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L’Otan n’est pas une Onu-bis !


L’Otan n’est pas une Onu-bis !

Le Président de la République a justifié sa décision de réintégrer les structures militaires de l’OTAN par l’évolution du contexte stratégique depuis 1966.

À l’époque, le général de Gaulle craignait que la doctrine américaine de la « riposte graduée » fît de la France un champ de bataille alors même que ses intérêts directs n’auraient pas été directement engagés. Mais il craignait aussi que nous ne fussions entraînés dans des guerres qui ne seraient pas les nôtres, ainsi la guerre du Vietnam qu’il fustigea à la même époque dans son discours de Phnom-Penh. Cette éventualité n’a rien perdu de son actualité. Certes l’URSS et la bipolarisation ont disparu mais le risque de nouvelles guerres s’est déjà concrétisé, notamment en Irak, et nul ne sait ce qu’il en sera demain, au Proche Orient, en Iran, au Pakistan, dans le Caucase ou en Asie de l’Est.

Le président de la République a évoqué, en reprenant les analyses du livre blanc sur la Défense, l’apparition de « nouvelles menaces » liées à la mondialisation, « facteur d’instabilité et incertitude stratégique ». Ces menaces émanant d’ »acteurs non étatiques » commanderaient « l’effacement de la distinction entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure ». Cette analyse me paraît assez courte parce qu’elle néglige les Etats et l’évolution de la géographie de la puissance. La crise actuelle – crise financière et économique mais aussi enlisement militaire américain en Irak et en Afghanistan – manifeste que les Etats-Unis ne sont plus en mesure de dominer seuls le reste de la planète et peut-être même de le dominer du tout. La montée de pays milliardaires en hommes, comme la Chine et l’Inde, mais aussi le retour de la Russie et plus généralement d’anciennes nations comme l’Iran, le Vietnam, peut-être demain la Corée ou de puissances émergentes comme le Brésil, structurera le paysage stratégique beaucoup plus que le concept flou de « mondialisation ». Celui-ci ne décrit aucune logique claire mais énonce seulement la multiplicité des phénomènes contradictoires qui caractérisent la scène internationale contemporaine.

Or, il me semble, à l’orée de ces temps nouveaux, que le président de la République, par occidentalo-centrisme, place d’emblée la France dans le sillage des Etats-Unis. En soulignant notre appartenance non pas à la famille humaine, mais à la « famille occidentale », il sape en fait – sans peut-être le mesurer – l’émergence potentielle, dans le monde multipolaire de demain, d’un pôle proprement européen. En mettant l’Otan sur le même pied que d’autres organisations internationales, il fait comme si elle pouvait être une Onu bis. Ce serait un contresens géopolitique. Nous devons au contraire valoriser l’Onu dont nous sommes l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

Que nous demandent en fait les Américains, à nous Européens ? C’est d’être leurs auxiliaires dans la tâche qu’ils s’assignent de refondation de leur leadership. Laissez-moi vous citer M. Brzezinski, ancien conseiller spécial du Président Carter et toujours influent dans les milieux démocrates : « Tout en arguant qu’ils ne sont pas en mesure d’intervenir militairement, les Européens insistent pour prendre part aux décisions… Même si les Etats-Unis demeurent la première puissance mondiale, nous avons besoin d’une alliance forte avec l’Europe pour optimiser notre influence respective… » et il ajoute : « L’Europe peut faire beaucoup plus sans déployer d’efforts surhumains et sans acquérir une autonomie telle qu’elle mette en danger ses liens avec l’Amérique[1. L’Amérique face au monde, Editions Pearson, novembre 2008.]. »

On ne peut être plus clair : l’Otan est un moyen de solliciter davantage la contribution militaire des Européens à des opérations dont chacun sait très bien qu’elles seront d’abord décidées à Washington, tout en empêchant que l’Europe se dote d’une défense autonome. Or, nulle entité ne peut prétendre développer une politique étrangère indépendante sans assurer elle-même le soin de sa défense.

La décision du président de la République de faire réintégrer par la France les Etats-majors de l’Otan obéit donc à une logique américaine : celle d’un partage accru du fardeau mais nullement des décisions, au sein d’une alliance qu’ils dominent absolument.

Cette décision du président de la République ne répond à aucune demande, pas plus celle des Etats-Unis que celle des autres pays européens. Elle n’a donné lieu à aucun véritable débat : à l’Assemblée nationale, le gouvernement a pris sa majorité en otage en utilisant l’article 49-1 de la Constitution. Au Sénat, il n’y a eu ni débat ni vote. S’il y avait eu un véritable débat au Parlement et dans le pays, la réponse n’aurait pas fait de doute.

Le président et le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, prétendent que la France restera indépendante au sein de l’Otan mais ils méconnaissent le poids des entraînements et celui des symboles.

Sept cents officiers dans les états-majors de l’Otan, cela crée un tropisme dans nos armées qu’on déshabitue ainsi de penser national. L’argument selon lequel l’Allemagne ou la Turquie, dans une certaine mesure, ont pu, en 2003, se tenir à l’écart de l’invasion de l’Irak par l’armée américaine ne tient pas ; ce refus de participer est un fusil à un coup. Quand on est intégré, assis en permanence à la même table, on ne peut dire « non ! » tout le temps. Le président de la République laisse à penser que la France, en envoyant des officiers généraux dans les états-majors, et pas seulement des soldats sur le terrain, pourra peser sur les décisions. C’est un sophisme : chacun sait bien que les vraies décisions ne se prennent pas dans les états-majors de l’Otan mais à la Maison Blanche. Nous serons mieux informés, disent-ils. Mais de quoi ? De décisions élaborées en dehors de nous !

Ils méconnaissent aussi et surtout le poids des symboles. Depuis 1966, la France avait maintenu une distance vis-à-vis de l’Otan qui la faisait regarder comme un pays non-aligné, bref indépendant. C’est à cela qu’on va mettre fin. Ils protestent en déclarant qu’il ne s’agit que d’une impression. Mais en politique internationale, l’impression est tout. Vis-à-vis des peuples du Sud et des grands pays émergents, la France donne déjà le sentiment le l’alignement.

Le président de la République a justifié la réintégration complète de la structure militaire de l’Otan par l’argument de la défense européenne. En nous faisant « plus blanc que blanc », nous dissiperions les suspicions qui auraient freiné les avancées de ladite défense européenne. C’est là une vue bien naïve des choses.

Il n’y a pas de défense européenne parce que les Etats-Unis ne le souhaitent pas et parce que les Britanniques s’opposent à la mise sur pied d’une structure d’état-major significative qui permettait la planification et la mise en œuvre d’opérations proprement européennes. L’existence d’un tel état-major constitue le critère essentiel d’une défense européenne.

Celle-ci enfin n’existe pas parce que les autres pays européens ne sont pas prêts à consentir un effort significatif de défense (à peine 1 % de leur PIB). Et là est le risque pour la France aussi, dont l’effort de défense – 1,6 % du PIB – n’a jamais été aussi faible historiquement : en dehors de l’indépendance nationale la justification de l’effort disparaît. A long terme, l’intégration à l’Otan pourrait bien être un facteur de démobilisation.

Certes, il convient de saluer les nouvelles orientations du président Obama, quant aux relations entre les Etats-Unis d’une part, la Russie, la Chine, et même l’Iran d’autre part. Mais il ne faut pas oublier que le président élu entend bien refonder un nouveau « leadership américain » et ouvrir la voie, je le cite, à un « nouveau siècle américain ». Ces déclarations, sans doute obligées, ne correspondent guère à la réalité. Ne confondons pas le moment Obama et l’extrême difficulté des transitions inévitables : les Etats-Unis devront en effet remettre en cause leur mode de vie dispendieux et la forme militaire de leur domination. Et qui peut dire que dans la crise profonde qui frappe l’économie mondiale, la guerre demain ne sera pas, encore une fois, aux yeux de dirigeants aux abois, le moyen de forcer le destin ?

Cette décision de réintégration complète de l’Otan accroît le risque que la France se laisse entraîner demain dans des guerres qui, selon l’expression du général de Gaulle, « ne seraient pas les siennes ».

Alors que nous nous apprêtons à fermer une base militaire en Afrique Centrale, traditionnelle zone d’influence française, mais aussi réservoir de richesses qui suscitent toutes les convoitises, nous ouvrons une nouvelle base à Abu Dhabi, dans le Golfe, région où notre autonomie stratégique est nulle.

Sur l’Iran, Paris faisait résonner hier le tambour de guerre, à l’unisson du président Bush. Le ton plein de considération qu’utilise le président Obama à l’égard de ce grand pays chargé d’histoire, met aujourd’hui la diplomatie française en porte à faux.

Avec la Chine, grande puissance du XXIe siècle que le général de Gaulle avait reconnue le premier, en 1964, une brouille – espérons-le passagère et due peut-être à des impairs ou à des susceptibilités excessives – vient obscurcir notre relation. Mais qui peut croire que cette brouille n’illustre pas aussi notre changement de posture vis-à-vis des Etats-Unis ?

Avec la Russie enfin, si le président de la République a su préserver, à l’occasion de la crise géorgienne, les chances d’un partenariat stratégique conforme à l’intérêt de la France, on n’observe pas que les Etats-Unis aient renoncé à faire entrer un jour dans l’Otan l’Ukraine et la Géorgie. Ce jour-là, encore une fois, nous serons pris à contrepied.

L’indépendance nationale ne se définit pas contre les Etats-Unis. On peut être indépendant et d’autant mieux allié des Etats-Unis. Nous aurions préféré que la France se place dans la juste perspective : celle d’un monde multipolaire régi par le droit où entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie, une France indépendante donnerait une voix à l’Europe et contribuerait à l’existence – Otan ou pas – d’un « pôle européen ». Contrairement aux intentions proclamées, la décision de réintégrer les organes militaires intégrés de l’Otan rendra cet objectif beaucoup plus difficilement accessible.

Jean-Pierre Chevènement a prononcé ce discours aujourd’hui au Sénat en réponse à Bernard Kouchner au cours d’un débat sur la politique étrangère, débat sans vote conformément à la décision du gouvernement.



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Sénateur de Belfort, Jean-Pierre Chevènement est président de la fondation <a href="http://www.fondation-res-publica.org">Res publica</a> et du Mouvement républicain et citoyen.

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