Son Excellence Bernard Kessedjian, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, est passé de vie à trépas au mois de décembre dernier, laissant vacant l’un des postes les plus convoités de la diplomatie française. Les péripéties qui viennent d’aboutir à un accord entre le Quai d’Orsay et le Vatican sur la nomination à la villa Bonaparte de Stanislas Lefèbvre de Laboulaye, actuel ambassadeur à Moscou, méritent d’être rapportées.
Ce poste diplomatique permanent, le plus ancien de tous, puisqu’il fut établi en 1465 sous le pontificat de Paul II et le règne de Louis XI, n’est pas tout à fait comme les autres. Il ne suffit pas, pour qu’un ambassadeur soit agréé par le Vatican, qu’il n’ait pas manifesté d’anticléricalisme outrancier au cours de sa carrière. L’usage veut que les pays de tradition catholique choisissent, pour les représenter à Rome, des personnalités dont la religion, les mœurs et le comportement correspondent aux critères en vigueur au sein de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Pas question donc, pour un protestant, un juif ou un franc-maçon d’aller baiser la mule du pape au nom de la France, et les postulants sont priés d’ajouter à leur CV un certificat de baptême, leur photo en premier communiant, et une attestation de moralité signée par le curé de leur paroisse.
Tout frais nommé chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, Nicolas Sarkozy a cru qu’il était devenu suffisamment pote avec Benoît XVI pour procéder à une « modernisation » de la relation diplomatique franco-vaticane. Prenant acte du fait que l’évolution de la société avait fini par atteindre le Quai, et qu’il devient de plus en plus difficile de trouver dans cet éminent vivier de talents un hétérosexuel monogame et père de famille, Sarkozy s’est dit que, maintenant, c’était à Rome de faire un effort. Pour lui faciliter la tâche, on se mit en quête d’un « grand écrivain catholique », une espèce dont la France fut jadis grande productrice. Un genre de Paul Claudel ou de François Mauriac, même divorcé deux ou trois fois devrait amener les Monsignori à faire montre d’indulgence et de charité chrétienne. Seulement voilà: on a beau parcourir le VIe arrondissement de long en large, draguer au Flore, au Twickenham[1. Je me dois de dire l’atroce vérité à Luc : cela fait des années que le Twickenham a disparu au profit d’un marchand de chaussures (ou peut-être de robes ?). EL.] ou à la Closerie des Lilas, le « grand écrivain catholique » est devenue une espèce aussi rare que le gorille des montagnes au Rwanda. Faute de grives, il faut donc se contenter de merles, et le choix présidentiel se porta sur le très chiraquien Denis Tillinac, qu’on voit plus au bistrot qu’à l’église, mais dont on est sûr qu’il n’est ni juif, ni homo.
Le verdict romain fut sans appel : recalé ! Le Corrézien divorcé et remarié ne traînera pas ses brodequins crottés sur les beaux tapis du palais Saint-Pierre. Le Quai d’Orsay proposa donc un diplomate exquis, compétent et expérimenté, assidu aux offices dominicaux, dont nous tairons le nom par discrétion. Recalé ! Le monsieur en question se vante trop ouvertement d’être de la jaquette, pas de celle qu’on revêt pour les grandes occasions, mais celle qui désignait jadis les tarlouzes. Et c’est ainsi que l’on a fini par déshabiller Moscou pour habiller Rome, un comble à la veille de l’hiver !
Cet échec de Nicolas Sarkozy, qu’Edwy Plenel, pourtant à l’affût, a omis de stigmatiser, nous incite à lancer un appel au monde des lettres et de l’édition : nous avons besoin, pour l’avenir d’un et même de plusieurs grands écrivains catholiques, pour constituer une réserve d’ambassadeurs au Saint-Siège ! On devrait, pour cela, fonder les « petits écrivains à la croix de bois » à l’image des choristes de Mgr Maillet. Le premier qui dit « pédophile » a un gage.
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