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Orwell au féminin

Une modération sage difficile à faire accepter.


Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des moeurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Manuel Bompard n’a pas eu de chance. Pour une fois qu’un membre éminent de LFI se montrait soucieux de réflexion nuancée, il s’est pris en pleine tête un déferlement de cris d’horreur. « Une gifle n’est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours », avait osé l’intrépide dans l’espoir de secourir son camarade Quatennens. « Propos abjects ! » a fulminé la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, donnant le ton de la révolte. D’autant que Bompard, pris de folie, avait cru bon d’ajouter cette remarque odieuse : « Une gifle n’est pas égale à une personne qui est accusée de viols après avoir drogué les personnes qui l’accusent. » Passons sur la formulation légèrement bancale, pour ne retenir que l’infamie de ces distinguos. De la gifle au viol, et du viol au meurtre, le chemin est si court que c’est à peine si le cerveau a le temps de le parcourir.

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Trêve d’ironie. Ce que révèle l’événement est à la fois compréhensible et terrifiant. Compréhensible, parce que les femmes ont évidemment raison de mener une lutte acharnée contre les violences qu’elles subissent. Terrifiant, parce que le refus absolu de distinguer entre des actes totalement différents signifie un monde où le langage, la pensée et l’esprit de justice cèdent aux diktats d’une cause omnipotente. Nous vivons aujourd’hui une révolution des mœurs aussi profonde que les deux grandes révolutions politiques qui ont marqué le XXe siècle, le communisme et le fascisme. Ce n’est pas dire que cette révolution morale implique les conséquences sanglantes des deux autres, ni qu’elle suppose la même forme d’oppression. Elle en diffère du tout au tout, sauf sur un point : cette révolution pacifique oppose un veto sans appel à l’usage rationnel du langage et à la liberté de pensée dès lors que le langage et la pensée raisonnante prétendent la soumettre à un libre examen. Il n’y a pas de parti unique ni de chape de plomb étatique, mais la même intolérance à ce qui la conteste, le même impérieux désir de bâillonner tout désaccord. « Taisez-vous, maintenant ! Ça suffit !! » a grondé Marlène Schiappa en réaction aux propos de Bompard. Et naturellement les déchirures provoquées au sein de LFI par l’affaire Quatennens reproduisent le vieux phénomène des révolutions qui dévorent leurs enfants. Effet boomerang des idéologies radicales, où l’on trouve toujours plus radical que soi. Où l’on n’est jamais assez pur, et toujours en danger de déviations criminelles. C’est ainsi que, pour la révolution morale, les hommes qui en partagent l’intransigeance ne sont jamais assez féministes, assez dans la ligne. Ils restent toujours trop ce qu’ils sont, des hommes (blancs, de surcroît).

Tout le monde sait très bien qu’il y a gifle et gifle. Qu’une gifle est un coup, mais d’intensité et d’intention variables. Qu’une gifle n’est sûrement pas une raclée, ni une raclée un viol. Refuser de distinguer entre gifle et gifle, et pire, entre gifle et viol au nom d’un prétendu continuum, exprime une position d’ordre strictement idéologique. Nier la réalité la plus évidente en constitue le symptôme le plus manifeste. Quelques observations ne feront pas de mal, sans épuiser le sujet qui en réclame bien d’autres.

Il existe des gifles qui meurtrissent la joue, lui laissent une marque visible, douloureuse, humiliante. Il existe des allers-retours, dont Lino Ventura, le grand Lino, a fourni des versions qui n’avaient pas besoin de commentaires. Par ailleurs, il en existe de légères, pas vraiment des coups, à peine plus que des tapes, comme on le voit avec les taloches que s’attirent les gosses exaspérants, a fortiori les têtes à claques. Bien des profs en savent quelque chose. Ceux qui giflent, excédés, s’en trouvent sanctionnés. C’est normal. Dira-t-on pour autant qu’ils ont enfreint une loi morale ? Est-ce la même chose que gifler une femme qui n’en peut mais ? Et gifler sa femme qui, par ses récriminations, ses harcèlements, la férocité de ses injures, vous acculant dans les cordes vous fait péter les plombs, est-ce la même chose que la cogner pour un steak trop cuit ? N’est-elle en rien coparticipante de la réplique brutale ? Est-elle fondée à se poser en victime pour le seul motif qu’elle est femme, et vous homme ?

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Une femme qui gifle un individu grossièrement importun, c’est bien. Un homme qui gifle une femme qui l’a abusé pour le dépouiller de sa fortune, c’est mal. Vérité en deçà des préjugés, erreur au-delà. Qu’y a-t-il de juste dans cette disproportion patente ? Manuel Bompard a eu le courage de vouloir nuancer, ce qui le condamne. Pour s’en sortir, à combien de contritions devra-t-il se livrer ? Réponse facile : il ne s’en sortira pas. Il est marqué au fer rouge pour l’éternité de ses mandats électifs.

Relevons une plaisante contradiction. Gifler une femme, ça ne se fait pas. Question d’honneur, où flotte un parfum de galanterie. Avant d’être une brute, l’homme qui gifle une femme est un butor. À l’inverse, qui frappe un enfant n’est pas un butor, c’est une brute. Toutes ces histoires méritent un brin de sagesse. Oui mais, les violences contre les femmes sont si nombreuses, si dramatiques, qu’elles exigent qu’on jette la sagesse au panier. Seule compte la victoire. L’argument s’entend. Qu’on me permette cependant une question : les violences contre les personnes âgées, largement aussi nombreuses et aussi dramatiques, suscitent-elles le même émoi ? Non. Et les jeunes hommes, qui s’entretuent pour des broutilles ou des affaires de drogue, mobilise-t-on une énorme machine institutionnelle pour les protéger d’eux-mêmes ? Non. Et les flics, cibles d’une délinquance sauvage ? Fort peu. Il serait utile d’expliquer cet abîme dans le traitement des violences et dans l’attention portée aux victimes.

Nous sommes face à une révolution comme l’humanité n’en a jamais connu, celle où les femmes accèdent de plain-pied au pouvoir social, politique, culturel et moral. Fait anthropologique décisif. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, c’est ainsi. Conclusion provisoire : gifler sa femme est inacceptable. C’est un délit qu’il appartient à la justice de juger. Changement de cap, c’est devenu un impératif catégorique de type kantien. Sauf que la réalité n’a pas les gènes d’Emmanuel Kant. Les femmes et les hommes étant ce qu’ils sont, on peut toujours décider qu’aucune forme de gifle ne doit se tolérer quelles que soient les situations, cela ne contraindra jamais la vie réelle à stériliser ce qu’elle est, une inépuisable fabrique de passions et d’humeurs. Toute déconstruction rencontre ses limites, et toute idéologie ses murs.

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Universitaire, romancier et essayiste

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