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On ne change pas une Europe qui perd


La République des partis a reparu. Tous n’ont qu’un slogan à la bouche ou au bout de la plume : rassembler. Mais rassembler qui et quoi ? Certainement pas la France, diluée de longue date à leurs yeux dans l’idéologie européenne, mère de tous les renoncements. Plus ils échouent dans la voie où ils s’embrouillent, plus ils s’en justifient en prétendant qu’on n’a pas été assez loin, et le serpent de mer reparaît : le fédéralisme, qui a échoué partout. Sécularisant une vieille idée chrétienne, ils prêchent que c’est le martyre qui nous sauvera. L’idéologie des changements de structures et d’institutions où s’engouffrent nos dirigeants ne tend qu’à masquer leur impuissance : à qui fera-t-on croire qu’en manipulant constitutions et traités, on cessera de se heurter au réel tel qu’il a été engendré par leurs erreurs passées ? Insulter la Grande-Bretagne parce qu’elle tourne le dos à ces palinodies relève de la puérilité.[access capability= »lire_inedits »]

« Ayez confiance dans la France, nous sermonnait François Hollande dès mai 2005. Notre pays n’est grand que quand il dépasse ses frontières. La France n’est grande que lorsqu’elle est au-dessus de sa nation. » Ce catéchisme est de la bouillie pour les chats. Napoléon pour la France, Victoria pour l’Angleterre, Hitler pour l’Allemagne, Staline pour la Russie ont largement dépassé les frontières de leur nation : il n’en reste rien, il a toujours fallu rendre leur liberté aux peuples. Évidemment, je résume. Il n’empêche que Hollande aurait été mieux inspiré de dire, comme Malraux : « La France n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle a été la France pour les autres. »

François Hollande s’est trompé une première fois en incitant le Parti Socialiste à voter la pseudo-constitution, qui fut rejetée par le peuple français. Quant à la droite, la confusion où elle se trouve vient de ce qu’elle a tourné le dos à la conception gaulliste de l’Europe. Prétendre qu’aujourd’hui le général de Gaulle serait « européen », alors que sa conception de l’Europe est précisément celle à laquelle nous n’aurions jamais dû tourner le dos, c’est se moquer du monde.

Dans un récent éditorial du Point, Claude Imbert (qu’on ne soupçonnera pas de souverainisme pathologique) tente d’expliquer ce qu’il appelle le « tracassin de l’Europe » : « Mais pourquoi cet échec d’une gouvernance si nécessaire alors que l’Europe, dans l’ordre économique du moins, avait construit un édifice honorable ? Pourquoi ? Réponse : “C’est la culture, imbécile !” Oui, la culture disparate des peuples européens. La culture – cet ensemble de traits spirituels et matériels, intellectuels et affectifs – matrice de nos nations. Elle ne remplace pas l’économie, mais elle en régente les pratiques, les asservit à son “logiciel”. Sous nos yeux se lève la complainte des cultures. Et la cacophonie des évidences. »

Comment parler de culture à des classes dirigeantes de plus en plus incultes et désormais privées de « culture générale » par des irresponsables promus aux plus hautes fonctions ? Leurs seules réponses sont le mot creux de rassemblement et l’hystérie de la croissance – comme si l’on pouvait croître indéfiniment, ce que même les arbres ne font pas. Il est absurde de comparer la croissance des pays occidentaux avec celle des pays émergents qui se trouvent au stade où nous étions il y a deux siècles.

Il paraît que Jean Monnet regrettait de ne pas avoir commencé la construction européenne par la culture. Formule apocryphe, sans doute, tant elle semble peu compatible avec la « méthode » associée à son nom. Du reste, on voit mal ce qu’aurait pu être cette Europe de la culture. Interrogé sur l’utilité de la culture, Confucius eut cette réponse : « La culture tient à la nature, la nature tient à la culture, comme sa bigarrure tient au tigre. Arrachez ses poils à la peau d’un tigre ou d’un léopard, et il ne vous reste que la peau d’un chien ou d’un mouton. » Et voilà pourquoi votre Europe est bêlante. C’est une Europe en peau de mouton.[/access]

Avril 2012 . N°46

Article extrait du Magazine Causeur



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est écrivain, ancien Commissaire général de la langue française. Dernier ouvrage paru : Juin 40 ou les paradoxes de l’honneur, CNRS éditions, 2010.

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