Le burlesque est au rendez-vous avec « Oranges sanguines », un film de Jean-Christophe Meurisse où rires, gêne et tristesse se confondent… Difficile de savoir si on a aimé
Un improbable jury débat longuement des possibles lauréats d’un concours de rock ringard, le premier prix étant un SUV bardé d’électronique. Les perdants, un couple de seniors endetté, n’y survivront pas. Des énarques en réunion autour du ministre de l’économie se demandent par quel biais plumer efficacement le contribuable. A une adolescente assoiffée de se faire dépuceler par le garçon convoité, une secourable gynéco explique, en consultation, que le coït inaugural va lui être un supplice, que le vagin se ride en prenant de l’âge, que branler un garçon ou lui administrer une fellation se passent d’apprentissage… Un ministre des Finances véreux, – suivez mon regard – infidèle en couple et amateur de chair fraîche, persuade un haut-fonctionnaire, au nom de l’amitié virile, de lui assurer que ses quelques centaines de milliers d’euros sont bien planqués dans un paradis fiscal, à distance des journaleux fouineurs. Ce même complaisant hiérarque ami du ministre, au restau, tente de convaincre un avocat tétanisé que ce dernier n’est pas l’hétéro qu’il croit, et mérite donc de virer sa cuti grâce à (et avec) lui. La pucelle de 16 ans, une fois grimpée aux rideaux au milieu d’une bamboula d’étudiants, copule en braillant telle une forcenée, jusqu’à épuiser son puceau de soupirant. Plus tard dans le film, sommet du bon goût, on verra cette fausse oie blanche cuire au micro-ondes la paire de burnes de son agresseur (dans le rôle, Fred Blin, inénarrable !), qu’elle aura d’abord castré à la scie sauteuse… Le ministre qui, la nuit, fait route secrètement vers une partouze avec des mineures, joue de malchance : un pneu ayant crevé, il demande de l’aide à un rural en robe de chambre (le même Fred Blin). Lequel, psychopathe nourrissant à la baquette asiate son énorme verrat domestique, empoisonne ledit ministre, en lui offrant, en guise d’apéro, un anesthésiant pour éléphants, avant de le sodomiser en levrette. Etc., etc.
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Bon, on ne va pas tout vous raconter en détail. Vous l’aurez compris, les comparses givrés de cette tragi-comédie loufoque, libidinale et sanguinaire en forme de mosaïque se passent le mistigri de saynètes parfois désopilantes, il faut bien le reconnaître, le cynisme et l’outrance leur servant de carburant. A la suite de son premier « long », Apnée (en 2015), le théâtreux Jean-Christophe Meurisse, roi de la farce corrosive, du calembour lourdingue et du titre improbable (cf. en 2020 le spectacle La peste c’est Camus mais la grille est-ce Pagnol ?) remet donc le couvert avec Oranges sanguines, un film co-écrit avec Amélie Philippe et Yohann Gloagen. Ensemble, ils se sont manifestement donnés pour programme de choquer le péquin quoiqu’il en coûte : abus de confiance, chantage, émasculation, meurtre barbare, viol, suicide, orgie, séquestration – surtout, pas de page vide au catalogue de l’infamie.
Portrait acide d’une société hexagonale intégralement addictive et veule, féroce et névrosée, ce « films à sketchs » dévoilé hors compète à Cannes, puis consacré, à Toulouse, par une Amphore d’or au festival du film grolandais, ne serait-il, sous l’alibi d’un humour déjanté, qu’une autoflagellation hexagonale de plus ? Servi par un casting pléthorique (plus d’une vingtaine de participants !) de haute volée (Denis Podalydès, Céline Fuhrer, Alexandre Steiger, Blanche Gardin, Christophe Paou, et j’en passe ), ce jubilant fourre-tout au second degré incite à l’amertume : sur le mode grinçant, il nous dépeint une France où les retraités sans le sou se tuent par désespoir, où les politiques sont des crapules, les adolescent(e)s des monstres, les adultes des tarés, où tout part à vau-l’eau, en somme. « Nous voulons tous un pays uni », ironise une des répliques. C’est mal barré.
Oranges sanguines. Film de Jean-Christophe Meurisse. France, couleur. Durée : 1h42 En salles le 17 novembre.
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