Que me soit offerte ici l’occasion de prolonger par mon témoignage les si justes considérations de Mme Corinne Berger (cf. dernier numéro de Causeur) au sujet de l’épreuve orale de français du baccalauréat qui a lieu en fin de première.
Dans l’ancienne formule de cette épreuve orale, il était très difficile de s’en sortir si l’on n’avait pas révisé les analyses d’extraits réalisées dans l’année : en effet, il fallait être capable de restituer l’une d’elles en dix minutes puis de tenir dix minutes d’entretien sur le texte, avec des questions qui, partant de l’extrait, pouvaient aller jusqu’à des interrogations sur l’auteur, les mouvements esthétiques, l’histoire des idées, l’évolution d’un genre littéraire, etc. Aujourd’hui, une fois réalisée l’analyse de l’extrait, le candidat ne peut pas être interrogé sur le texte : les instructions sont très claires, c’est interdit. On passe alors à la seconde partie de l’épreuve.
Dès lors, concrètement, que se passe-t-il ? Nombre de candidats utilisent d’une fort étrange manière leur temps de préparation : au lieu de se concentrer sur l’extrait à analyser pour la première partie de l’épreuve et sur la question de grammaire qu’on leur a donnée, ils mettent par écrit – en hâte avant de l’oublier! – ce qu’ils ont lu sur Wikipédia au sujet de l’œuvre qu’ils ont choisie pour la seconde partie (sur laquelle, normalement, ils devraient être au point sans aucun besoin de préparer des notes le jour J). Cela leur prend, au maximum, une dizaine de minutes.
Puis ils s’ennuient.
– Madame, est-ce que j’suis vraiment obligé d’attendre ?
– Moi, je suis obligée de vous donner une demi-heure de préparation.
Attente. Vient l’heure de passage.
– Alors, je vais lire le texte.
Ils lisent; souvent mal; juste histoire de grappiller un point sur les deux prévus au barème pour la lecture du texte.
– Voilà. Et j’ai rien à dire sur ce texte.
– Vous êtes sûr ? Je dois vous signaler que vous disposez encore de huit minutes (!) pour cette première partie de l’épreuve. Vous me confirmez que vous ne souhaitez pas utiliser le temps qui vous est imparti ? » Ils confirment. On écrit sur la fiche individuelle : « le candidat n’a pas souhaité etc. »
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Beaucoup croient ensuite se débarrasser de la question de grammaire en disant : « j’suis désolé, madame, mais sérieux, j’en sais rien, j’ai même pas compris c’est quoi votre question ».
Mais les consignes nous autorisent à aider l’élève en lui posant des petites questions pour le guider vers la réponse. Par exemple, on lui demande de trouver les verbes conjugués, c’est un bon début ; s’il en est capable, on peut espérer élever le niveau de difficulté, mais sans espoir d’atteindre jamais les exigences de la classe de première… Certains candidats se disent sans doute « ah ok, ça, je dois pouvoir y arriver » et ils cherchent gentiment les verbes conjugués dans la phrase, espérant, là encore, qu’on leur dénichera un point sur les deux prévus au barème pour la question de grammaire. Mais trouver les verbes conjugués, diable, que c’est dur !
On décèle dans leur regard la satisfaction quand ils entendent : « nous allons passer à la seconde partie de l’épreuve ». Et là, ils lisent les misérables réminiscences de Wikipédia qu’ils ont recrachées sur leur brouillon durant la trop longue demi-heure de préparation. Le calvaire s’achève avec les cinq minutes d’entretien. Notez qu’auparavant, l’entretien de dix minutes portait sur un texte choisi par l’examinateur parmi tous ceux qui avaient été travaillés dans l’année. Désormais réduit de moitié, cet entretien porte, au surplus, sur un livre choisi par le candidat lui-même parmi ceux qu’il est censé avoir lus. On peut difficilement imaginer plus beau cadeau ! Chaque candidat a les moyens d’apparaître en spécialiste; il peut anticiper assez aisément les questions qu’on va lui poser. Et pourtant : « quel passage accrédite votre jugement sur ce personnage ? » « Comment le héros conçoit-il son acte ? » « Quelles objections l’auteur formule-t-il ? ». Tous ces termes compliqués (accrédite, conçoit, objection) et cette manie d’inverser l’ordre des mots pour nous emmêler ! Alors évidemment : « Madame, j’suis désolé, j’comprends pas votre question ».
Et si la compréhension des questions est laborieuse, la formulation des réponses ne l’est pas moins.
« J’sais pas comment dire… j’sais pas comment dire… »
Certains tentent le coup, avec le vocabulaire dont ils disposent : « bah, en fait, genre, le personnage y flippe passque y voit bien l’autre il a compris la vérité et tout ça. »
Ce livre vous a-t-il plu ? « Bah, y a plein de trucs j’ai pas compris passque c’est quand même vieux et tout [NB : il s’agissait d’un livre de Victor Hugo…]. Mais j’ai kiffé que l’auteur y veut plus de justice dans le monde et tout ça. Et je pense on doit se battre pour plus de justice passque aujourd’hui encore y a plein de problèmes dans le monde et tout. Voilà. »
Là, on a affaire à un bon élève. A comparer aux dizaines d’autres qui regardent tourner la trotteuse en répondant « j’sais pas; j’sais pas; j’vais être honnête avec vous, madame, j’l’ai pas lu ».
Oui, un bon élève. Vous riez? Vous vous demandez quelles sont les qualités de ce candidat qui s’exprime comme un rappeur et ponctue son discours de « et tout » et de « genre »? Je vais vous le dire avec les critères officiels: il manifeste une certaine connaissance du contenu de l’œuvre (« le personnage y flippe etc. »); il fait la preuve d’une certaine sensibilité littéraire (« j’ai kiffé ») ; il est attentif à l’actualité des enjeux de cette œuvre (« on doit se battre pour plus de justice passque aujourd’hui encore etc. »). On pourrait même ajouter qu’il sait soulever l’obstacle linguistique induit par la temporalité de l’œuvre (« y a plein de trucs j’ai pas compris passque c’est quand même vieux et tout »).
Dans son article, Corinne Berger s’étonne du choix des œuvres proposées par les collègues pour les lectures cursives : mémoires de Michelle Obama, d’une catcheuse américaine, de Diam’s. La question que tout le monde se pose à la lecture du témoignage de Corinne Berger, c’est : « les examinateurs lisent-il vraiment toutes les œuvres sur lesquelles ils interrogent les candidats ? » Dans l’idéal oui, puisque, reconnaissons-le, beaucoup de professeurs ont la décence d’offrir à leurs élèves l’occasion de lire de vraies belles œuvres du patrimoine. Nous disposons de peu de temps entre la communication des listes et la date des épreuves mais c’est tout juste le délai nécessaire pour compléter notre culture en lisant les quelques livres que nous ne connaissions pas ou pour relire ceux dont le souvenir est un peu lointain. Bien entendu, ce que je dis n’est pas valable si une liste d’œuvres contient un grand nombre de titres inconnus de l’examinateur. Je ne sais pas ce que j’aurais pu fournir comme efforts s’il avait fallu que j’ingurgite tous les livres évoqués par Corinne Berger, dans l’hypothèse où ils eussent été présents sur une même liste…
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La question (« les examinateurs lisent-il vraiment toutes les œuvres sur lesquelles ils interrogent les candidats ? ») est, par conséquent, totalement légitime et j’y réponds ici en citant une inspectrice. Sollicitée, lors d’une réunion d’entente, par un professeur qui s’inquiétait de devoir interroger des candidats sur un livre qu’il recevrait trop tard et qu’il n’avait pu trouver en bibliothèque (donc vraisemblablement pas une œuvre majeure…), elle a répondu ce qui suit, tenez-vous bien :
« Le but de cette épreuve n’est pas de vérifier que le candidat a lu le livre. Vous-même n’êtes pas obligé de l’avoir lu. Justement, vous aurez moins d’attentes et vous serez plus sensible à l’appropriation personnelle de l’élève. Il faut éviter les entretiens formatés avec des listes de questions très fermées. »
Et le collègue a eu ce verdict formidable :
« Si je comprends bien : un examinateur qui n’a pas lu le livre interroge un candidat qui ne l’a pas lu non plus. C’est ça, le nouveau bac. »
Le Covid ne constituant plus un obstacle à la tenue de vraies réunions, c’est sans doute uniquement pour économiser le prix du café et des petits gâteaux que cette réunion d’entente avait lieu en visio. Nous étions invités à poser nos questions par écrit dans un fil de discussion et les inspecteurs répondaient à celles qu’ils voulaient. Ils étaient aussi libres de ne pas réagir aux remarques acerbes des professeurs excédés, pour beaucoup exaspérés par le mépris d’un tel dispositif. La remarque de ce courageux collègue, lue par tout le monde, resta donc sans réaction de la part des inspecteurs; toutefois, je tiens à citer en conclusion l’aimable rappel qui nous fut adressé, ultime injonction à la bienveillance, en clôture de ces échanges stériles: « N’oubliez jamais que vous notez les élèves de vos collègues. » J’aimerais faire un petit commentaire un peu drôle là-dessus; mais je ne trouve rien à dire.