Gabriel Attal (et on suppose qu’il en va de même pour celle qui lui a succédé au ministère de l’Education nationale) veut en finir avec le dogme égalitariste. Il défend la verticalité de la transmission, le contrôle continu et une évaluation fidèle aux compétences de l’élève. Ces mesures de bon sens vont se heurter à de fervents opposants : les professeurs ! Profs, élèves et parents : il est temps que chacun reste à sa place.
Je n’aime pas dire du bien des macronistes, mais là je suis un peu coincée. Les annonces faites par Gabriel Attal le 5 décembre pour tenter d’enrayer la baisse du niveau des élèves, une énième fois constatée par le classement PISA… et les profs, sont frappées au coin du bon sens. Deux remarques cependant : tout d’abord on se réveille bien tard (mais la suicidaire politique de l’autruche a peut-être enfin trouvé ses limites) et, par ailleurs, où habite Emmanuel Macron, capable de faire se succéder au même poste les antinomiques Pap Ndiaye et Gabriel Attal (suivi depuis par Amélie Oudéa-Castéra) ?
L’essentiel des mesures vise à « rehausser le niveau d’exigence » : parmi elles, redonner de la crédibilité aux examens, en supprimant les correctifs académiques de surnotation, tant au brevet qu’au baccalauréat, et en remettant les notes au cœur de l’évaluation du contrôle continu au collège, en lieu et place des fumeuses et démagogiques « compétences ». Attal écrit aux professeurs : « Ce sont désormais les notes que vous attribuez, et elles seules, qui détermineront l’obtention » des examens, « le brevet et le baccalauréat doivent dire la vérité sur les acquis des élèves et redevenir un étalon de mesure fiable de cette exigence ». En creux, on reconnaît qu’on ment aux élèves et qu’il s’agit de « renouer avec la fiabilité de l’évaluation » – traduit du jargon en langue ordinaire, cela donne : en finir avec le foutage de gueule que constitue, et pour les élèves, et pour les professeurs auxquels elle est imposée, la pratique systémique de la surnotation.
Il est surtout étonnant qu’on ait, depuis des décennies, remis en cause la souveraineté de la notation et ainsi singulièrement atteint la crédibilité et l’autorité intellectuelle des enseignants. Ne plus piétiner leur expertise est une bonne chose, mais ces préconisations d’évidence seront-elles suivies d’effet, quand on sait que la propension à l’autocensure et à la surnotation est devenue chez beaucoup une seconde nature : est-on encore capable de reconnaître une vraie bonne copie si on les juge toutes bonnes ?
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Une autre mesure importante consiste à redonner la main aux professeurs en ce qui concerne le redoublement. Là encore, on peut se demander dans quel esprit malade a germé l’idée de donner le dernier mot aux familles pour le passage en classe supérieure. Le redoublement, jugé peu efficace par des « spécialistes » – et sans doute trop coûteux… –, est devenu exceptionnel depuis de nombreuses années, conditionné à l’accord des parents ; l’avis des professeurs a été rendu accessoire et purement consultatif. Depuis quand le fait d’avoir pondu un gosse vaut-il expertise sur ses capacités scolaires ? Pensons à Molière, dont le Diafoirus voit dans toutes les faiblesses de son idiot de fils les signes de la plus haute intelligence. Les parents se méprennent bien souvent sur leur progéniture, qu’ils ne connaissent pas sous le même angle que les professeurs, et sont prompts à voir dans la créature qu’ils ont enfantée un petit être surdoué, encouragés en cela, on y revient, par le leurre de la surnotation généralisée. Si l’on remet les parents à leur place de parents, on n’y perdra pas…
Gabriel Attal veut donc sortir de la « doctrine de passage quasi systématique en classe supérieure » dans le cycle primaire, et « rendre le dernier mot aux professeurs » pour prescrire des dispositifs de remédiation et de redoublement. Redoubler n’est pas une sanction, et peut permettre à certains élèves, surtout dans les petites classes, d’avoir plus de temps pour acquérir les bases qui conditionnent tous les autres apprentissages. Il est cependant dommage que le ministre n’évoque pas l’orientation des collégiens et lycéens : il serait bon que les professeurs retrouvent également la main dans ce domaine, ce qui éviterait en fin d’année scolaire la remise en question de leurs préconisations dans d’officielles commissions d’appel et de plus discrets passages des familles dans le bureau du chef d’établissement. Quel désaveu du conseil de classe et des professeurs lorsque après moult pleurnicheries et promesses d’alcoolique (« je vais me mettre au travail, je le jure… »), on croise en septembre un élève au sourire triomphant dans la filière qu’on avait vigoureusement déconseillée au mois de juin ! Si on ne donne pas plus de poids à la parole du professeur, y compris dans l’orientation d’élèves qu’ils connaissent bien, ils seront condamnés à faire encore de la figuration en conseil de classe et ne retrouveront pas le crédit qu’on prétend leur redonner.
L’autre mesure annoncée vise à déconstruire (un peu) le collège unique (enfin !) et à mettre en œuvre des groupes de niveau en mathématiques et français : l’hétérogénéité des classes est telle qu’elle est devenue impossible à gérer et s’avère contre-productive, puisque les meilleurs élèves sont ralentis dans leur progression et tirés vers le bas, tandis que les plus faibles, se reposant sur l’activité déployée par les autres, ne tirent aucun profit de leur présence au sein de la même classe. On veut donc regrouper les élèves par niveau dans les matières fondamentales, en adaptant le rythme à des élèves plus homogènes dans des effectifs réduits. Pourquoi pas, si cela permet d’éviter de se retrouver face à une classe de seconde aux écarts spectaculaires, que l’effectif rend à peu près impossibles à réduire : y cohabitent quelques élèves qui sont à leur place avec d’autres dont l’apathie intellectuelle s’apparente à un état de mort cérébrale (je parle d’expérience !). Bien évidemment, à un tel niveau d’effondrement, je ne suis même pas sûre que la mesure annoncée soit efficace, mais il faut tenter la chose et revenir sur le dogme égalitariste du même cursus pour tous, principe sur lequel repose justement le collège unique.
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Autres éléments à retenir des annonces ministérielles : la volonté de normaliser et homogénéiser les enseignements par le recours dans le premier degré à des manuels labellisés (pourquoi pas quand on connaît les disparités entre les enseignants et les dérives souvent suscitées par la liberté pédagogique totale…). Et la promotion d’une « pédagogie explicite », méthode éprouvée par la pratique, et qui, espérons-le, mettra fin aux lubies de la construction du savoir par les élèves eux-mêmes, en réintroduisant la verticalité dans la transmission, inhérente à toute instruction digne de ce nom et qui n’aurait jamais dû être mise à mal.
Toutes ces mesures (valorisation des notes face aux « compétences », retour au redoublement imposé, instauration de groupes de niveau pour contrer les effets du collège unique, limitation de la liberté pédagogique…) font hurler les syndicats… de gauche (signe que Gabriel Attal n’était sans doute pas mauvais !) : tout cela stigmatiserait et pénaliserait les classes populaires, condamnées selon la CGT à subir « une école du tri social » ou de la « ségrégation », pour reprendre le terme nuancé employé par le SNES. Ces idiots n’ont toujours pas compris que transmettre de vrais savoirs et donner de vraies notes, supprimer le passage systématique d’élèves trop fragiles, limiter une hétérogénéité invalidante pour tous, c’est rendre service à tous les élèves, même et surtout les plus défavorisés. Si l’école n’exige rien de ces élèves-là, par laxisme et démagogie, par fausse bienveillance, elle les abandonne et les assigne à leur origine sociale. Le vrai mépris consiste à leur faire prendre les vessies des compétences pour les lanternes des savoirs. Tout ce qui vise à ne pas les tromper est bon à prendre, pour tenter d’en finir avec l’escroquerie scolaire qu’on impose aux classes populaires comme aux autres. De toute façon, il n’est même pas certain que l’argument des différences sociales soit très pertinent aujourd’hui, dans la mesure où la déshérence intellectuelle, verbale et culturelle se retrouve aussi chez les enfants de la bourgeoisie.
Si l’on s’inflige la prose desdits syndicats, rédigée comme il se doit chez les « progressistes » dans leur impayable et imbitable écriture inclusive, on y trouve sans surprise la célébration de tout ce qui a causé le désastre actuel. Écoutons-les et on saura ce qu’il ne faut pas faire si on veut redresser l’école. La vision du ministre est selon eux « passéiste et hors-sol » (Sud Éducation), reposant sur l’illusion du « c’était mieux avant ». La CGT évoque un « retour à l’école fantasmée des années 1960 », Sud brandit l’accroche « Attal prépare l’école d’avant-hier », et le SNES n’est pas en reste avec sa formule « arrière toute ». Drôle d’argument tout de même, qui consiste à forcément condamner le passé (fût-il plus convaincant que le sinistre présent en matière d’enseignement) et à promouvoir par principe, on peut même dire par réflexe, tout ce qui relève du changement (fût-il délétère et néfaste). L’école des années 1960, je l’ai connue comme élève, je ne l’ai pas fantasmée… et je sais ce que je lui dois. Pourquoi s’interdire de revenir à d’anciennes méthodes si elles ont fait la preuve de leur efficacité ? Comme l’écrivit le compositeur Verdi dans une lettre célèbre, « tournons-nous vers le passé, et ce sera un progrès ».
Cerise sur le gâteau, le syndicat Sud pense que Gabriel Attal ravit au passage l’extrême droite et les réactionnaires, autant dire dans son esprit les fachos qui peuplent le pays. Je ne me sache pas appartenir à l’extrême droite (qui reste à définir), et je crois pouvoir en toute indépendance d’esprit, avec les réserves qui s’imposent, me réjouir de tout ce qui se propose d’enrayer le déclin, de quelque bord qu’émanent les bonnes intentions. Je n’attends plus depuis longtemps qu’elles viennent de la gauche.
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Évidemment la prudence est de mise quant à l’application des mesures annoncées. La résistance peut d’abord venir des enseignants eux-mêmes, dont le tropisme politique encore pavlovien les amène à se méfier de tout ce qui ne vient pas de la gauche. On peut craindre aussi que la réduction de certains effectifs pour la mise en place des groupes de niveau ne s’accompagne pas de la création d’un nombre de postes suffisants, ni surtout de l’indispensable vérification de la qualité des enseignants recrutés. Quid de leur parcours et de leur maîtrise disciplinaire, si on ne remet pas en question les désastreux instituts de formation actuels ? Le ministre ne parle pas non plus de la nécessaire revalorisation des salaires, qui permettrait d’attirer dans le métier les meilleurs étudiants, et d’éviter ainsi que les nouveaux profs soient au même niveau de médiocrité que leurs élèves…
Enfin comment ne pas pointer également la contradiction entre d’un côté la volonté affichée de remettre le savoir et l’exigence au centre de l’école, et de l’autre le dénigrement des classes préparatoires, parangon de cette même exigence, dont plusieurs à travers la France sont menacées de fermeture à l’heure qu’il est ? Il ne faudrait pas que « le choc des savoirs » ne soit qu’une formule creuse de communicant et que, à l’école comme dans bien des domaines, le macronisme ne se rende encore et toujours coupable de tirer à hue et à dia.