Attentat d’Orlando: Omar les a tués


Attentat d’Orlando: Omar les a tués
Omar Mateen. © myspace.com/AFP Handout.
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Omar Mateen. © myspace.com/AFP Handout.

Il n’y a bien sûr rien de nouveau sous le soleil de Floride. La fureur islamiste n’en finit pas de déclarer la guerre au reste du monde – qui, lui, n’en veut surtout pas. Il y a ceux qui désignent, et ceux qui ne désignent pas. Il y a ceux qui mettent en avant la particularité des victimes, ceux qui s’inquiètent de l’avantage donné à Donald Trump, ceux qui diluent doctement le fait dans une question plus vaste (l’homophobie, le port d’armes aux États-Unis, voire la violence en général…). Ceux qui, tels les parents du tueur, nous assènent un second coup : tout cela n’aurait « rien à voir » avec l’islam. Dans quelques jours, dans quelques heures sans doute, la musique du « pas d’amalgame » et du « vivre ensemble » reprendra. Il ne faudrait tout de même pas que des homosexuels stigmatisent les musulmans de nos cités.

Il m’arrive de trouver que tout ce pépiement expert, décryptage et décodage, allié à un moralisme bon teint (« ne pas tomber dans le piège de la discrimination ») passe à côté des choses, de l’ordinaire de l’expérience.

Hier matin par exemple, au micro de France Culture, le psychanalyste Serge Hefez expliquait l’un des ressorts de l’homophobie. La figure de l’homosexuel renvoie certains hommes à des pulsions refoulées (qui, comme on dit, « font retour »), générant alors angoisse et violence. Cette explication a le mérite d’être intuitive, universelle et constitue un bon garde-fou. L’homophobe dûment informé de son symptôme aura, la plupart du temps, le bon goût de taire ce qui l’anime, sauf à voir les autres lui lancer, sur un mode cheap-freudien, l’enfantin « celui qui dit qui est ».

L’homosexualité orientale existe, je l’ai rencontrée

Je ne crois pas cette grille de lecture toujours fausse, notamment quand il est question de décrire certains rares faits divers sanglants. Je la trouve juste un rien méchante, opposant plus que de raison l’homosexuel aux refoulés (comme si les gays ne refoulaient rien, eux). Elle ignore ce continent de fraternité où les gaillards qui-en-ont taquinent, protègent et respectent les invertis – et pas seulement parce qu’en cas de disette ou de beuverie, ces derniers peuvent se montrer compréhensifs. Tout homo qui aura navigué, au sens propre comme au sens figuré, dans certains milieux exclusivement masculins sait bien l’amitié parfois obstinée qu’il y aura rencontrée. Aux crachats qu’évoque Edouard Louis dans ses livres, j’oppose ces souvenirs-là : une main sur l’épaule, un bout de « calendos » partagé, le « recouds-moi un bouton, je te réparerai ta couchette » qui forment l’ordinaire des sociétés viriles. On m’objectera que ce n’est pas le sujet. Bien sûr que si ! En apparence si éloignés l’un de l’autre, l‘occidental et l’islamiste ont un rêve en partage : celui d’une homosexualité « proprette » comme disait Foucault, avec ses lieux dédiés, son mode de vie, son esthétique stéréotypée, sa sexualité débridée et qui surtout ne déborderait pas ailleurs que là où on l’attend. Pour les uns ce seront des zones de tolérance, pour les autres des cibles bien définies.

Puisqu’il était question de marins, poursuivons la traversée, et arrêtons-nous, cette année-là, au port de Ras-al-Kaimah (Émirats Arabes Unis). À quai, nous rencontrerons des travailleurs immigrés afghans, des Pachtounes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces derniers ne manifesteront aucune prévention homophobe. Ce genre de question ne les traverserait pas. Moyennant quelque respect des convenances (ne pas trop en faire, n’en dire absolument rien, se comprendre d’un regard), l’apprenti-marin européen se verra vite proposer d’aller admirer en bonne compagnie la splendeur du paysage au crépuscule, derrière la colline voisine. Les voyages forment la jeunesse, on n’en fera pas tout un plat. La main droite sur le cœur, des étoiles dans les yeux, on se séparera une heure après avec quelques serments d’amitié éternelle. En souvenir de ce moment, on échangera peut-être une montre contre un châle, gardé pieusement tant d’années après.

Non, il n’y a pas d’un côté des musulmans qui, alhamdulillah, ne mangeraient pas de ce pain-là, et de l’autre un occident qui, dieu soit loué, aurait appris la tolérance… Mais qu’est-ce qui fait que ce même afghan, immigré en Occident, en viendra à fusiller une cinquantaine de gym-queens se déhanchant sur des airs de techno ?

Tout meurtrier est déséquilibré

Échec de l’intégration ? Pour le moins, on peut même dire que cela a totalement raté. Comme dans la guerre des boutons « si on aurait su… », on ne l’aurait pas fait venir. Déséquilibre mental ? Oui, mais bon… Tout meurtrier l’est tout de même un minimum. Participation à la guerre de religions déclenchée par les islamistes ? C’est en tout cas ce qu’il a revendiqué. Surgissement classique de la violence homophobe du fait de l’angoissant retour du refoulé homosexuel chez le meurtrier ? Pourquoi pas ? Me revient l’expression de scepticisme qu’affectionnait l’un des compagnons de traversée que j’évoquais : Et ta sœur ? Elle bat le beurre !
Le brave gaillard ne croyait pas si bien dire. C’est bien d’une violence qui s’exerce sur l’immigré musulman de seconde génération dont il est question. Je m’autorise ce jeu de mots pitoyable : Battre le beur. Nous ne sommes pas coupables de cette violence, mais rien ne nous oblige à en être innocents. Même si tous ne se saisissent pas d’une kalashnikov, un certain déploiement homosexuel heurte de nombreux musulmans. Oh j’entends déjà que rien n’oblige ceux-là à vivre ici, etc. Nous sommes d’accord. J’entends aussi, bien sûr, qu’il y a, dans la fétichisation de ce heurt, une délectation de l’offensé et une jouissance à haïr ce qui blesse – rente de situation névrotique de toute une génération de musulmans. Mais quand même.

L’histoire moderne de l’homosexualité est le passage d’une volonté de savoir, comme l’écrivait Foucault, à une volonté de montrer, qui n’est jamais que le retournement d’une même logique : celle de l’aveu. Or l’une des valeurs cardinales de l’Orient, c’est la discrétion – que les Occidentaux, pour une fois si sûrs d’eux, qualifieront d’hypocrisie. Pour le musulman, ne pas parler de ces choses-là a permis de survivre à la loi d’airain d’une religion régissant les moindres faits et gestes de ses fidèles. À l’Inquisition (qui n’a pas « rien à voir » avec la chrétienté et a si profondément marqué nos esprits que nous en avons intégré la logique) nous avons opposé le coming-out. Nous avons pris dieu et ses représentants au mot : « Tu me demandes d’avouer, j’avoue ! » Au contraire, à la pulsion scopique d’un dieu qui voit tout, les musulmans ont opposé la logique des ruelles, des murs protégeant les jardins, des sous-entendus, bref, de la dissimulation. Ces deux logiques n’ont pas fini de se faire la guerre.

Sonacotra, mon amour

Aujourd’hui, tout le monde ou presque est sincèrement persuadé qu’il y aurait un Orient allergique à l’homosexualité et un Occident tolérant à son endroit. Une jeune femme d’origine tunisienne que j’avais rencontrée il y a deux ou trois ans, jeune ingénieur de l’environnement, fonctionnaire d’état, m’affirma au cours d’une soirée que l’homosexualité arabe n’était qu’une perversion venue de l’Occident. Je précise que cette jeune française de la diversité était bien sûr de gauche et farouchement laïque. Il y avait dans son propos une telle véhémence, un tel désir que sa parole soit reconnue comme vraie, une telle haine vis-à-vis de tout ce que je représentais – figure vivante du dévoilement de ce qui ne doit pas l’être, alors que, pourtant, je ne disais rien – qu’une méchante vanne m’est venue à l’esprit : « Pourtant, je t’assure Leila, l’adolescent que j’étais a bien connu ton père. » L’énormité du propos que je retenais, le côté « Sonacotra, mon amour », me faisait balbutier de rire tant, à l’inverse, mon interlocutrice mettait d’obstination, sérieuse et délirante, à régir, a posteriori, et en héritière sûre de son droit, la sexualité de ses aïeux.

Je me suis pourtant tu, « à la musulmane ». Ce soir-là, avec un vieux fond de tendresse pour ce que nous avons été, eux et nous, avant ça, avant tout ça, je n’ai pas dégoupillé ma grenade. J’ai dissimulé mes pensées et souvenirs. Omar Mateen, moins musulman qu’il ne le croyait, n’aura pas eu cette prévenance.



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