Quoi qu’on en dise, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán aura eu le mérite de faire savoir au monde occidental que la Hongrie existe (même si beaucoup ont encore du mal à la situer sur une carte). Ce n’est déjà pas si mal ! La Hongrie, ce petit pays d’à peine 10 millions d’âmes dont personne ne se souciait juqu’ici – mis à part les intermèdes Sissi-Romy Schneider, 1956, Rubik’s Cube… et Sarkozy – occupe aujourd’hui les unes des journaux et soulève des vagues d’indignation à Bruxelles, Strasbourg et Washington. Du jamais vu depuis 1956 !
La Hongrie monopolisa justement des heures durant les débats au Parlement européen mercredi dernier à Strasbourg. Débats que j’ai suivis dans leur intégralité (en traduction hongroise). Quelle que soit sa position, on ne peut qu’être effaré par la faiblesse des interventions. La plupart des orateurs, visiblement mal informés, se contentaient de belles phrases creuses ou d’allégations gratuites et infondées, qualifiant par exemple l’ancienne constitution de stalinienne[1. D’après Joseph Daul]. En fait, si la constitution hongroise remonte à 1949, elle a été largement refondue en 1989 et plusieurs fois amendée par la suite puis mise aux normes de Bruxelles lors de l’adhésion de la Hongrie en 2004. Bref, stalinienne pure et dure ! De plus, voulant sans doute profiter de la couverture médiatique qui leur était offerte, les parlementaires étaient bien trop nombreux (peut-être une bonne trentaine) à vouloir prendre la parole pour que chacun puisse ajouter son petit grain de sel pendant les trois-quatre minutes d’intervention réglementaires. En fait de discussions, cela donna un verbiage pénible et ennuyeux comme tout.
Au milieu de ces arguties, Viktor Orbán s’est montré particulièrement habile. Souriant, calme et attentif, il s’est présenté comme un ami de l’Europe, voire (inspiration géniale !) en grand gaulliste. Le problème est que tous ces bons députés ignorent sa maîtrise du double langage. Depuis les bords du Rhin, ces dames et ces messsieurs de bonne volonté n’entendent pas les beaux discours nationalistes et xénophobes qu’il nous réserve sur les rives du Danube. C’est ainsi qu’ils ignorent comment, pas plus tard que lundi dernier, Viktor Orbán a qualifié les produits étrangers – et donc les produits de leuurs industries nationales respectives – de « déchets » (sic : « hulladék ») à rejeter, exemple qui illustre bien sa propagande haineuse[2. Une attitude à distinguer de la défense somme toute compréhensible d’une certaine préférence nationale]. Ces mêmes députés ne voient pas non plus, à moins qu’ils ne regardent les chaînes de télévision hongroises, ce beau décor d’immenses drapeaux hongrois – sans le moindre drapeau européen – qui constitue le fond de ses interventions. Un détail qui en dit long sur ce grand ami de l’Europe.
A la réflexion, le cas hongrois met tristement en évidence les faiblesses criantes de l’assemblée strasbourgeoise. Probablement compétente en matière de principes généraux et de défense abstraite des valeurs communes de l’Union. Mais dès lors qu’il s’agit de traiter de la situation très particulière et complexe (une constitution, 30 lois organiques, plus de 250 lois votées en 18 mois) de l’un des ses membres, comme ce fut le cas mercredi, le doute est permis.
À la décharge des 754 députés européens : comment peuvent-ils, entre membres de 27 Etats de langues et cultures différentes (23 langues officielles), se prononcer sur la situation de l’un des leurs dont il ne pratiquent pas la langue, ne peuvent lire les textes qu’en diagonale et par traduction interposée, et, surtout, ne vivent pas au quotidien le climat social de pays où ils n’ont peut-être même jamais mis les pieds ? C’est là une différence de taille avec nos assemblées nationales.
Enfin, le regroupement artificiel entre partis (issus de 27 pays !) censés partager les mêmes valeurs complique encore la donne. Quoi de commun entre la droite hyper conservatrice hongroise, le Fidesz, et notre UMP, pourtant rassemblés au sein du même Parti populaire européen ? Je pourrais en dire autant au sujet du MSZP (parti socialiste) hongrois et de notre PS au passé et aux traditions on ne peut plus différentes. Voilà de quoi nous rendre bien sceptiques quant à la solidarité de façade entre faux partis frères.
Sans sombrer dans l’euroscepticisme, on peut donc douter de la compétence, de la crédibilité et de l’efficacité d’une telle assemblée, dès lors qu’il s’agit d’examiner un cas aussi complexe que la Hongrie.
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