Le musée de Flandre, à Cassel, ouvre ses portes à Hans Op de Beeck. L’univers étrange de cet artiste offre une méditation mélancolique sur les choses et les êtres qui composent notre monde. Un grand nom de la figuration à découvrir absolument.
Ce qui frappe, dans l’œuvre de Hans Op de Beeck, artiste belge né en 1969, ce sont surtout ses sculptures grises parfaitement réalistes. Cependant, contrairement aux hyperréalistes, on ne trouve pas chez lui de recherche de virtuosité dans le mimétisme, mais seulement un sobre souci de fidélité. L’artiste a largement recours aux outils récents de numération et d’impression 3D, complétés par des opérations manuelles où s’exprime sa patte. En dépit de leur apparente modernité, ces techniques ne sont nullement étrangères à la tradition de la sculpture, qui s’est toujours beaucoup appuyée sur le moulage. Ainsi l’atelier de Rodin, conservé à Meudon, permet-il de découvrir une véritable bibliothèque de fragments de corps moulés.
Une atmosphère à la Pompéi
Avec Op de Beeck, on a l’impression de redécouvrir notre monde après une catastrophe du genre de celle de Pompéi. L’artiste ne retient du réel que des formes, en les dépouillant de tout ce qui les anime. Ces formes monochromes sont comme des idées ou des essences dont on mesure à quel point elles ont part au réel et, en même temps, combien elles sont irréelles et dénuées de vie.
L’artiste ne se contente pas de faire des pièces isolées. Souvent, il crée des environnements complets dans lesquels on peut entrer et observer en immersion. Ces installations importantes mobilisent une équipe de cinq ou six assistants. Son atelier est une PME.
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L’exposition de Cassel (Nord) est enrichie de dessins finement réalisés et de photographies où prévaut une sorte de torpeur. On sent que l’artiste est attiré par la contemplation, le silence. Chez lui, il n’y a pas de messages, mais plutôt une atmosphère d’interrogation vague et inaboutie sur les choses et sur l’existence.
Le gris convient à sa tristesse
Là où Op de Beeck s’éloigne radicalement de la réalité, c’est par la couleur. Toutes ses sculptures sont grises, un beau gris cendre, uniforme et empreint d’une certaine tristesse. On peut se demander à quoi correspond ce choix étrange. Il n’est pas dû à des particularités personnelles, comme c’est le cas pour le grand illustrateur Arthur Burdett Frost, cantonné à des camaïeux de gris et beige à cause de son daltonisme. Chez Op de Beeck, le gris est un choix mûrement réfléchi.
Nous sommes coutumiers des statues presque blanches alors que les grises sont rares. Le gris évoque le deuil, la cendre. Dans la nature, le gris est souvent la teinte de ce qui est délavé. Par exemple, les sols lessivés de la forêt boréale, les fameux podzols, sont gris (podzol vient du mot « cendre » en russe).
Dans nombre de cultures, le blanc est aussi le signe du deuil et de l’absence. C’est cette dernière impression, liée au manque de couleurs, que devraient nous inspirer les statues en pierre claire, d’autant plus que beaucoup d’entre elles étaient, au départ, polychromes. Qu’il s’agisse des sculptures antiques ou médiévales, elles étaient initialement peintes avec des couleurs qui leur donnaient vie. Les statues que nous admirons aujourd’hui dans les musées sont comme ces assiettes passées trop souvent au lave-vaisselle, qui ont perdu leur décor. C’est cette perte regrettable qui nous pousse paradoxalement à les prendre au sérieux, à les trouver classiques et dignes de la haute culture. Regarderait-on avec la même déférence la Vénus de Milo si elle avait des fesses roses et une chevelure blonde ? Toujours est-il que, pour nos contemporains la blancheur est devenue le standard ordinaire de la statuaire et ne suscite aucune émotion particulière. En se déplaçant dans le registre des gris, Op de Beeck rend plus sensible la dévitalisation inhérente à la sculpture.
Contemporain des anciens et de la BD
Le musée de Flandre a proposé à l’artiste de dialoguer avec ses collections, c’est-à-dire de reprendre à sa façon certains des thèmes abordés par les artistes anciens. En Flamand, Op de Beeck a d’abord regardé du côté des maîtres flamands. Ces derniers lui ont inspiré des objets (natures mortes) et de petits moments de vie ordinaire (scènes de genre). Il répond aussi à une toile monumentale, une peinture d’histoire de Francis Tattegrain (1852-1915), intitulée Les Cassellois dans le marais de Saint-Omer se rendant à la merci du duc Philippe le Bon le 4 janvier 1430. Op de Beeck lui oppose un homme à cheval, grandeur nature. Le Cavalier évoque le voyageur solitaire de tous les temps, le chevalier errant, le Wanderer. Ce personnage étrange est accompagné de son animal de compagnie, un petit singe, et lesté d’un fourbi d’objets utilitaires plus ou moins nécessaires au voyage.
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On peut se demander ce qui a amené Op de Beeck à développer cet univers artistique si singulier. Le point important est que son parcours est longtemps resté à l’écart – j’allais dire à l’abri – de l’art contemporain. Enfant, le jeune Hans a été confronté à des difficultés familiales et s’est réfugié dans le dessin et la lecture de BD. Comme pour beaucoup d’autres artistes figuratifs actuels, la BD a été une potion magique dans laquelle il est tombé très tôt. Et tous ces récits en images ont constitué pour lui l’équivalent visuel d’une langue maternelle. D’autre part, il n’a eu aucun contact, ou presque, avec l’art contemporain jusqu’à ses 23 ans ; à cet âge, il était suffisamment avancé dans sa pratique pour résister aux modes et aux concepts dans l’air du temps. L’isolement est parfois une chance.
À voir absolument
« Silence et résonance : quand l’art de Hans Op de Beeck rencontre les maîtres flamands », musée départemental de Flandre, Cassel, jusqu’au 3 septembre 2023.