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Osez, osez, Caroline !


photo : busy.pochi, Flickr

Sans Dominique Strauss-Kahn et Nafissatou Diallo, on n’aurait sans doute jamais vu Caroline de Haas à la télévision, Jamais le collectif Osez le féminisme ! n’aurait supplanté ses glorieuses aînées les Chiennes de garde sur la scène médiatique. Chargée de la communication de Benoît Hamon au Parti socialiste, cette jeune femme trentenaire a intelligemment profité des trois jours qui ont suivi le coup de tonnerre de New York − et des maladresses de bonshommes qui défendaient leur copain − pour aller porter la bonne parole sur les plateaux de télé. Avouons-le : nous avons bien ri en imaginant Caroline donnant aux mâles récalcitrants des cours d’aspirateur et des leçons d’anatomie féminine devant une affiche sensément représenter un clitoris mais où nous ne distinguions, pour notre part, qu’une sorte de dindon. Méchants que nous sommes, nous finîmes par surnommer ce collectif : « Osez le glouglou ! ». Mais, depuis Boris Vian, nous savons que l’humour est la politesse du désespoir. Ces plaisanteries ne visent qu’à conjurer l’effarement, la consternation et même la trouille panique. En réunissant toutes les pièces du puzzle disséminées ça et là par Caroline et ses copines, on distingue un sombre tableau où la famille traditionnelle constitue le danger le plus abouti, raison pour laquelle la sphère intime doit cesser d’être privée.[access capability= »lire_inedits »]

Sous l’appellation féministe, OLF est de tous les combats, du moment qu’il s’agit d’opposer une femme, toujours éplorée, et un homme, toujours coupable. Ainsi, d’un crime présumé dans un hôtel de Manhattan, on nous entraîne l’air de rien vers la dénonciation de l’inéquité salariale. Normal : comme « nous sommes toutes des femmes de ménage immigrées », nous sommes toutes fauchées. Vient ensuite l’inégale répartition des tâches ménagères, qui serait d’ailleurs bien plus simple à observer si on pouvait installer une caméra de vidéo-surveillance dans chaque foyer. Ainsi, on verrait combien les hommes sont peu prompts à s’impliquer dans « l’accueil d’un nouveau-né ». Par chance, la loi imposera bientôt le congé paternel. Enfin, on ne fera pas l’économie de la violence faite aux femmes, notamment du viol conjugal. Invitée de « C dans l’air » pour parler des meurtres de joggeuses, Caroline de Haas l’exprimait en ces termes : « Il est beaucoup plus dangereux pour une femme de vivre en couple que de courir seule en forêt. » Beau syllogisme. Il est également plus fréquent de trépasser dans son lit que de périr dans un accident d’aéroplane. Faut-il en déduire qu’il est plus dangereux de dormir que de prendre l’avion ?

« Osez le clito ! » : pour la jouissance de soi

Évidemment, ces revendications ne sont pas toutes illégitimes, et certaines mériteraient qu’on y réfléchisse sérieusement. Mais à tout vouloir mettre sur le même plan, on devient inaudible. Pire, indécent.

Quel que soit le thème évoqué par OLF, la femme est présentée comme une pauvre chose, confrontée de toutes parts à des misogynes, des phallocrates, voire des prédateurs. C’est tout juste si l’on ne soupçonne pas celles qui s’affirment épanouies d’être passées à l’ennemi et de se soumettre à l’ordre « androcentrique » du monde, comme dirait Bourdieu.

Inutile de rappeler à ces adeptes d’un déterminisme victimaire que « l’homme est l’avenir de la femme »[1. Natacha Polony, L’Homme est l’avenir de la femme, Jean-Claude Lattès, 2008] et que le charme des différences n’ôte rien à l’irréductibilité de l’égalité. Car les militantes d’Osez le féminisme ! ne veulent pas de l’égalité : elles veulent gagner un combat.

C’est dans cette logique que ces amazones ont mis sur pied une campagne remarquée, « Osez le clito ! », pour promouvoir le clitoris, cet organe « trop souvent oublié, dénigré, voire mutilé ». Au départ, on croit à une bonne action, à une croisade contre l’excision, et l’on se réjouit presque que cette gauche « United colors » se départisse un temps de son relativisme culturel. D’ailleurs, OLF se réclame de Pierre Foldès, un chirurgien qui a mis au point des techniques de réparation des organes sexuels mutilés.

Mais on découvre bien vite la supercherie. En particulier lorsque l’on aperçoit, aux quatre coins des grandes villes, des affiches criardes représentant un immense clitoris vermillon, se proclamant « instigateur de plaisirs ». Voici donc le pot aux roses : une campagne « coup de poing » en faveur du plaisir solitaire et de la jouissance de soi, conforme à l’air du temps où le désir ouvre des droits, en particulier celui de tout exhiber.

Pour le coup, de la laideur combative de leurs outils de propagande à leurs déclarations de guerre, c’est surtout leur hargne que les féministes autoproclamées d’OLF nous donnent à voir. « On oublie que [le clitoris] a 10 000 terminaisons nerveuses… Bien plus que le pénis ! C’est un organe qui ne sert qu’au plaisir et n’a aucun équivalent », explique l’une des porte-parole. Puisqu’on vous dit que « c’est moi qui ai la plus grosse »[2. Lucie Sabau, « Le clito, clé de voûte d’un changement de mentalité », Libération, 26 juin 2011].

La famille, lieu de tous les dangers

Nos combattantes n’hésitent pas à monter au front lorsque qu’un imprudent ose rappeler que la protection de la vie privée constitue l’un des fondements de notre civilisation. Défendre la sphère intime, c’est non seulement perpétuer le statut de femme-bonniche mais aussi soutenir le viol conjugal. Qu’on se le dise : la famille, cette sphère privée matérialisée, constitue donc le lieu le plus dangereux qui soit pour Madame et sa progéniture. Cette vie familiale, OLF souhaite donc la régenter, voire la normaliser.

Cet article étant rédigé pour moitié dans la région de Besançon qui a vu naître quelques fameux socialistes utopiques du XIXe siècle, de Pierre-Joseph Proudhon à Victor Considérant, il n’est pas inutile d’évoquer Charles Fourier et ses phalanstères. Sortes d’hôtels coopératifs pouvant accueillir 400 familles (environ 2000 membres) cultivant fruits et fleurs avant tout, agrémentés de couloirs chauffés, de grands réfectoires et de chambres agréables, ils contiennent les germes de la société totalitaire. Contrôle des libertés individuelles, effacement du noyau familial (privé) au profit de la collectivité, conception rationalisante de l’homme : voilà qui pourrait éviter qu’on viole Madame et fesse les marmots. Voilà aussi qui permettrait de vérifier que Monsieur participe à la vie domestique de la communauté. Fourier, lorsqu’il imagina le phalanstère, pensait-il qu’une Caroline de Haas y ajouterait volontiers des caméras ? Sans doute pas. Peut-être se serait-il abstenu.

Reste une question : au moment où OLF stigmatise la dangerosité de la vie de couple ou de famille, pourquoi militer par ailleurs pour la reconnaissance du mariage homosexuel ? Ces familles-là seraient-elles moins dangereuses ? Doivent-elles donc être soumises au même contrôle social ? Nous attendons avec impatience les réponses de Caroline. Pour notre part, nous trouvons paradoxal d’encourager nos frères et sœurs de lutte à construire une famille, que l’on décrit par ailleurs comme le lieu de tous les dangers.

Contre le poncif de la pauvresse ployant sous la peine, la poupée friquée a semblé longtemps être le meilleur antidote. Osez le féminisme ! va plus loin. À la bimbo décérébrée remportant la Star-Ac, le dernier avatar de la libération ratée substitue désormais la Diane vengeresse, sévère et castratrice. Sans concession, cette dernière veut tout voir et tout entendre, s’immiscer dans les foyers pour s’assurer que l’ordre y règne. Jérôme Leroy disait récemment que « 1984 reste décidément le livre essentiel pour comprendre notre modernité ». C’est encore pire que ce que tu penses, l’ami : « Big Sister is watching you. »[/access]

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Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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