L’école souffre aussi des envies de réformettes émanant de tous les côtés, alors qu’il faut construire une nouvelle Éducation nationale
Alors que de nombreuses personnalités publiques s’emparent enfin du problème immense de notre école française, il me semble pertinent d’effectuer certaines précisions d’importance pour poser clairement le constat de la situation de l’Éducation nationale. Car pour reprendre le titre de l’excellent livre d’Anne-Sophie Nogaret, Du mammouth au Titanic, il convient de dresser l’état des lieux de ce Titanic qu’est devenu au fil des décennies le système scolaire français. Or, s’il apparaît très clairement que le ministre actuel est disposé à faire bouger les lignes pour permettre quelques avancées, il apparait tout aussi évident que cet état des lieux est faussé, pour ne pas dire volontairement occulté pour ne fâcher que le moins de personnes possible.
Ne plus avoir peur de tout dire
Contrairement à ses positions qui sont une nouvelle fois la déclinaison du « en même temps » présidentiel, il est essentiel de dire les vrais constats sur l’école, et de le faire ouvertement, à visage découvert, sans masquer ses prétentions de réformes car cela renvoie l’image délétère d’une entourloupe cachée : il y a anguille sous roche, forcément ! Voilà ce que pensera la majorité des enseignants si notre ministre continue de louvoyer et de ne pas tout dire, par peur (électorale ?), par connivence avec certains ou tout simplement par ignorance de la situation que trop de gens ont intérêt à embellir.
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Je souhaite donc rétablir les choses à mon niveau, c’est-à-dire celui de l’école élémentaire, car c’est cette école que je connais le mieux, tant il est évident que c’est au primaire que presque tout se joue. Malheureusement, le collège ne peut pas enrayer les immenses difficultés des élèves que nous leur transmettons à la fin du CM2, et même en élaborant consciencieusement des classes de niveau pour le français et les mathématiques, cela ne pourra résoudre pleinement la grande détresse scolaire de ces élèves, devenus dans de nombreux secteurs majoritaires, ce qui constitue la norme, le niveau général admis pour beaucoup… dramatiquement !
Fabrique de crétins
Le naufrage de l’Éducation nationale a eu lieu. C’est donc au passé qu’il faut en parler ; nous conviendrons que les observateurs ont été très peu éclairés pour le décrire et l’accepter, mettant pour la plupart de nombreuses années à voir avec leurs yeux ce qu’ils refusaient de voir avec leur tête bien-pensante. Heureusement quelques-uns comme Jean-Paul Brighelli avec La fabrique du crétin ont permis de sauver l’honneur de la profession. Mais il faut maintenant accepter de franchir l’étape suivante. Si le naufrage est passé, l’Éducation nationale est devenue une épave. Et on ne colmate pas les brèches sur une épave qui s’est déjà échouée sur une plage désertée par la connaissance et caractérisée par l’absence d’autorité et le mélange des genres et des rôles à tous les niveaux : institutions, enseignants, parents, et élèves. Des trous béants marquent l’étendue des dégâts sur la coque de ce beau navire que fut notre école et qui ne ressemble plus à rien, une mascarade que nous devrions saluer pour ce qu’elle fut, et abandonner pour ce qu’elle est : un non-sens éducatif et une absence totale de réelle transmission des savoirs, un peu de tout, sauf de l’instruction.
Aussi déroutant et déstabilisant pour les acteurs de l’école que sont les enseignants et pour les premiers concernés, les parents d’élèves, il ne faut plus se mentir et enfin aborder les sujets qui fâchent : le rôle de chacun dans cette chute vertigineuse et ce naufrage, puis établir une feuille de route pour tout changer. Tout changer, et non améliorer tel point ou rétablir telle autre mesure oubliée dans les tiroirs du ministère : encore une fois, nous ne parlons pas d’un petit trou dans la coque mais d’un naufrage irrémédiable, irréparable ; le Titanic est toujours au fond de l’océan et personne n’imagine le réparer.
Uniforme scolaire et… blouse pour le maître !
Ce constat va être très difficile à faire accepter par les enseignants eux-mêmes car leur vision est tronquée par de nombreux biais, à commencer par leur idéologie politique et par leurs actions quotidiennes réelles et concrètes pour la réussite de leurs élèves. Paradoxe étonnant mais très prégnant en salle des profs, les premiers à se plaindre de leurs élèves sont aussi ceux qui refusent généralement la moindre avancée vers un changement : voyons l’exemple de l’uniforme. L’argument massue « ce n’est pas cela qui va changer les choses » revient à la vitesse de la lumière mais assombrit aussi rapidement la perspective de la plus petite évolution qui soit. Pourtant si la blouse à l’école et l’uniforme au collège, évidemment, ne règleraient pas tous les problèmes, cela permettrait un cadre clair et sain, excluant de fait de nombreuses autres tenues et rétablissant une partie de la raison de l’école : faire de l’enfant un élève une fois qu’il a franchi la porte de l’établissement. Pour être très honnête sur ce sujet, je suis également pour une blouse du maître, car il faut urgemment travailler l’éthique professionnelle de certains qui gagneront à revêtir le vêtement officiel autant que leurs élèves.
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C’est donc dans le premier degré que l’essentiel se joue et je tairai pour l’instant ce que j’envisage pour l’école maternelle mais je souhaite déjà acter deux modifications primordiales à effectuer de toute urgence : séparer les deux écoles qui n’ont pas grand-chose en commun, donc ne pas former les enseignants comme si nous étions capables d’efficacité de la petite section (trois ans) au CM2 (11 ans), et distinguer le temps scolaire qui ne peut plus s’appliquer pareillement à des enfants d’âges aussi différents. Pour le reste, je préfère dans un premier temps m’atteler à développer les constats et mes propositions concernant l’élémentaire, donc du CP au CM2, car c’est là que j’enseignais, et je dirige depuis 15 ans une école élémentaire. Évidemment, les difficultés que je décris sont encore plus prégnantes là où j’exerce car il s’agit d’une école en éducation prioritaire en Seine-Saint-Denis. Malgré tout, je constate chaque jour en échangeant avec d’autres collègues que la situation s’est diffusée partout sur le territoire national et que cette diffusion ne cesse de s’accélérer.
Contenu et contenant
L’immense ouvrage que nous avons sur l’établi ne doit pas nous apeurer : je mesure les angoisses de tous à chaque fois que je parle de cela, les collègues, même les parents (parmi mes connaissances privées) pour certains, s’empressent de revenir à un sujet de conversation plus rassurant car la tâche est si grande qu’elle paraît insurmontable. Mais c’est justement la raison qui me pousse à rester et à tenter d’agir : nous ne pouvons plus ne rien faire et nous devons oublier nos divergences, nos envies de réformettes de tous les côtés, et ensemble nous devons construire une nouvelle Éducation nationale, que je préfèrerais dans un grand ministère de « l’instruction publique et de la culture ». Remettre de la culture à l’école serait déjà un très grand pas dans l’apprentissage du beau, du bien et du bon. Pour cela il ne faut pas être réfractaire à la bourgeoisie, car baigné dans l’idéologie gauchisante, et accepter qu’une certaine morale transcende les idées et les croyances de chacun. Certains ont encore de la route à parcourir…
Je propose d’aborder ultérieurement pour l’école élémentaire chaque point effleuré aujourd’hui, sans omettre de faire la critique très acerbe de notre institution qui de blocages en inertie empêche toute marche en avant… ou en arrière d’ailleurs : le point mort au sens propre comme au figuré !
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Terminons sur deux conclusions que mes réflexions de longue date m’ont amené à effectuer et dont je suis de plus en plus convaincu. D’une part il convient de changer le cadre avant de s’intéresser aux programmes, nous modifions le contenu depuis trop d’années sans changer le contenant pour les résultats que nous savons. D’autre part ces transformations doivent s’accompagner de changements sociétaux profonds sans quoi l’école, même refaite à neuf, ne pourra rien.
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