Tout ce qui apprend aux enfants, aux étudiants, aux enseignants et autres catégories mémoriellement défavorisées, quels furent les sacrifices, mais aussi les ruses, les audaces, les innovations tactiques et stratégiques mis en œuvre pour terrasser l’hydre germano-nazie est bon à prendre.
Amateurs d’Histoire, de souvenirs, et de grandes batailles où les bons exterminent les méchants, nous savons tout ce que nous devons aux boys américains, anglais et canadiens (et aussi quelques autres, Never Forget Kieffer !) débarqués en Normandie. Nous avons été émus aux larmes de voir revenir sur nos plages ces héroïques nonagénaires, même si nous avons été passablement énervés par le baratin pseudo-humaniste et les innombrables erreurs historiques proférés par certains chefs d’Etat et trop de journalistes mobilisés pour fêter le D-Day.
Nous signalerons aussi que nous avons été attristés par les contorsions relativistes publiées, à cette occasion, par un certain nombre de bolchéviks maintenus , éminemment estimables et sympathiques par ailleurs. On ne grandit pas le mérite de l’Armée Rouge en minimisant la formidable mobilisation antinazie du peuple américain, de son armée et de son président.
Cela dit, une attitude aussi étroite, mais inverse, prédomine hélas aussi dans nos médias, si l’on constate le peu d’enthousiasme mis à commémorer l’Opération Bagration, pire et dernier cauchemar d’Hitler. Il ya certes eu l’excellente émission « La marche de l’Histoire » par Jean Lebrun astucieusement diffusée le 6 juin par France Inter avec le meilleur spécialiste mondial de l’Armée Rouge, nous avons bien sûr nommé Jean Lopez.
Mais à part ça, pas grand-chose à l’antenne, pour ne pas dire peau de balle. Pourtant, l’opération Bagration -ainsi baptisée par Staline dans son souci d’enraciner la « Grande Guerre Patriotique » dans la plus pure tradition de l’héroïsme russe– est un événement dont l’envergure militaire et historique ne cède en rien à la bataille de Normandie. Pour la première fois, Joukov et les Soviétiques vont pouvoir mettre en œuvre le fameux « art opératif » qu’ils ont été les premiers à théoriser au début des années 30.
Stalingrad fut une bataille d’anéantissement classique, Koursk une bataille défensive, Bagration qui va comporter 10 offensives coordonnées (« Joukov joue du piano » écrira Lidell Hart) va concerner un front de 1000 km et permettre, à la stupéfaction du monde entier, une avancée de 600 km. Elle sera précédée d’une préparation logistique assez incroyable pour un pays martyrisé et pour ses parties récemment libérées, détruit de fond en comble par les envahisseurs nazis avant leur fuite.
Autre point commun avec le débarquement en Normandie, l’usage forcené de la ruse : Bagration fut précédé de la plus inimaginable « déception » de l’histoire militaire depuis le Cheval de Troie. Cette gigantesque opération d’intoxication, «la maskirovka » fût en vérité d’une autre ampleur que Fortitude. Idem pour la contribution de la Résistance. Le matin du 20 juin, 15 000 explosions paralysèrent toutes les communications ferroviaires et détruisirent tous les ponts importants sur les arrières allemands en Biélorussie. Les soviétiques ont aussi expérimenté la sauvagerie allemande. Des Oradour-sur-Glane, la Biélorussie en a connu 628.
En heureuse contrepartie, 800 000 Allemands furent mis hors de combat en trois semaines, soit cinq fois plus qu’en Normandie[1. On met souvent en avant, et à juste titre, le chiffre effarant des morts soviétiques de la deuxième guerre mondiale. Il y a un autre chiffre significatif qui dit bien la conséquence de cette contribution. Les alliés anglo-saxons mettront hors de combat chaque année en moyenne 200 000 Allemands. Les Soviétiques, 1 200 000…]. Trois ans jour pour jour après le déclenchement de Barbarossa, le fameux « Groupe d’armées centre », celui qui avait aperçu en décembre 1941 les bulbes de Moscou, est complètement détruit. La Bête est entrée en agonie.
Chacun des alliés poursuivait dans cette grande coalition ses objectifs propres, ce qui est normal. Entre 14 et 18, la France a fait l’essentiel du boulot. Mais elle n’a tenu que quatre semaines en mai 40. Nous devons cependant gratitude et reconnaissance à tous ceux qui ont contribué à nous remettre de cette catastrophe. Et le 24 août prochain, n’oublions pas non plus les héros de la Résistance intérieure et ceux de la France Libre, avec une pensée particulière pour les glorieux combattants du 9ème compagnie du Régiment de marche du Tchad, plus connue sous son surnom espagnol de la Nueve.
Bref, honneur aux Alliés, honneur à tous nos Alliés !
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