À l’heure où la société syrienne et le reste du monde essaient de prendre la mesure de tous les crimes commis par le régime inhumain de Bachar al-Assad et d’en faire l’inventaire, c’est l’occasion de revenir sur la façon dont certaines institutions de l’Organisation des Nations Unies ont traité le cas du dictateur et de se demander si ces institutions sont à la hauteur de leur tâche.
Toutes les institutions faisant partie de l’ONU sont-elles vraiment aptes à atteindre les objectifs définis par leur mission ? Il est permis d’en douter dans un certain nombre de cas, comme celui du Conseil des droits de l’homme. Créé en 2006 et composé de 47 États-membres (qui changent tous les trois ans), il a pris la relève de la Commission des droits de l’homme, datant de 1946. La Commission avait été accusée d’être le jouet d’États-membres qui, ne respectant pas eux-mêmes les droits de l’homme, rechignaient à condamner d’autres États qui les bafouaient aussi.
Pourtant, une étude publiée par l’École de droit de l’université de Chicago en 2016, fondée sur l’analyse des données de la période de 1998 à 2013, est déjà arrivée à des conclusions décevantes. Si les membres du Conseil des droits de l’homme étaient en moyenne plus respectueux de ces droits que les membres de l’ancienne Commission, « le bilan des droits de l’homme des membres du Conseil […] est toujours pire que celui de la moyenne des membres de l’ONU qui ne font pas partie du Conseil […]. » Et les choses ne se sont pas améliorées depuis.
Avis orientés
Quelle est la mission du Conseil ? Selon ses propres termes, il est « chargé de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde. » De manière générale, il est censé faire « face aux différentes situations d’urgence en matière de droits de l’homme et formule[r] des recommandations pour les faire respecter sur le terrain. » Parmi ses objectifs spécifiques, il doit établir « des commissions d’enquête et des missions d’établissement des faits qui produisent des preuves irréfutables sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. »
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Quel est donc son bilan ? Prenons le cas d’un dictateur parmi d’autres – celui de Bachar al-Assad qui vient d’être chassé du pouvoir et de se réfugier auprès d’un autre dirigeant autoritaire, Vladimir Poutine. Au cours de la guerre civile qui a dévasté la Syrie à partir de 2011, au moins 300 000 civils sont morts. Au moins 100 000 autres personnes ont été portées disparues, assassinées ou emprisonnées. Le régime n’a pas hésité à avoir recours aux armes chimiques et aux armes à sous-munitions. Il y a largement de quoi condamner l’ex-dictateur pour des crimes de guerre, voire pour des crimes contre l’humanité. Le Conseil des droits de l’homme l’a-t-il fait ?
Il y a presque trois ans, le régime du dirigeant sanguinaire était, non pas censuré mais encensé par le Conseil des droits de l’homme, comme l’a récemment rappelé UN Watch, l’ONG basée à Genève dont la mission est d’apprécier la façon dont l’ONU respecte sa propre Charte. Le 24 janvier 2022 a eu lieu pour la Syrie l’Examen périodique universel, un exercice par lequel chaque État-membre de l’ONU livre un compte-rendu de son action en faveur des droits humains et reçoit des recommandations d’autres États-membres quant aux progrès qu’il doit encore faire. Or, des 91 membres de l’ONU qui ont parlé du cas syrien ce jour-là, pas moins de 50 ont loué les progrès accomplis par le régime en termes de droits de l’homme.
À la tête du client
Parmi ces 50 membres, des pays comme l’Iran, la Biélorussie, la Russie, la Chine, le Venezuela, ou Cuba, des pays qui n’ont pas intérêt à attirer l’attention sur leur propre bilan en matière de respect des droits humains. Il y avait aussi la Palestine qui jouit du statut d’État observateur à l’ONU et, étant donné son implication dans les relations complexes entre les acteurs au Moyen Orient, qu’on peut soupçonner de donner un avis orienté. Tous ces pays ont félicité le régime syrien spécifiquement pour son combat contre le « terrorisme », un cacophémisme désignant les différentes forces rebelles, et pour sa résistance aux sanctions imposées par les gouvernements occidentaux, désignées elles, par le cacophémisme « mesures coercitives ». Une véritable leçon dans la manière d’exonérer un criminel patent au nez et à la barbe des pays démocratiques.
Comment donc faire confiance aux opinions et recommandations émanant du Conseil des droits de l’homme ? C’est de ce conseil que dépend la fonction de Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Or, cette fonction est remplie actuellement par Francesca Albanese, la militante propalestinienne qui n’a cessé de proclamer qu’Israël est coupable d’avoir commis un génocide à Gaza. En revanche, la Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, la Kenyane, Alice Wairimu Nderitu, a été limogée pour des raisons apparemment obscures mais sans doute liées à sa réticence à condamner Israël publiquement pour le crime de génocide.
Décidément, à l’ONU en général et au Conseil des droits de l’homme en particulier, la justice est à la tête du client.