Accueil Culture De «Salomé» bondage à «Don Quichotte» en canapé: sauvés par les voix!

De «Salomé» bondage à «Don Quichotte» en canapé: sauvés par les voix!

"Salomé" de Richard Strauss jusqu’au 28 mai, et "Don Quichotte" de Jules Massenet jusqu’au 26 mai, à l’Opéra


De «Salomé» bondage à «Don Quichotte» en canapé: sauvés par les voix!
La soprano norvégienne Lise Davidsen © Fredrik Arff

Les voix puissantes et virtuoses de l’opéra nous sauvent des choix hasardeux de certains metteurs en scène contemporains…


C’est peu dire que la direction tonitruante, à la fois nerveuse et sensuelle du chef britannique Mark Wigglesworth restitue à plein, dans l’immensité de la salle Bastille, la stupéfiante modernité de cette musique kolossale entre toutes : sauvage, luxuriante, langoureuse… La puissance sonore des neuf percussionnistes ajoute à l’opulence de l’orchestre, traversé par les cris suraigus de la princesse de Judée, Salomé.

La soprano norvégienne Lise Davidsen, 37 ans, reprend le rôle-titre dévolu il y a deux ans à Elza van den Heever dans la même mise en scène, signée de l’Américaine Lydia Steier. La chanteuse sculpturale y triomphe absolument, musclée d’une voix au volume impressionnant, qui n’interdit jamais la subtilité dans le medium, et la plus parfaite ciselure dans le phrasé. Cette wagnérienne pur jus s’avère néanmoins capable d’incarner, tout aussi bien Leonora dans La force du destin (Verdi), que les mélodies de son compatriote Edvard Grieg… On n’a pas fini d’entendre (parler de) Lise Davidsen.

Salomé : cour de drag-queens, gothiques en lycra

Millésimé 1905, le troisième opéra de Richard Strauss inaugure la forme lyrique du XXème siècle avec un éclat souverain. Le compositeur est lui-même l’auteur du livret, tiré comme l’on sait de la célèbre pièce écrite en français en 1891 par Oscar Wilde. Quatre ans plus tard, Elektra, autre chef-d’œuvre, entamera dans cette même veine névrotique la féconde collaboration avec l’écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal, futur librettiste d’Ariane à Naxos ou du Chevalier à la rose

© Charles Duprat – OnP

En 2024, il n’est plus une seule scénographie qui sacrifie de façon littérale à l’orientalisme clinquant dont la « danse des sept voiles » devant le Tétrarque hypnotisé constitue le plus célébrissime morceau de bravoure. Certes, il en faut beaucoup aujourd’hui pour choquer le public, habitué qu’il est aux transpositions débridées. Mais Lydia Steier a tout de même réussi à remuer les tripes des plus aguerris : le roi Hérode (excellent ténor allemand Gerhard Siegel) a la silhouette d’un Ubu en résille, ventripotent et libidineux, comme réchappé d’un cirque tzigane ou fellinien ; Hérodiade, son épouse (l’irremplaçable mezzo-soprano moscovite Ekaterina Gubanova), dépoitraillée, exhibe d’imposantes mamelles aux tétons percés de pierreries, érotomane livrée de bout en bout à la lubricité auprès de son obéissante soldatesque ; à l’étage fornique une Cour de drag-queens, de sado-maso et de gothiques en lycra, s’adonnant derrière leur baie vitrée à une interminable orgie dont les esclaves sexuels, une fois consommés, sont transportés nus au bas de l’escalier, dans des linceuls de toile blanche, pour être aussitôt jetés à l’égout par des gardes patibulaires, Famas en bandoulière, harnachés comme des CRS en tenue de combat, ou encore par ces employés en étanches combinaisons jaunes, façon liquidateurs de Tchernobyl…

Bottée, en toge blanche, brune chevelure raide comme la vertu, Salomé cèdera aux instances d’Hérode en le débraguettant elle-même, avant de se voir chevauchée par les courtisans dans un sordide viol collectif, dont elle émergera en charpie sanguinolente, bientôt dédoublée par une figurante qui agonise convulsivement au sol. Dans la scène finale, Salomé monte aux cieux, transfigurée, enlacée dans sa cage à son Jochanaan (le baryton-basse danois Johan Reuter) dont elle exigeait la tête… Au dénouement, Lydia Steier nous réserve encore une surprise. Quand Hérode clame : « tuez cette femme ! », le coup de feu est pour lui : Salomé révisée.

Don Quichotte : variations virtuoses

C’est le même génial Richard Strauss qui, en 1898, compose Don Quichotte, sublime poème symphonique inspiré par l’immortel roman de Miguel de Cervantes Saavedra (1547-1616), où l’alto, le violoncelle et le hautbois se relaient dans des variations virtuoses. Dix ans plus tard, en France, un Jules Massenet alors au faîte de sa gloire – il approche les 70 ans – commande à Henri Cain, dramaturge et librettiste incontournable de l’époque, l’adaptation du Chevalier de la longue Figure, une pièce contemporaine de Jacques Le Lorrain tirée de l’iconique roman de chevalerie. C’est au même Henri Cain qu’on doit les livrets de Sapho (1897) et de Cendrillon (1898) – un must de Massenet comme l’on sait. Mis en chantier en 1908, Don Quichotte sera créé en 1910 à l’Opéra de Monte Carlo : triomphe immédiat. Jules Massenet s’éteint deux ans plus tard.

Avouons-le, si cette ultime œuvre lyrique n’a pas eu les honneurs de l’Opéra de Paris depuis un quart de siècle, c’est peut-être qu’elle n’atteint pas à la mélancolie éthérée de Werther, à la magnificence mélodique de Thaïs ou du Roi de Lahore, ou à la flamboyance du Cid, chef d’œuvres antérieurs d’un homme qui, artiste officiel de la République en son temps, fut ensuite durablement rejeté comme « démodé » avant que la postérité ne lui redonne toute la place qu’il mérite au ciel de l’académisme.  

Don Quichotte 23-24 © Emilie Brouchon – OnP

L’éclectisme hispanisant de Don Quichotte, d’une écriture musicale ultra-raffinée, permet de savourer surtout les impeccables vocalises de notre jeune mezzo nationale Gaëlle Arquez, toujours aussi brillante scéniquement, en Dulcinée psalmodiant, au début du quatrième acte : « Lorsque le temps d’amour a fui/ Que reste-t-il de nos bonheurs ? ». On n’est pas aussi convaincu par les parti pris de mise en scène de Damiano Michieletto. Non qu’on soit opposé par principe aux transpositions, mais d’abord cette idée que le héros (Don Quichotte en l’espèce), vieillissant et pétri de nostalgie, revoie son passé du fond de sa retraite, voilà qui finit par devenir un poncif à l’opéra – déjà exploité vingt fois. Le voilà donc ici, malade et neurasthénique, remâchant les fantômes du passé entre cachets et verres de scotch, enfoncé dans le canapé de son deux-pièces aux murs verdâtres, où l’ami Sancho, dans la cuisine attenante, dresse le couvert – un couple gay ? Dieu, que ce décor est moche ! L’Espagne ne s’y fraie un passage qu’à travers les silhouettes voilées, muettes et noires d’une troupe de danseurs flamenco des deux sexes ; la chevalerie ne s’incarne que dans des chevaux de manège qui flottent transitoirement entre sol et plafond ; les brigands de grand chemin s’invitent sur le plateau sous l’aspect de blousons noirs qui s’extraient du mobilier comme des souris ; les amants de Dulcinée sont nippés d’uniformes, corsetés tels des étudiants d’Oxford ; la foule des courtisans a des airs de rallye mondain, circa années 1960. Etc. L’éblouissement picaresque s’évanouit dans la clarté blanchâtre de cet intérieur bas de gamme, dont les cloisons coulissantes ne s’ouvrent jamais sur aucun imaginaire tentateur.

Miracle des voix, pour nous sauver de certains metteurs en scène – ces nouveaux maîtres du lyrique.         


Salomé. Drame lyrique en un acte de Richard Strauss. Direction : Mark Wiggleswoth. Mise en scène : Lydia Steier. Avec Lise Davidsen (Salomé), Gerhard Siegel (Hérode), Ekaterina Gubanova (Herodias), Johan Reuter (Jochanann)… Orchestre de l’Opéra national de Paris.

Les 15, 18, 22, 25, 28 mai à 20h. Durée : 1h40.

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Don Quichotte. Comédie héroïque en cinq actes de Jules Massenet. Direction : Mikhail Tatarnikov. Mise en scène : Damiano Michieletto. Avec Gaëlle Arquez (Dulcinée), Christian Van Horn (Don Quichotte), Etienne Dupuis (Sancho)… Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris.

Les 17, 21, 23, 29 mai, 1, 5, 8, 11 juin à 19h30. Le 26 mai à 14h30.Durée : 2h35

Retransmission en direct le 23 mai à 19h30 sur France TV/ Culturebox ; et le 29 juin à 20h sur France Musique.




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