Un documentaire très réussi (et en six parties!) lui est consacré sur Amazon Prime. Il permet aux fans et aux non-initiés de découvrir le rappeur blanc de Caen, et son désopilant entourage…
Si on m’avait dit un jour, que, j’écouterais du rap en boucle ! Même pour les besoins d’une chronique, je ne l’aurais pas cru. Mais Orelsan est arrivé. Une série documentaire, « Ne le montre jamais à personne », réalisée par son frère Clément, retrace son parcours. Elle est visible sur Amazon Prime Video. Je l’ai visionnée par curiosité, et je suis tombée sous le charme, à tel point que j’ai enchaîné les six épisodes à la suite.
Scandaliser Ségolène
Aurélien Cotentin dit Orelsan est né à Alençon en 1982 et a grandi à Caen. Il est fils d’un directeur d’école et d’une institutrice, c’est la classe moyenne de la France périphérique avant qu’elle ne soit théorisée par Christophe Guilluy et qu’elle ne fasse définitivement sécession avec la capitale. À l’époque, il n’y régnait que ce doux ennui fatal aux adolescents ambitieux et rêveurs. L’ennui, le cul-de-sac provincial, c’est la thématique principale des chansons d’Orelsan, il en a fait sa marque de fabrique, mais il est bien trop sincère et authentique pour que cela devienne un fonds de commerce.
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Sa carrière débute véritablement avec une énorme polémique : sa chanson « Sale pute » a provoqué en 2009 la fureur des féministes puis de la classe politique entière, Ségolène Royal en tête qui l’a fait interdire aux Francofolies de la Rochelle. Cette chanson dont le texte est, il faut le reconnaître, ultra violent – un jeune homme y crache son désir de torturer sa petite amie qui l’a trompé – a été prise au premier degré alors qu’il s’agit davantage d’une catharsis et d’un personnage que d’une douleur réelle. « Je vais te mettre en cloque sale pute et t’avorter avec un Opinel. » Quatre-vingt pour cent de ses dates sont annulées et sa carrière aurait pu s’arrêter là.
Le dilettante énergique
Mais non, sous ses allures de dilettante, Orelsan a de l’énergie à revendre. En 2011, il sort son deuxième album : « Le chant des sirènes ». Sous la houlette du réalisateur de clips David Tomaszewski, il se réinvente, abandonne ses oripeaux de geek en surpoids et son air renfrogné. Il revient en beau gosse toujours fragile mais plus volontaire, et pose en presque super héros sur la couverture de l’album. Le temps d’une chanson, Raelsan, son double sûr de lui, remercie celles qui ont voulu sa peau « Merci quand même pour le coup de pub (merci) Merci les Chiennes de Garde pour le coup de pute (merci) » et s’autorise enfin à accepter son talent, à fuir ce qu’il a été pour mieux se retrouver : « Prends la route et fuis, j’ai une soucoupe en double file, je te ramène avec oim, Raelsan ».
Comment Orel (diminutif d’Aurélien) est-il devenu Orelsan, ce rappeur blanc aux multiples disques d’or que la presse qualifie d’Eminem français ? Le documentaire, réalisé par son frère, nous montre son irrésistible ascension, ponctuée de difficultés. Même si l’on n’est pas fan ou que l’on ne connait pas le chanteur, les images d’archives nous montrant un Aurélien rappeur local un peu paumé qui bossait comme veilleur de nuit dans un hôtel de Caen, sont intéressantes. On le voit avec ses potes dans son appartement capharnaüm, plein de cadavres de bières, de lits défaits et d’ordinateurs remplis de « sons »… Parlons-en de ses potes, de son « crew », sans qui il ne serait rien. D’abord il y a Gringe, son double maléfique, beau gosse un peu cynique, qui lui a montré le chemin du rap : il a un meilleur flow, plus de présence mais pas le talent d’écriture d’Orel. Ce dernier lui offrira un album et une carrière en 2016, en lui proposant de relancer leur duo : « Casseurs flowters ». Sympa !
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L’élève a dépassé le maître, et Gringe doit tout à Orelsan. Il y a aussi Skread, l’ange gardien sans qui Orel n’existerait pas, il l’a rencontré en école de commerce. Skread est devenu le producteur de la star. Dans le rap, les producteurs jouent un rôle central, car ils sélectionnent les « beats » et les samples. Skread se débrouille fort bien en la matière, il produisait également des pointures comme Diam’s ou Booba, mais il sent vite le potentiel d’Orelsan et va le faire éclore. « Il était à Caen, il était veilleur de nuit, il ne réalisait pas qu’on pouvait faire un album qui allait intéresser du monde » témoigne-t-il. Mais Skread est plus qu’un « beatmaker », nous pouvons dire qu’Orelsan est sa créature, comme Bowie fut, un temps, celle de Tony Visconti. Et enfin, il y a Ablaye, le seul noir de la bande, qui co-produit et fait office d’homme à tout faire, tâche qu’il accomplit avec tendresse et bonhommie.
Orelsan ce n’est donc pas qu’Aurélien Cotentin, c’est Gringe, Skread, Ablaye et Orel, comme les Stones furent Keith et Mick, et les Beatles John et Paul ! Dans ce documentaire qui nous présente de très vieilles images filmées par son frérot, nous voyons naître le groupe au fur et à mesure de leurs mésaventures et de leurs doutes, avec au centre Orelsan, qui a finalement tous les pouvoirs, puisqu’il a celui des mots. Mais il est mal à l’aise et emprunté sur scène, ce qui est un sacré handicap pour un rappeur. Il apprendra, car Aurélien s’avère être un gros bosseur. Il y a effectivement un monde entre le premier concert à Paris à la Boule Noire, où Orelsan avait oublié d’allumer son micro (« Je ne savais pas qu’un micro ça s’allumait ») et celui, quelques années et bien des aventures plus tard, où Orel met le feu à Bercy.
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Ecrire comme personne avec les mots de tout le monde
Les textes d’Orelsan m’ont bouleversée parce qu’il écrit « comme personne avec les mots de tout le monde », avec un savant dosage d’argot et de poésie. Surtout, il n’est pas dupe, de rien.
C’est un fin observateur de l’époque et ses dérives, il se remet sans cesse en question dans ses chansons, sait que le succès peut s’arrêter à tout moment, et surtout éroder sa sincérité. Son premier album s’intitule « Perdu d’avance », il y met en scène le jeune homme provincial qui a ses doutes et ses errances, le deuxième « Le chant des sirènes » : ne pas succomber aux dérives de la célébrité. Si on devait définir Orelsan en un mot, on choisirait celui ci : pureté.
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