Les ONG ne sont pas des auxiliaires de l’État. Elles défendent des idéaux parfois contraires aux intérêts du pays mais c’est pourtant sur elles que se reposent nos institutions pour gérer des pans entiers de leur politique migratoire. Les rapports ne peuvent être que conflictuels.
L’affaire de l’Ocean Viking a ravivé le débat sur le rôle des associations en matière d’immigration. De leur côté, celles-ci déplorent l’inhumanité et l’égoïsme des pays riches qui ne veulent pas prendre leur part de la misère du monde. De l’autre, une partie des politiques et de la population estime que les ONG font le jeu des passeurs et se rendent complices, de fait, de leur trafic d’êtres humains. Concernant l’hébergement des migrants, les relations entre l’État et ses prestataires de services associatifs (Coallia, la FNARS, la Croix-Rouge, France terre d’asile, etc.) sont également tendues et conflictuelles. Il n’en reste pas moins que, dans les deux cas (secours en mer et hébergement), si les associations occupent le terrain, c’est parce que celui-ci est déserté ou négligé par les institutions qui devraient y exercer leur autorité.
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Si la Commission européenne ambitionne de réformer la politique d’asile et le mécanisme de solidarité d’accueil des réfugiés entre États, les membres de l’Union ne se sont pas encore organisés pour contrôler les voies migratoires et négocier avec les pays d’origine ou de transit des migrants. Comme pour le mistigri, le but du jeu de nos dirigeants est de ne pas accueillir de bateaux tout en évitant de passer pour des monstres sans cœur. Selon SOS Méditerranée, 46 appels à l’aide ont été envoyés par l’Ocean Viking sans qu’il reçoive la moindre réponse de part et d’autre de la Méditerranée. Dès lors, on peut s’étonner de la virulence avec laquelle les ONG ont concentré leurs critiques sur les méchants Européens quand les pays du Maghreb ne se sont pas montrés plus accueillants.
N’oublions pas cependant que l’objectif de ces associations est d’empêcher la Méditerranée de devenir un tombeau pour des gens en quête d’une vie meilleure. Cela est d’autant plus légitime que ces ONG ne sont pas responsables des mécanismes juridiques, politiques et diplomatiques qui interdisent aux États de gérer correctement les personnes atteignant leur territoire. Et elles ne sont pas plus responsables de la lâcheté des élus qui ont fait de ce sujet un tabou.
Ainsi est-il peu productif de reprocher à des associations un positionnement humanitaire et idéaliste. Elles ont une raison d’être qui leur est propre, ne tenant compte que de leurs seuls principes, quand un État doit penser aux conséquences de ses actes et gérer la tension entre l’idéal et le possible. Cette différence entre l’éthique de conviction d’une association et l’éthique de responsabilité d’un État explique que les incompréhensions entre les deux entités soient très fortes.
Les ONG ont toute leur place auprès des migrants et demandeurs d’asile pour les conseiller et les assister dans leurs démarches. Ce faisant, elles n’agissent pas en auxiliaire de l’État, mais dans le strict intérêt des personnes accompagnées. La répartition des rôles est alors claire. En revanche, leur confier la gestion de l’hébergement et de l’intégration n’est pas une bonne idée ! Ces associations voient souvent l’assimilation comme une violence faite à l’appartenance d’origine et non comme la chance de trouver sa place dans un nouveau monde, une nouvelle société. Elles pensent notamment que vérifier la régularité des titres de séjour est une atteinte aux droits de l’homme. Il est donc logique qu’elles répugnent à contrôler ceux dont elles ont la charge, à expulser ceux pour qui la procédure échoue ou à laisser les forces de l’ordre procéder à des contrôles et des arrestations dans les lieux qu’elles gèrent. Ceci explique pourquoi, en novembre 2019, le Conseil d’État a rejeté le recours intenté par 32 associations contre une instruction du 4 juillet 2019 demandant aux services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) de transmettre à l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) la liste des demandeurs d’asile et des réfugiés présents dans les hébergements d’urgence afin de vérifier leur statut. Le but était de repérer les déboutés et de les expulser. Cet épisode illustre bien le hiatus entre un État qui cherche les moyens de sa fermeté et des associations qui refusent de se préoccuper de la situation de l’accueilli au regard de la loi.
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Autre point de tension : le DNA, le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, qui n’est pas proportionné aux besoins, puisque la moitié des demandeurs d’asile n’ont pas de solution d’hébergement. En octobre 2019, lors d’une réunion sur l’accueil des migrants, réunissant les ministres de l’Intérieur et du Logement ainsi qu’une délégation d’élus locaux, Frédéric Bourcier, adjoint délégué à la solidarité de la Ville de Rennes, a fait ce constat : « On nous demande de laisser des personnes dans la rue en espérant qu’elles s’en aillent. » Ce mode de gestion par la négligence a apparemment peu de succès et fait surtout basculer nombre de réfugiés dans la marginalité et la violence, subie comme exercée.
il y a l’idée que la question de l’immigration n’est pas un problème durable mais une question transitoire
Patrick Stefanini
D’après Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration et de l’Intégration, le choix de sous-traiter cet hébergement a été principalement motivé par une logique d’économies budgétaires. Alors que l’intégration des demandeurs d’asile devrait faire l’objet de bien plus d’investissement pour qu’elle soit réussie, l’option de la sous-traitance prive la puissance publique d’un outil stratégique et d’une capacité de contrôle d’une population qu’elle aurait intérêt à connaître et encadrer. « Derrière ce choix en apparence rationnel, il y a l’idée que la question de l’immigration n’est pas un problème durable mais une question transitoire, temporaire. Or selon la logique administrative, pour traiter un problème transitoire, il faut éviter de créer des dépenses pérennes. »
Alors que le changement climatique fait craindre une explosion des migrations et que la France doute de sa capacité à préserver son modèle culturel et social, nous avons intérêt à mettre en place une politique d’accueil et d’intégration digne de ce nom, ainsi qu’une politique d’expulsion efficace. Or, en la matière, si nous paraissons condamnés à l’inefficacité, c’est plus à cause de l’incurie du pouvoir que de l’irresponsabilité des associations.