Orson Welles s’amuse


Orson Welles s’amuse

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Loin d’être un naufrage, la vieillesse libère les chevaux ! Elle fait fi de toutes les convenances. Elle ne respecte rien. L’amertume du grand âge et la déchéance financière agissent comme de puissants filtres de vérité. Ce que l’on perd en circonvolutions, on le gagne en lucidité et férocité. Les conversations entre Orson Welles (1915-1985) et Henry Jaglom qui viennent de paraître en français chez Robert Laffont se boivent comme du petit lait. Au goulot. Jusqu’à plus soif. Ce livre supervisé par Peter Biskind, l’auteur entre autres de Easy Riders et Le Nouvel Hollywood, est un règlement de comptes magistral. Une descente en règle, précise, joyeuse et acharnée du 7ème art. Orson, réactionnaire fulminant, énorme dans ses attaques, subtil dans ses emballements, le verbe marmoréen, tire à vue. Il ne cache rien, il n’oublie personne dans cet enfumage au napalm.

On en redemande tellement ça pilonne sévère. Le meilleur document sur les coulisses du cinéma depuis les Confessions de Dino Risi. Ces conversations ont été enregistrées entre 1983 et 1985 à la table du restaurant français « Ma maison », établissement du tout-Hollywood, tenu par Patrick Terrail. Le plaisir de lecture tient à la personnalité d’Orson dont le qualificatif de génie semble en deçà de la vérité historique. Mais aussi à son souffre-douleur préféré, le metteur en scène et scénariste Henry Jaglom, pétri de mièvrerie et de conformisme. L’intellectuel de « gauche » typique de ces années-là au progressisme navrant et hilarant. « Ne discute pas avec moi. Tu es tellement bien-pensant ! » lui assène son aîné de presque trente ans. Ces deux-là sont pourtant inséparables dans le canardage du milieu cinématographique. Orson s’en prend à tout le monde à un moment de sa vie où les contrats et la santé se font la malle. Autour d’une salade de poulet, il dégaine une verve, une culture et une mauvaise foi sans limite. Orson est un Géant du XXème siècle. Politique, cinéma, théâtre, radio, littérature, gastronomie et même sa participation à la série télé « La croisière s’amuse ». Il a tout vu, tout lu, tout compris, tout digéré.

Ses cibles ne s’en remettent pas. Un vrai carnage. Carnet de balles perdues. Bogart : « Un poltron qui ne savait pas se battre » ; Ingrid  Bergman : « Elle tient à peine une scène complète » ; Woody Allen « Il a le syndrome Chaplin, un mélange particulier d’arrogance et de timidité qui me fait grincer les dents » ; Mai 68 en France : « Des gamins qui lançaient des pierres » ; Malraux : « Il a fini en larbin […] C’est ce qui arrive aux intellectuels, tu comprends ? Ce sont les pires chiffes molles. Ils raffolent du pouvoir. Ils s’agglutinent autour du héros qui a pris les rênes et se mettent à justifier tout ce qu’il fait » ; le Centre Pompidou : « Un gros tas de ferraille. Raser les Halles a été le début de la fin » ; L’Ange Bleu : « Ce n’est que de la grosse pacotille » et même sur Rita Hayworth, son grand amour : « Mais pas sexuellement. Il fallait que je me force pour la baiser ». A cette liste, il faut ajouter sa détestation ordinaire des Irlando-Américains, des producteurs, des humoristes, des architectes, de l’Art déco ou des Français. Entre fanfaronnade et provocation, Henry Jaglom s’étrangle souvent. Mais quand Orson aime, il n’est pas avare en compliments sur Erich von Stroheim notamment : « c’était clairement un génie », sur la supériorité absolue de Buster Keaton face à Chaplin ou sur Gary Cooper : « une vraie star, une fantastique créature de cinéma ». Au-delà des sujets cinématographiques, Orson joue les politologues avisés relatant ses tête-à-tête avec le Président Roosevelt qui considérait la non-intervention dans le conflit espagnol comme « une grave erreur » ou sur l’origine du salut fasciste à rechercher du côté de Cecil B. DeMille ! Les maximes de Welles sont aussi perforatrices que celles de La Rochefoucauld : «  J’ai toujours soupçonné qu’il existait trois sexes : les hommes, les femmes et les acteurs. Et ces derniers réunissent les pires défauts des deux autres » ou encore « La circulation automobile a bousillé la vie sexuelle des Français » à propos du fameux 5 à 7. Du très grand art !

En tête à tête avec Orson – Conversations entre Orson Welles et Henry Jaglom – Editées et présentées par Peter Biskind – Robert Laffont

En tête à tête avec Orson

Price: 7,40 €

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*Photo : RETRO/SIPA. 00121710_000001.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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