Signer un film sur Thatcher sans parler de politique, il fallait oser. La réalisatrice de La Dame de fer, Phillipa Lloyd, et sa scénariste, Abi Morgan, auraient mieux fait d’appeler leur film Good Old Maggie ou Pauvre Margaret. On aurait mieux compris leur parti-pris de montrer une vieille femme démente qui voit son défunt et bien-aimé mari partout. De fer, il n’y a nulle trace dans cette Dame.
Réalisatrice et scénariste ont voulu faire un film « féministe ». Il faut être anglo-saxon pour comprendre. Ce n’est pas la politicienne qui les intéresse, mais la femme. Telle distinction ne nous viendrait pas à l’esprit à nous autres, habitués de la salutaire distinction public/privé, et peu versés dans le gender studies appliqué à tout. Nous, ce qui nous intéresse chez Thatcher, c’est Thatcher.
Je me souviens d’avoir entendu, en 2010, le dernier biographe britannique du général de Gaulle, le très érudit Jonathan Fenby, interrogé sur son livre, sur les ondes de la BBC, pour l’émission Start The Week d’Andrew Marr. De quoi l’historien a-t-il parlé pendant quinze minutes ? Du Général ? Non. D’un homme qui n’apparaissait jamais en sous-vêtements devant ses enfants. C’est le genre d’anecdote (et je vous livre la moins croustillante) que prisent nos voisins anglophones.[access capability= »lire_inedits »] Le genre de mièvreries qui, selon eux, en diraient long sur l’Histoire avec un grand H. Qu’il nous soit permis de douter. Que je sache, l’addiction de Napoléon au chocolat[1. J’invente, évidemment.] n’explique pas, ni même n’éclaire, la retraite de Russie.
Voir Thatcher en octogénaire ravagée par la maladie d’Alzheimer ranger les chaussettes de son mari décédé de longue date, ça fait pleurer dans les chaumières anglaises. Bien sûr, nous avons droit à quelques flash-backs pré-delirium tremens, du temps de sa splendeur, mais rien à se mettre sous la dent sinon des images d’Épinal : Maggie au Parlement, Maggie et son professeur de diction, Maggie et son petit sac à main, Maggie et les Falklands, Maggie et la poll tax. Pire, et véritable crime de lèse-majesté pour un film anglais, on ne rit pas beaucoup.
Sur Thatcher, on pouvait dire… oh ! Dieu !… bien des choses en somme. Marionnette ou théoricienne de l’« Endettez-vous ! » dont on connaît aujourd’hui les ravages ; misogyne ou amazone ; sûre d’elle ou percluse de doutes… témoignages et théories divergent sur celle que les Soviets affublèrent du sobriquet de « Dame de fer » dans les années 1970.
Pour certains, elle naviguait à vue, avec des principes de morale protestante rudimentaire, du genre : un sou est un sou, et il faut travailler dur pour le gagner. Autrement dit, elle n’aurait jamais suivi une ligne directrice mais gouverné en obéissant à un pragmatisme à toute épreuve, en se fiant aux alliances de circonstance plus qu’aux solidarités idéologiques.
Ses relations avec Rupert Murdoch, le magnat de la presse tabloïd, dont les pratiques autoritaires et anti-démocratiques ont été récemment révélées au grand jour, sont un bon exemple de la méthode Maggie. Au début des années 1980, ils nouent un accord simple : tu m’aides à briser la grève du syndicat des imprimeurs, je t’aide à gagner les élections. À partir de ce deal, plus aucun Premier ministre britannique ne gagnera des élections sans le soutien et l’aval de l’Australo-Américain.
La Dame de fer ne vaut que par la présence miraculeuse de Meryl Streep. On imagine ce qu’aurait été sa performance si elle avait été servie par un meilleur scénario. On aurait bien confié l’affaire à Peter Morgan et Stephen Frears, scénariste et réalisateur de The Queen, qui mettait en scène un sacré duo, Tony Blair et Élizabeth II. On aurait ri davantage et vu plus de politique que de « femme ».[/access]
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