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On aurait tort d’avoir tort avec Sartre


On aurait tort d’avoir tort avec Sartre

Le hussard Roger NImier mort il y a cinquante ans

Le drame appartient à la légende des années 1960. Le 28 septembre 1962, Roger Nimier meurt dans un accident de voiture, avec la blonde romancière Sunsiaré de Larcône, alors qu’ils se rendaient dans la maison de campagne des Gallimard. En plus de la photo de son cadavre dans Paris Match, Nimier aura droit à quelques nécrologies fielleuses : il a eu ce qu’il méritait. Pour certains, les « hussards » ne sont qu’une invention de Bernard Frank qui, dans Les Temps modernes, a sonné la charge contre une poignée d’écrivains : Roger Nimier, Jacques Laurent et Antoine Blondin − Michel Déon venant s’ajouter plus tard à la fine équipe. Leurs torts sont multiples : ils aiment la vitesse, l’alcool et les jeunes filles. Ils n’écrivent que pour divertir. Ils ont un certain succès. Ils sont de droite. Si Frank se moque, en dilettante, de cet art de vivre qui est pourtant le sien, Sartre, lui, a des comptes à régler. Jacques Laurent l’épingle dans Paul et Jean-Paul, un pamphlet qui fait mouche et qui fait rire, car assimiler le penseur révolutionnaire à Paul Bourget, incarnation XIXe de la bien-pensance bourgeoise, il fallait oser ![access capability= »lire_inedits »]
Nimier, Laurent et Blondin seront donc décrétés infréquentables, et même fascistes, puisqu’ils lisent des écrivains honnis tels que Morand, Montherlant et Chardonne, et que leurs romans mettent en scène des miliciens, des femmes légères, des gandins à l’idéologie floue.

Une certaine idée du style

Les ouvrages qui paraissent à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Nimier apportent la plus belle des réponses à Sartre. La littérature n’est ni de droite ni de gauche : elle est le style, autre nom de la pensée qui braconne sur le fil des mots. Le style : Nimier, Laurent, Blondin, Déon en ont, chacun selon son art. Sartre n’en a pas. Il faut lire, dans le Cahier de l’Herne consacré à Nimier, le texte de Gérard Guégan, qui n’a jamais oublié son coeur « rouge » et l’enragé qu’il fut. Il y raconte sa découverte de Nimier à travers son roman Le Grand d’Espagne, à l’ombre des bastons l’opposant à l’extrême droite des sixties : par-delà les coups de barre de fer, la littérature considérée comme un mot de passe entre ennemis. Alain Dugrand, qui signa longtemps les meilleurs papiers de Libération, ne dit pas autre chose dans sa contribution : « Fasciste, disaient-ils ».
On espère que le Cahier de l’Herne, la revue Bordel, ou encore le collectif édité par Pierre-Guillaume de Roux, Nimier, Blondin, Laurent et l’esprit hussard, permettront au public de redécouvrir des oeuvres de Nimier, de Laurent − sous son nom ou sous le pseudo de Cécil Saint-Laurent − et de Blondin, mais aussi d’écrivains qui partageaient avec eux une certaine idée de la langue française comme Jacques Perret, Stephen Hecquet, Pierre Boutang, Pol Vandromme ou Philippe Héduy. Tous écrivaient dans des revues aux noms enchanteurs : Arts, Opéra ou La Parisienne. Quant à Éric Neuhoff, Alexandre Astruc et Philippe d’Hugues, ils nous donnent envie de revoir les films scénarisés par Nimier. Alors, infréquentables, les hussards ? En tout cas maintenant que tous ou presque sont morts, il reste quelques plumes, comme celles de Christian Authier, Claire Debru, Florian Zeller ou Thibault de Montaigu, sans oublier notre camarade Jérôme Leroy, pour leur offrir des mots d’amour. On comprend la peine de Jean-Paul Sartre…[/access]

Roger Nimier, collectif, Les Cahiers de l’Herne, éditions de l’Herne, direction Marc Dambre.

Le Bal du gouverneur, Roger Nimier, éditions de l’Herne.

Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, collectif, éditions Pierre-Guillaume de Roux, direction Pierre-Guillaume de Roux et
Philippe Barthelet.

Les Hussards, revue Bordel, éditions Stéphane Million.

Septembre 2012 . N°51

Article extrait du Magazine Causeur



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