Baisse de la natalité: Cioran au Taquet
La France s’est longtemps glorifiée d’avoir un taux de natalité largement supérieur à celui de ses voisins européens. On peut voir sur le site de l’Insee qu’en 2018, encore, on pouvait compter sur 1,88 enfant par femme, ce qui faisait de nous les champions de l’UE. À croire que l’on suivait les conseils de Zola, anti-malthusien convaincu dans son roman Fécondité (1899) où il montre les malheurs qui s’abattent sur les nations sans nouveau-nés en décrivant ainsi son projet : « Rendre esthétique la femme féconde, la femme qui nourrit, la femme qui a beaucoup d’enfants. Contre la virginité, la religion de la mort, et pour l’expansion de tous les germes. »
Mais, depuis l’épidémie, l’effondrement est irréfutable, comme s’en inquiète La Croix : « Le mois dernier, 1 860 bébés sont nés chaque jour, soit 5% de moins qu’en février 2020. S’agit-il d’un simple report des naissances, les couples remettant leur projet de bébé à l’après-crise, ou le début d’une tendance plus durable de réduction du nombre d’enfants souhaités ? »
La pandémie a bon dos. S’interroge-t-on suffisamment, par exemple, sur les lectures des jeunes couples ? N’aurait-on pas constaté, du côté des services d’Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, une hausse des achats de livres de Cioran, philosophe du désespoir et du nihilisme élégant, auteur d’un De l’inconvénient d’être né, livre qui devrait être interdit, ou « cancellé » comme on dit de nos jours, si l’on veut assurer la réussite du plan de relance ?
Cioran n’hésite pas en effet, tout au long de son œuvre à décourager les étreintes dont le but criminel est la procréation. Il constate ainsi, dans Le Mauvais Démiurge qui date de 1969 : « Ce n’est pas tant l’appétit de vivre qu’il s’agit de combattre que le goût de la “descendance”. Les parents, les géniteurs, sont des provocateurs ou des fous. » Avant d’ajouter plus loin, pour que les choses soient bien claires : « Les femmes enceintes seront un jour lapidées, l’instinct maternel proscrit, la stérilité acclamée. » En sommes-nous arrivés là, un demi-siècle et un virus plus tard ? Adrien Taquet tente de (se) rassurer dans La Vie : « La baisse sera peut-être moins importante en France qu’ailleurs. Il faut voir si les politiques sociales et familiales vont à nouveau jouer. »
On peut rester dubitatif tant le philosophe roumain qui écrit le français comme les moralistes du xviie siècle enfonce le clou avec cruauté : « Procréer, c’est aimer le fléau, c’est vouloir l’entretenir et l’augmenter. »
Bref, si on n’a plus d’enfants, c’est la faute à Cioran et si on n’est pas né, c’est la faute à Taquet.