C’est Hunter S. Thompson qu’on assassine : vous savez, ce fou américain qu’on enseigne aujourd’hui dans les meilleures écoles de journalisme, l’inventeur du gonzo et notamment l’immortel auteur de Las Vegas Parano. C’est ce type d’humain, encore vivant de l’autre côté de la tombe, que les morts qui nous servent de contemporains visent à travers la polémique opposant Reza et Sébastien Lapaque.
Le photographe iranien universellement célébré s’émeut en effet jusqu’à vouloir porter plainte que Sébastien Lapaque, romancier et critique littéraire au Figaro, l’ait « agressé verbalement ».
La scène comique se passe dans le TGV des auteurs, Saint-Malo-Paris, au retour du Festival Etonnants Voyageurs. Un Lapaque profondément alcoolisé lisant d’une voix mi-malrucienne, mi-bébertienne des Halles du milieu de la nuit un trac post-situ dénonçant l’embourgeoisement du Festival est filmé de près par un Réza sans doute intrigué par la scène. Tout d’un coup, Lapaque entend, ou croit entendre, une voix susurrant : « c’est la bande à Pétain ». (Nous prévenons le lecteur déjà privé de tout qu’à partir de ce moment la scène n’étant plus filmée, il sera en sus privé d’images).
Dans le sang lapaquien, l’alcool ne fait qu’un tour : quoi ! lui, le bernanosien, lui le gaulliste, on le traite de fils à Pétain ! Le voilà qui s’emporte, défend son amour de la France à l’aide de n’importe quoi – en l’occurrence Jojo Lapin et Gaston l’éléphant, étonnants personnages dont les aventures, aux dires d’Olivier Maulin, romancier proche de Lapaque et spectateur de la scène, avaient alimenté leurs discussions des trois derniers jours. Par-dessus le marché, Lapaque embraye à l’évidence à partir d’une phrase du Péguy de Notre jeunesse – qu’il cite dans un papier paru concomitamment dans le Figaro – sur la pureté du passé français : « Et plus nous avons de passé, plus nous avons de mémoire, plus ainsi (comme vous le dites) nous avons de responsabilités, plus ainsi aussi ici nous devons la défendre ainsi. Plus nous avons de passé derrière nous, plus (justement) il nous faut le défendre ainsi, le garder pur. »
Sébastien Lapaque est truffé de défauts, notoires quand il a bu, c’est-à-dire plutôt souvent. Entre la rue de Seine et la rue de Bucy où il a presque entièrement perdu sa jeunesse, nul n’ignore ses éructations, ses insultes, ses mépris d’ivrogne bientôt rattrapés et effacés par des accolades humides. Il agace, on a envie de le cogner et puis on découvre un petit garçon dont le trop-plein d’énergie ne témoigne que de la recherche d’une vie plus intense qu’il n’a pas vraiment trouvée.
Réza ne pouvait pas le savoir, évidemment. Il aurait pu rentrer dans le lard de Lapaque et l’altercation eut vite fini. Mais non, il paraît qu’il veut porter plainte. Pour racisme, peut-être ? A trop sensibiliser les populations à l’horreur, on les formate pour qu’elles le dénichent où même elle n’est pas. Lapaque est tout sauf raciste.
Je suis de ceux dont il fut l’un des capitaines, quand nous avions vingt ans. De ceux à qui il a fait aimer et connaître Bernanos, Orwell et Debord, vaccinant à vie nos consciences contre les totalitarismes.
M. Réza non seulement prend la tirade de Lapaque pour une attaque raciste, ce qu’à l’évidence elle n’est pas – sauf à mettre Péguy en enfer – mais en sus aligne les contresens : Lapaque représentant d’une « droite religieuse » ? Ce terme a sans doute cours en Iran et aux Etats-Unis, il ne désigne rien ni personne en France. Le fascisme et Bernanos ? Qu’il ouvre seulement les Grands cimetières sous la lune.
Porter plainte contre des propos d’ivrogne ? On aura tout vu.
La prochaine fois, que M. Réza n’hésite pas à faire rouler Lapaque dans le caniveau. Ils s’en porteront mieux tous les deux, et l’antifascisme, qu’il lutte contre le brun ou le vert, aussi.
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