Soyons bien clair, dans l’intitulé « ministère de l’Identité nationale », ce n’est pas « national » qui nous gêne. « National » peut devenir désagréable avec un adjectif collatéral mais comme ça, il a tout de l’adjectif honnête. « Education nationale », par exemple, avec cette idée que c’est l’affaire de toute la nation, une question aussi importante. Que c’est peut-être là d’ailleurs, à l’école, que devrait se forger la conscience d’une identité, si vraiment il faut en passer par là. Et puis national, avec un préfixe cette fois-ci, ça nous fait arriver assez vite à l’Internationale, qui est le genre humain, comme chacun sait, ce qui est aussi une manière d’affirmer une identité, mais commune, celle-ci, et universelle. Qu’il nous soit ainsi permis de remarquer que l’internationalisme suppose l’existence des nations alors que le mondialisme ou la mondialisation les nie.
Finalement, le grand Jan Valtin, dans Sans patrie ni frontières[1. Actes Sud, Babel.], quand il raconte sa vie de révolutionnaire professionnel au service du Komintern, dans les années 1930, fait beaucoup plus pour l’existence des nations, leurs différences multicolores dans l’espérance communiste que, par exemple, un DSK à la tête du FMI qui désenchante la planète dans une uniformisation créée par quelques impératifs catégoriques néolibéraux, appliqués sans distinction à la Moldavie, au Burundi ou à la France.
[access capability= »lire_inedits »]Ce n’est pas non plus « identité » qui nous chagrine dans « identité nationale ». Identité est un nom sympathique, qui indique une similitude, une ressemblance. La devise de la République aurait très bien pu être « Liberté, Egalité, Identité ». Remarquable en mathématique, l’identité est psychologiquement la certitude d’être soi au milieu des autres reconnus comme tels. Celui qui n’a pas d’identité est un autiste ou un solipsiste. Il est persuadé que l’Autre n’existe pas, ou est une projection intérieure. Schopenhauer définissait le solipsiste comme un fou enfermé dans un bunker. Impossible de le déloger, impossible de négocier, impossible de se faire accepter de lui comme un autre à part entière. Au bout du compte, cette aberration psychologique pourrait très bien, précisément, fournir le portrait du nationaliste. Le nationaliste, paradoxalement, est celui qui a perdu son identité. Il se bunkérise dans une nation plus ou moins fantasmée, plus ou moins mythifiée dans l’espoir de la retrouver. Et c’est là qu’il commence à faire n’importe quoi, par exemple définir la nation par la race, le sang, l’hérédité.
L’identité nationale devrait aller de soi, comme la bonne santé. Cioran notait quelque part que se sentir en bonne santé était signe que l’on commençait à être malade. Celui qui est en bonne santé ou qui respire n’éprouve pas besoin de dire « Je suis en train de respirer, je suis en bonne santé. » Avoir créé un ministère de l’Identité nationale est l’aveu de ce malaise, de ce début de maladie.
Mais qu’est-ce qui ne va plus, alors, dans la vision qu’une certaine droite a de la France ? La montée des communautarismes, l’immigration clandestine, les crispations identitaires ? Admettons. Mais d’où viennent ces phénomènes, qui les a créés ? Quand les inégalités se sont creusées en vingt ans à un point tel que les trentenaires sont la première génération à vivre moins bien que la précédente, quand il se met à exister de fait plusieurs France, à cause de différences de revenus telles que des populations ne se croiseront plus jamais, même symboliquement, autour de grands événements fédérateurs, on est bien obligé d’appeler à la rescousse une identité nationale devenue hypothétique. Surtout pour faire oublier que cette fragmentation de la société est essentiellement due à des politiques libérales dont les maîtres d’œuvre ont tout intérêt à affronter des groupes divisés par des critères ethniques ou religieux plutôt qu’une classe qui aurait conscience d’elle-même. Le libéral parle d’identité nationale alors qu’il préfère toujours, malgré ses dénégations, une mosquée salafiste qui fait elle-même sa police dans les quartiers à un syndicat qui réclamera son dû dans la répartition des richesses. Délicieuse schizophrénie.
Et puis l’identité nationale, ça dépend qui en parle. C’est comme pour ces mots d’amour un peu crus que peuvent employer les amants et qui deviennent, hors contexte, de banales obscénités.
Finalement, l’identité nationale sera retrouvée quand on n’aura plus besoin de l’invoquer. Elle devrait être comme Dieu dans sa création : présente partout, visible nulle part.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !