la chance à ceux qui se présenteront après Macron en « assumant » cette réforme des retraites parce que n’importe quel manche à balai qui se présentera en promettant un retour au « statu quo ante » des 62 ans lui passera devant. Mais Macron, lui, sera loin. Il donna des conférences à Davos ou à Dubaï, et comme il sera encore jeune, il pourra faire ça jusqu’à 64 ans. Au moins.