Editeur se mouvant avec grâce dans une clandestinité supérieure à travers la maison Alexiphamarque, Arnaud Bordes est avant tout écrivain, et l’un des plus fins connaisseurs de la Décadence et de l’esthétique fin-de-siècle. Des textes rares tels que Pop conspiration ou La Matière mutilée avaient attiré l’attention des amateurs de livres denses et cryptés, parfois jusqu’au vertige, et qui semblent constituer les prémisses d’un grand roman antimoderne. Notre Des Esseintes récidive aujourd’hui avec un double opuscule, mi-récit d’anticipation, mi-journal musical et littéraire.
« Tout est plaie depuis la mort des rois ».
On attendra Victoire ne peut se résumer : obscur et prophétique, le récit, présenté comme artificiel, date du monde d’après, celui des Barbares. Banlieues en flammes et charniers ou, pour citer Bordes : « villes noircissant dans les fumées d’incendies, pillages, populations déplacées, périphériques ravagés, unités auxiliaires errantes et radicalisées (sic) ». Tel est le tableau, sur fond d’officines occultes, de complots masqués aux yeux d’une opinion sidérée avec art. Pointilliste et avec un je-ne-sais-quoi de flamand, la peinture de cet après-monde contraste avec les souvenirs des divers narrateurs, tous plus ou moins liquidés à un moment ou un autre et qui se souviennent, qui d’une lecture d’Huysmans ou de Villiers de l’Isle-Adam, qui d’un air entêtant de Joy Division ou de Vogelsang.
Parce que l’automne est faux est le journal d’Arnaud Bordes (2004 – 2015), où son travail d’éditeur apparaît (trop) peu. Lectures (names, names, names !), musique (idem), jeunes femmes (anonymes). Paul Morand et Jules Verne (en effet grand romancier initiatique et géopolitique), Ernst Jünger et le regretté Jean Parvulesco, les chers David Mata et Bruno Favrit, et bien entendu Nerval, Eliade, tant d’autres, passent, parfois d’un pas trop rapide, comme si l’auteur avait la tête ailleurs. Fulgurantes, quelques formules claquent : « Tout est plaie depuis la mort des rois ».
Un bémol toutefois. L’avalanche de noms propres, bien que parfois poétique. Des coquilles, nombreuses (hendiadys, Libye…) et surtout la syntaxe, comme relâchée à dessein, par coquetterie « artiste ». Or, même en version décadente, l’écrivain ne doit-il pas, avec l’humilité du chevalier médiéval, vénérer la langue qu’il aime et sert ?
Arnaud Bordes, On attendra Victoire. suivi de Parce que l’automne est faux, Editions Auda Isarn, 2016.
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