Onfray: un Huron lit le Coran


Onfray: un Huron lit le Coran
Michel Onfray. Sipa. Numéro de reportage : 00722141_000095.
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Michel Onfray. Sipa. Numéro de reportage : 00722141_000095.

Dans un livre paru d’abord en janvier 2016 en Italie et, deux mois plus tard, en France[1. Pensare l’Islam, Ponte alle Grazie, Milano 2016. Penser l’Islam, Grasset & Fasquelle Paris 2016.], Michel Onfray s’interroge comme tant d’autres au sujet des tueries de 2015. Qui en est responsable ? Comment en est-on arrivé là ? Les intellectuels médiatiques sont aussitôt partis en chasse non de la vérité, cynégétique trop dangereuse, mais des mauvaises opinions concernant une certaine religion, à  écarter de toute urgence. A notre tour, nous suivrons les chicanes de cette controverse en espérant y voir clair au bout du parcours.

Ne pas prendre le parti d’Allah

Onfray a souvent raison mais il parle comme s’il était seul à penser. Laissons de côté les passages où il se plaint d’être critiqué avec une véhémence qui frise l’hystérie et saluons plutôt son courage quand il se moque des mantras « pas d’amalgame » ou « rien à voir avec l’islam » répétés chaque fois qu’un crime est commis au cri d’Allahou Akbar. Les bonnes âmes qui affichent ces mots d’ordre souhaitent sans doute nous rassurer, mais Onfray préfère qu’on regarde la réalité en face. « L’islam religion de paix, de tolérance et d’amour » ? « Il faut n’avoir jamais lu le Coran, les hadiths (sentences) du prophète et sa biographie (la Sirah) pour oser soutenir une chose pareille », nous dit-il. Puis il passe en revue les intellectuels qui ont pris le parti  des fidèles d’Allah. « Alain Badiou fait de Charlie Hebdo un journal raciste qui véhicule une idéologie policière « pour faire s’esclaffer dans son coin le militant aviné de Le Pen ». […] Mise à part toute question de religion (poursuit-il sans rire) l’attentat doit être défini comme « un crime de type fasciste » ». Intronisant l’islam religion minoritaire des opprimés, Emmanuel Todd transforme ceux qui sont descendus dans la rue le 11 janvier 2015 en autant d’antisémites profitant de cette occasion pour exprimer leur haine masquée des juifs. Tahar Ben Jelloun déplore que l’islam soit encore une fois mis au banc des accusés alors que le Prophète dans son infinie mansuétude recommandait aux soldats de ne pas tuer les femmes, les enfants, les vieillards. André Glucksmann déclare que les premières victimes de l’attentat sont, non les tués mais les musulmans. Malek Chebel affirme que les assassins tuent pour une cause qui n’a rien avoir avec la religion etc (pp. 37-40). Besancenot répète ce que ressassent tous les hommes politiques : « Rien à voir avec une quelconque idée religieuse » (p. 26). Un journaliste égyptien s’étant plaint de ce que le massacre de Charlie Hebdo allait encore une fois retomber sur le dos des musulmans, Onfray lui rétorqua qu’il ne voyait pas comment on pourrait en accuser les Raëliens ou les Végans (p. 22).

Les versets de la discorde

Onfray a donc assez de bon sens pour admettre qu’il y a un rapport entre les attentats et l’idéologie au nom de laquelle ils ont été commis, d’autant qu’il a lu le Coran, les hadiths et la Sira ce qu’ont aussi fait les djihadistes y trouvant la justification de leurs pires atrocités. Par exemple : « Massacrez les mécréants jusqu’au dernier » (Le Coran VIII, 7) et encore « Tuez les polythéistes partout où vous les rencontrez » (Sirah XVII, 58), « Tous les Juifs qui vous tombent entre les mains, tuez-les » (Sirah II, 58-60) « C’est Allah qui les anéantit » (Coran, IX, 30), « Qu’ils soient tués ou crucifiés » (Coran, V, 33). On trouve ce petit florilège à la page 65 du livre d’Onfray qui s’étonne cependant de constater que d’autres passages du Coran expriment des sentiments plus humains. Comment rendre compte de ces contradictions, comment les réduire ? « Le Coran n’est pas un supermarché dans lequel vous allez chercher ce qui vous convient », dit Onfray (p 64). Pourtant il n’a pas une seconde d’hésitation à suggérer cette solution exactement. Selon lui on doit « proposer [aux intéressés] un contrat social de façon à ce que puisse exister un islam de France. Cet islam devra récupérer ce qui dans le Coran, les hadiths, la Sira, l’histoire de cette religion apparaît compatible avec les valeurs de la République ». Ayant obtenu que les musulmans renoncent à ce qui justifie la haine et l’effusion de sang, la République […] formera et payera les imams, vérifiera que leurs prêches respectent les valeurs républicaines, financera les lieux de prière et protégera ceux qui s’y rassemblent. Onfray semble ignorer le moyen que ceux-ci ont trouvé  pour surmonter les contradictions qu’il relève. Mahomet a passé une première partie de sa vie à La Mecque en prédicateur dépourvu de tout instrument de puissance et devant souffrir les quolibets de ses concitoyens et une seconde partie à Yathrib (Médine) comme chef de guerre. Il y a donc dans Le Coran deux sortes de Sourates : celles qui sont tombées du ciel à La Mecque et les autres qui datent de l’époque où le prophète commandait à Médine. Les musulmans considèrent qu’en cas de contradiction les plus récentes abrogent les plus anciennes. Or ces dernières sont pacifiques comme l’était, nolens volens, leur récipiendaire alors que celles qui lui ont été dictées plus tard au temps où il guerroyait sans relâche sont souvent ultra-violentes. Ce sont elles qui définissent le véritable islam en vertu de la règle dite « de l’abrogeant et de l’abrogé ».

Une telle règle n’est pas nécessaire pour les Évangiles ou les épîtres de Saint Paul parce les contradictions que ces textes peuvent receler sont mises sur le compte des infirmités de leurs auteurs qui étaient, quoique inspirés, des êtres humains ordinaires. En revanche Le Coran est dit  « incréé ». Ses Sourates sont censées être tombées du ciel, ce qui empêche qu’on le soumette à une critique rationnelle sauf pour la secte mutazilite, disparue depuis longtemps. Ce livre dont il ne peut exister de traduction autorisée aurait été dicté par un Dieu qui parle arabe, et donc quelque peu suspect d’ethnocentrisme.

Prophète à la place du prophète

Onfray, qui voudrait être prophète à la place du prophète, propose de bricoler un islam « républicain fondé sur les sourates pacifiques » (mecquoises et donc abrogées) que diffuseraient  des imams dûment « éduqués » privilégiant l’esprit du Coran sur sa lettre. Mais qu’est-ce qui lui fait croire que le Coran n’est pas belliqueux dans son esprit alors qu’il a tant de preuves du contraire, qu’il cite d’ailleurs ? D’où lui vient cette assurance de mieux reconnaître l’esprit de ce livre que ceux qui versent le sang en son nom ? En nous appuyant sur cette lecture pacifiste, dit-il, « nous combattrons vraiment ceux qui croient aux seules sourates fauteuses de guerre » (p. 54). Ce combat sera mené bien sûr avec de bonnes paroles car il serait contradictoire d’opposer aux djihadistes autre chose que de pieuses exhortations qui suffiraient d’ailleurs à les convertir.  Chez un athée comme Onfray une telle confiance dans le père Noël est vraiment touchante. Il  nous répondra peut-être que les imams dont il rêve s’adresseront avant tout à la grande majorité tranquille des musulmans. Il oublie que parmi eux il y a des djihadistes potentiels qui ne se laisseront pas entraîner par la seule séduction du verbe. Avant de passer à l’acte, ceux-là ne sont coupables que de croire aux sourates belliqueuses. A ne considérer que leur comportement ils sont innocents comme des nouveau-nés. Comment s’en protéger ? Aucun « contrat social » ne vous sauvera.

Pour que la coexistence avec les musulmans soit possible, Onfray propose une conception de l’islam acceptable pour nous sans se soucier du fait qu’elle est radicalement inacceptable pour eux. Un islam non-politique contrairement à sa nature, un islam sans les cinq prières publiques ainsi que le ramadan et le pèlerinage à la Mecque obligatoires, un islam sans charia, sans mains coupées, coups de fouets, décapitations, crucifixions et pendaisons publiques est-ce encore l’islam (pp. 103-104) ? À quoi cela rime-t-il d’opposer un islam de paix à un islam de guerre (p. 101) ? Faudra-t-il supprimer des annales les campagnes dirigées par Mahomet et les batailles qu’il a livrées ? Une telle réécriture de l’histoire fait penser à 1984.

>>> La suite de l’article de Kostas Mavrakis ici

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