Tous les deux ans, aux abords du périphérique parisien, l’automobile a droit à son quart d’heure de célébrité. Gloire à l’auto ! Les halls de la Porte de Versailles accueillent les derniers adorateurs d’une étrange secte dans une ambiance débridée. Atmosphère de luna-park et garage des miracles. Sous la chaleur des projecteurs, le rimmel des hôtesses ne coule jamais et les visiteurs arpentent, sans faiblir, les allées à la recherche du prospectus magique. Des maniaques, des fous certainement, des imbéciles qui croient encore aux vertus civilisatrices de la voiture particulière, dernière expression d’une liberté individuelle largement entamée ces trente dernières années.
Il ne fait pas bon aimer l’automobile en France comme la littérature de qualité, les filles à lunettes et les plats en sauce. La chasse aux plaisirs est devenue un sport national où excellent des censeurs à bicyclettes. On commence par criminaliser l’automobiliste et on finit tous par se retrouver à pinces, admirable progrès. Vive Mao ! Le piéton étant l’avenir de l’Homme et l’ouvrier, fantôme des usines désertes, une illusion des Trente Glorieuses. Mais, gare aux dérapages et aux sorties de route ! Car les autorités morales du pays veillent au grain durant cette quinzaine « électrique » (4-19 octobre). Une consigne claire a été donnée aux présentateurs de journaux télévisés : « Vous ne parlerez de l’automobile que sous l’angle du respect de l’environnement et du collectivisme ! C’est bien compris. De l’utile et du raisonnable. Bannissez de votre vocabulaire les mots abjects que sont : vitesse et émotion. L’automobile pollue, tue et dérange. C’est écrit dans tous les rapports internationaux. Nous ne voudrions pas passer, à l’antenne, pour d’affreux rétrogrades, des possédés du talon-pointe, nous sommes modernes, urbains et connectés !». Les premiers reportages, en direct des stands, sont, à cet égard, édifiants de platitudes, gavés de préciosité sémantique, tout simplement hors-sol.
Comment a-t-on pu transformer ce fantastique objet de désir en moyen de locomotion aussi insipide ? Comment a-t-on pu détourner une réalité sociale, quotidienne, partagée par des millions de français, c’est-à-dire l’utilisation d’un véhicule pour travailler, voyager, s’amuser (horreur, malheur) en une notion aussi abstraite, un concept marketing dénué de sens ? Désormais, l’auto partage avec l’art contemporain et la cuisine moléculaire le même charabia clinique. Les médias en ont fait un produit désincarné, technologique, efficient et sûr comme si la plus belle invention industrielle du XIXème siècle se résumait à un amas de tôles et de boulons. Leur rêve secret : des ersatz d’autos qui ne roulent pas donc qui ne consomment pas ! Une auto virtuelle sur tablette règlerait en effet tous les problèmes de circulation. Cette vision robotisée, orwellienne ne peut séduire que des technocrates sans chair. L’automobile a beau traîner toute une série de casseroles que même ses plus fervents adeptes ne nient pas, son pouvoir d’attraction demeure intact. Pourquoi résiste-t-elle dans le cœur de milliers d’hommes, toutes classes et générations confondues ? Il y a une part d’enfance, d’enchantement à se trouver devant des chromes luisants, des formes felliniennes, des promesses d’ivresse. Une part d’absolu aussi. Il y a des bruits (mécaniques survoltées) et des odeurs (cuir et bois précieux) qui ne s’oublient pas. L’automobile, ce sont des émotions physiques mais aussi des souvenirs, un patrimoine (voir absolument le splendide Pavillon 8 réservé aux voitures de collection) et du lien social évidemment. Tant que des hommes la vénéreront, l’humanité ne sera pas complètement perdue. Au mois d’octobre, tous les chemins mènent donc au Mondial.
Mondial de l’Automobile – (4/19 octobre).
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