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Orelsan, la sagesse du rap

Quand un rappeur nous parle de "civilisation"...


Orelsan, la sagesse du rap
Orelsan aux 34e Victoires de la musique, 8 février 2019 © Thomas SAMSON/AFP

Le succès d’Aurélien Cotentin, jeune homme issu de la France périphérique devenu Orelsan, rappeur national, ne lui a pas valu que des amis. Loin des clichés de racaille du milieu, il s’est imposé par sa vision du monde sensible et sincère, et par sa façon quasi balzacienne de dépeindre notre société.


En novembre dernier est sorti le quatrième album d’Orelsan, « Civilisation ». Le jour même de sa mise en place dans les bacs, il a été numéro un des ventes et premier sur les plates-formes de streaming. Rançon de la gloire, les critiques n’ont pas tardé non plus : on a entendu dire que le rappeur était devenu démago, moins percutant, voire « vendu au système ». Et avoir été qualifié de « sociologue » par le président Macron n’a pas arrangé son cas. « Orelsan c’est mort, il est récupéré ! », a ainsi tranché Renaud – qui, c’est bien connu, ne l’a jamais été.

Pour ma part, à la faveur d’une série documentaire retraçant son parcours, Montre jamais ça à personne, diffusée sur Amazon, j’ai été cueillie, séduite et emballée par cet artiste sensible et bourru, profondément sincère.

Sous le feu des projecteurs pour de mauvaises raisons

Orelsan a été propulsé sur le devant de la scène médiatique de manière fulgurante et brutale en 2009, quand sa chanson Sale pute, qui figure sur son premier album, « Perdu d’avance », a fait aboyer les chiennes de garde. La meute s’est empressée de dénoncer cette histoire d’un jeune homme qui dit vouloir « avorter à l’opinel » sa petite amie infidèle… La polémique a duré plusieurs semaines et mobilisé jusqu’à Ségolène Royal qui a courageusement réussi à faire annuler le concert du chanteur prévu aux Francofolies de La Rochelle. Je n’ose pas imaginer le sort que lui réserveraient aujourd’hui les thuriféraires de #MeToo.

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À cette époque, le rappeur, dans sa naïveté encore mal dégrossie, n’a pas compris ce qui lui arrivait : « Mais quand il y a l’buzz les merdes rappliquent : les hyènes, les fils de polémistes, je viens juste de sortir mon premier disque, j’fais de la politique, j’suis seul et triste », chante-t-il dans « Shonen », le premier morceau de son dernier album. Mais Orelsan est sorti grandi de cette épreuve et, avec une énergie qui pourrait être celle du désespoir, est parvenu au sommet.

Orelsan, loin des clichés attribués au rap

Il a inventé le rap de la complexité des sentiments, très loin des clichés « gangsta » et testostéronés de Booba et consorts. Il s’est aussi toujours tenu éloigné de la culture du clash, préférant distiller dans ses chansons des « punchlines » assassines : « Si t’as la fureur de vaincre moi j’ai la rage de perdre, j’prendrai même plus la peine de répondre à vos clashs de merde, j’prêterai ni mon buzz ni mon temps, j’verserai ni ma sueur ni mon sang, tu parles de moi pour rien dans tes titres, tu ferais même pas de buzz avec un album antisémite », scande-t-il dans Raelsan, la chanson phare de son deuxième album « Le Chant des sirènes ». Raelsan, c’est son double maléfique, son Gainsbarre à lui, celui qui succombe aux chants des sirènes du succès et à la luxure, qui est au « Cap d’Agde dans la chatte du diable », et qui devient méchamment cynique. Mais heureusement, Orelsan veille pour lui rappeler qu’il ne doit pas perdre de vue Aurélien Cotentin, le petit gars de Caen qu’il a été, lorsqu’il végétait comme veilleur de nuit dans un hôtel. Des nuits passées à composer des sons sur son ordinateur en fumant des joints. Cet Aurélien-là a des liens de parenté avec Holden Caulfield, le héros de L’Attrape-cœurs de Salinger. Il partage avec lui la pureté des sentiments : « Sans concessions les sentiments sont plus purs, voilà pourquoi j’écris des chansons de rupture. » Une forme de lucidité et, surtout, le refus de toute compromission : « Je resterai pas bloqué dans une parodie de succès, dans une version d’Entourage à petit budget, je ferai ce qui me plaît jusqu’à ma dernière quête, jusqu’à revenir dans l’hôtellerie plier des serviettes. »

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Rappeur-chroniqueur de la société contemporaine

La quête. Voilà, à mon sens, le mot-clé pour comprendre l’œuvre d’Orelsan, et particulièrement son dernier album. Ce grand amateur de mangas est en quête, comme dans Dragon Ball, des sept boules de cristal qui représentent la sagesse ultime. Nous l’avons vu évoluer, du garçon un peu paumé des débuts – qui a dû affronter sans filet les jeux du cirque médiatique – jusqu’à l’homme de presque 40 ans, apaisé et jeune marié. Depuis « Perdu d’avance », le rappeur nous livre à la fois son autobiographie et (je n’ai pas peur de l’affirmer) une sorte de Comédie humaine version rap. Il croque des portraits d’une sidérante justesse : du DJ de province dans sa bagnole « tunée » à l’instagrameuse, en passant par la « mi-blogueuse mi-journaliste » ou l’aide-soignante épuisée. En cela, Macron a vu juste : dans cent ans, lorsque les historiens – s’il en reste– voudront étudier la France des années 2020, ils pourront écouter les chansons d’Orelsan.

La force de son caractère et la puissance de ses textes s’expliquent peut-être par sa capacité de détachement, une certaine sagesse, qui lui permet d’observer ses contemporains sans se laisser aveugler par la moindre idéologie. Il peut ainsi viser juste et parfois faire mal, comme dans son chef-d’œuvre Suicide social. Mais Orelsan est bien trop intelligent et lucide pour devenir un chanteur engagé – cette spécialité française – et qu’importe si ses fans les plus droitards se sentent visés par le texte de L’Odeur de l’essence : « Leur faire miroiter la grandeur d’une France passée qu’ils ont fantasmée. » Ils en viendraient à le taxer de gauchiste, ou pire, de macroniste. Notre rappeur ne va pas perdre du temps à leur répondre, il a une œuvre à accomplir. Dans son morceau Manifeste, où le narrateur se retrouve au milieu d’une manifestation qui tourne mal, il prouve ses talents de grand conteur. Pendant les sept minutes haletantes que dure la chanson, nous voyons défiler sous nos yeux toute la détresse et la violence de notre société post-moderne. Orelsan sait aussi la tragédie de l’existence et nous la livre, par petites bribes : « J’ai 7 ans la vie est facile, quand je sais pas je demande à ma mère, un jour elle me dit je sais pas tout, j’ai perdu foi en l’univers. ».

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Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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est enseignante.

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