Il paraît que par la grâce de nos gouvernants, l’euro, l’Europe ainsi que leur farandole de bienfaits induits (croissance, prospérité, paix, beau temps) vont être sauvés. J’en suis fort aise. Tout à leur soulagement, peu de gens auront tiqué, comme moi, sur une dépêche publiée la veille par Reuters, qui valait pourtant son poids d’olives grecques. Son premier paragraphe nous expliquait que la note « triple A » de la France était probablement sauvée, parce que « les principaux prétendants à l’Elysée » se sont accordés « sur la nécessité d’assainir les comptes publics dans un contexte de très forte tension sur les marchés financiers. »
Reprenons, le « triple A » est le classement donné par les agences de notation financière aux emprunts et obligations émis sur les marchés par les Etats pour assurer leurs fins de mois. Ne serait-ce qu’une légère dégradation de cette note et c’est le plongeon des finances publiques vers le chaos, voire le KO, comme on a pu le voir pour la Grèce et comme on l’envisage pour le Portugal, l’Italie ou l’Irlande. Autant dire que le « triple A » aujourd’hui vaut mieux qu’un bon sondage dans le Figaro, ou même une baisse vertigineuse du chômage. La note est par ailleurs donnée par trois agences, à capitaux privés qui font ce qu’elles veulent et facilitent le travail des spéculateurs sur les dettes nationales, mais comme visiblement la quasi-totalité des politiques s’en foutent…
Il semble donc que la France ait sauvé sa peau in extremis, grâce à un accord des principaux prétendants à l’Elysée pour « assainir les comptes publics », ce qui en bon français veut dire se serrer grave la ceinture. Reuters nous apprend ainsi qu’après « une période d’incertitude », les deux favoris à la primaire du PS se sont finalement engagés à « ramener le déficit à 3% du PIB en 2013. » Autant dire qu’il va falloir soit trouver la recette miracle de la croissance à la chinoise, soit imposer au pays une cure Dukan d’austérité, qu’à côté, celle de 1983 semblera de la rigolade. On rappellera au passage que le déficit public de la France atteignait les 7,1% du PIB fin 2010. Bien plus élevé que celui des autres « triple A » de la zone euro (l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, le Luxembourg et les Pays-Bas), gare à la punition !
Car la France est le cancre de l’Union. « Quand on regarde la France dans l’univers plus large des triple A, elle se démarque clairement comme un des pays ayant les chiffres les moins solides en matière de finances publiques », déclare à Reuters la première analyste de Fitch sur la France, Maria Malas-Mroueh. Autant dire que la grande prêtresse de la notation n’a pas vraiment l’air d’accorder un gros crédit aux promesses électorales des socialistes redevenus subitement sérieux et responsables. Mais somme toute, c’est son boulot.
Il convient plutôt de s’interroger sur le boulot des candidats socialistes à la présidentielle. Croire en la promesse de Nicolas Sarkozy fait bien rire. Après tout, si la dette et les déficits publics se sont alourdis, on le sait, c’est à cause de la crise de 2008 (qui a touché le monde entier, y compris des pays qui n’ont pas plombé leur dette.) Mais si les chiffres sont aussi mauvais, c’est sans doute parce que la politique fiscale (économique n’en parlons pas) a été menée en dépit du bon sens, et au moins en dépit des circonstances qui auraient sans doute exigé qu’on l’adaptât. À l’Assemblée, la droite chouine chaque année quand il faut reconduire depuis l’allègement de la TVA sur la restauration qui, depuis son instauration en 2007, coûte bon an mal an 4,5 milliards d’euros au budget. Au delà, il suffit d’observer l’effondrement en dix ans des recettes générées par l’impôt sur le revenu, passées de 80 milliards à 37 milliards l’an passé à cause de la multiplication des niches fiscales en tout genre. Autant de broutilles qui ajoutées les unes aux autres, plombent les comptes publics. Or, s’agissant de ces choix et de bien d’autres, les politiques ont clairement la main.
Revenons à Aubry et Hollande qui, donc, pour faire sérieux et présidentiables, un peu comme au bon vieux temps du oui obligatoire au référendum sur le TCE, s’engagent, s’ils sont élus à faire ce que la droite elle-même n’a pas su – ou voulu – faire. Des candidats qui se refusent à discuter le dogme des 3% quand tout le monde sait qu’il est irréalisable, sauf au prix de sacrifices pires que le mal. Difficile en effet d’imaginer que la chasse aux niches fiscales sera suffisante, ou même que le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux permettra de tenir une « trajectoire de finances publiques » (comme on dit en argot X-Mines) raisonnable conduisant aux 3% magiques. Les candidats socialistes montrent, là encore, qu’ils aiment adorer des dieux qui ne sont pas les leurs – ou ne devraient pas l’être.
D’un côté, ils refusent de voter la règle d’or sarkozo-merkelienne qui bloque toute possibilité d’évolution et d’initiative sur le pilotage du budget national. De l’autre, ils donnent des gages à Fitch pour assurer notre hypothétique « triple A ». Mais qui peut jurer que madame Maria Malas-Mroueh, la première analyste de Fitch sur la France, ne leur demandera pas plus d’ici 15 jours ?
Admettons que la dette est l’ennemie de la politique, du peuple aussi. Mais si ça se trouve, il serait peut-être temps de faire preuve aussi d’inventivité, d’initiative, d’un discours un peu nouveau. On aurait pu d’ailleurs croire que la primaire allait servir à ça.
Moyennant quoi, nous venons d’apprendre que si la gauche gagne la présidentielle, elle ne fera rien d’autre que ce qui s’est fait jusque-là. Ou elle fera pire en matière économique, quitte à pénaliser ceux qui, n’en déplaise à Terra Nova, semblaient constituer son socle électoral naturel, les classes populaires. Frappées par la crise, le chômage, l’inflation et la rigueur donc. Je propose donc d’annuler la primaire, et pendant qu’on y est, la présidentielle aussi. Et de nommer directement Madame Malas-Mroueh à la tête de l’Etat français. On économisera des frais d’organisation des élections, ce sera toujours ça de gagné pour les 3 % et le « triple A ».
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