Non, rassurez-vous, Viktor Orbán est bien en vie et je m’en réjouis. Je lui souhaite même sincèrement longue vie, d’autant que le personnage me serait parfois plutôt sympathique sous certains aspects: sportif, non dépourvu d’un certain humour, dynamique, malin et communicateur hors pair.
Non. Si je fais cette allusion, c’est parce que l’on commence à émettre l’hypothèse de son éventuel départ et on va même jusqu’à citer des noms[1. le nom récemment avancé est celui de Mihály Varga qui, paraît-il, aurait les faveurs de Bruxelles. J’ignore tout de lui sauf qu’il est jeune (46 ans), d’apparence plutôt réservée et sympathique et fut ministre des Finances dans le premier gouvernement Orbán]. Mais ne soyons pas naïf, cela ne changera pas grand chose sur le fond. Bien au contraire. Il n’en sera que plus à l’aise pour manier ses marionettes en coulisses. Car le problème n’est pas tant dans l’offre – l’homme Orbán – que dans la demande. Apres tout, si, populisme et nationalisme aidant, son leadership reste encore indiscutable, ce n’est pas lui, qui dépose des millions de bulletins dans les urnes lors des élections legilsatives. Il ne faut pas oublier non plus les 227 membres de son parti à l’Assemblée nationale qui le suivent comme un seul homme.
En revanche s’il quitte son poste ce ne sera pas de trop pour rafistoler une image du pays bien mal en point sur la scène internationale; de Barroso – pourtant allié de la droite conservatrice[2. membre du groupe de la droite européenne dont fait partie Orbán (groupe du Parti populaire ), Manuel Barroso vient d’adresser au gouvernement hongrois une lettre de la plus grande sévérité lui fixant un véritable ultimatum, pour que soient retirées sans délai les deux lois organiques ici évoquées. Lettre publiée le 20 décembre, que l’on peut consuler sue le web] – à l’affreux Cohn-Bendit en passant par Viviane Reding, Hilary Clinton et les grands ténors de la presse anglo-saxone et allemande. Il faut dire qu’elle en a pris des coups, cette pauvre démocratie hongroise et le visage qu’elle offre aujourd’hui est plutôt tuméfié. Mise sous tutelle de la banque centrale et de la justice[3. nomination a la tête de l’instance qui nomme et révoque les juges (OBH) de Tünde Handó, épouse d’un député du Fidesz et amie intime du couple Orbán,], confiscation pure et simple sans préavis des derniers fonds de pension privés (102 000 adhérents spoliés), suppression de la seule station de radio qui restait favorable à l’opposition[4. Klubrádió, pourtant très modérée, de contenu surtout culturel, la seule qui restait, favorable à l’opposition. Le Conseil de Médias (dont tous les cinq membres appartiennent au Fidesz, le parti d’Orbán) vient de lui supprimer sa longueur d’ondes (effet: février 2012) pour la remplacer par une radio totalement inconnue, gérée par quelques hommes d’affaire, au capital de… 3 000 euros ! Klubrádió jouit d’un grand prestige et d’un grand rayonnement au-delà des clivages politiques, avec 500 000 auditeurs. La nouvelle est en train de soulever une immense vague de protestation dans le pays, et pas seulement dans les milieux de l’opposition, mais bien au-delà. Et qui tombe en même temps que l’annonce de la supression de leur budget à deux des meilleurs théâtres de la capitale (Kamaraszínház et Játékszín), alors que des milliards sont alloués au. football] et bétonnage de l’impôt unique à 16%, même sur les plus hauts revenus (taux inscrit désormais dans une loi organique seulement modifiable par une majorité des deux tiers), pour ne mentionner que les mesures phares de ces derniers semaines. En temps normal, la Hongrie aurait pu supporter la critique internationale mais au bord de la faillite deplaire à Bruxelles est un luxe que Budapest ne peut se permettre.
Et puisque cette politique sinon voulue au moins tolérée par la majorité une majorité de Hongrois, le changement ne viendra pas de l’intérieur, mais de l’extérieur, car Orban est rattrapé par le portefeuille. Confronté à un trou abyssal du budget qu’il n’arrive pas à combler, véritable tonneau de Danaïdes, son gouvernement – revenant sur ses déclarations antérieures – se voit contraint de faire appel au FMI et à Bruxelles. Du coup, l’Union européenne dispose d’un levier puissant pour contraindre le gouvernement hongrois de changer cap.
Ainsi, la délégation qui s’était rendue à Budapest pour des entretiens préliminaires en vue d’une aide financière, vient de partir en claquant la porte. Parmi les raisons officiellement invoquées : la mise sous tutelle de la Banque centrale. Pour le moment Orbán refuse de céder et le blocage qui s’en suit ne présage rien de bon. Car, si jamais les futures négociations n’aboutisssent pas, le prix à payer en sera extrêmement lourd : plus que l’impossibilté d’obtenir du crédit, c’est la chute de la monnaie nationale, le forint, qui est à craindre. Or c’est précisément cette chute de la monnaie par rapport à l’euro et au dollar qui contribue à creuser le déficit budgetaire. Et plus le trou se creuse, plus les marchés s’inquiètent, donc plus le forint va baisser: cercle vicieux entraînant le pays vers la faillite et l’effondrement de l’Etat.
Voilà donc où nous en sommes à ce jour. Seule solution pour débloquer la situation (et sauver la face si l’on fait quelques petites concessions): changer de visage. (Et du même coup laisser au successeur le soin de se débarrasser d’un ministre de l’économie incompétent qu’Orbán, qui ne se trompe jamais, refuse obstinément de désavouer[6. György Matolcsy pour ne pas le nommer].
Sauf que la question, la vraie, n’est pas de changer de premier ministre mais (en exagérant un peu…) de peuple, car la Hongrie est (malheureusement ?) une démocratie. Bien que son parti, le Fidesz, soit en perte sensible de vitesse, il reste encore largement en tete des sondages, faute d’une opposition structurée (dominée par l’extreme droite) et à la faveur d’une passivité (complice) de la majorité. Comment sortir de cette impasse ? Les Hongrois accepteraient-ils de changer de cap pour éviter la faillite, admettraient-ils ne pas avoir les moyens de leurs politiques ? Pour l’instant rien est moins sûr.
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