Le 6 février 1980 sortait sur les écrans « On a volé la cuisse de Jupiter », film de Philippe de Broca suite de « Tendre Poulet » et reformation du tandem Annie Girardot, en commissaire de police et Philippe Noiret, en professeur de grec. La comédie policière était à son zénith !
Il s’est passé un événement considérable d’un point de vue culturel, ces dernières semaines. Un changement de cap, voire de paradigme idéologique, dans un silence médiatique qui dit l’effroi du milieu face à cette nouvelle vague populaire tant espérée. Serait-ce la fin du déni ? Quelque chose d’impensable, si l’on regarde, trois ans en arrière, l’état de notre PAF. Une double radicalité qui aurait mérité celle-ci une conférence de presse de plus de trois heures. Radicalité dans l’affirmation, sans les rougeurs aux pommettes, de la comédie française dans ce qu’elle a de plus picaresque et élégante. Et radicalité dans une voie, encore honteusement vilipendée, celle d’une douce nostalgie, d’un cheminement heureux de nos plus belles années, du délicat ébrèchement de nos souvenirs. J’ai même eu l’impression que mes centaines de chroniques dans la presse écrite depuis quinze ans n’avaient pas été vaines. J’ai longtemps prêché dans le vide, je suis maintenant (enfin) entendu par des autorités supérieures et hautement compétentes.
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Arte, la chaîne franco-allemande a diffusé « Tendre Poulet » sans avertissement, ni appareil critique, faisant le pari de l’intelligence de son public et de son goût pour la comédie policière sans violence. Un film qui n’aborde aucun thème sociétal, qui ne s’apitoie sur aucune minorité oppressée, qui s’amuse des vertus du mariage, qui ne noircit pas outrageusement les relations amoureuses et, audace suprême, qui n’a pas vocation à nous faire voter dans un sens ou dans un autre est une espèce en voie d’extinction. Une merveille d’équilibre, en quelque sorte. Un ballon d’oxygène aussi salutaire qu’un flacon de sauvignon. Quand l’institutionnel, le sérieux patenté et le représentant officiel du cinéma d’auteur, valide ce film de 1978, c’est toute la France qui respire à nouveau. On leur dit : MERCI ! Continuez-le combat ! Notre confrère Stéphane Hoffmann, dans les colonnes du Figaro Magazine, s’était lui aussi félicité d’une telle démarche. Cette programmation iconoclaste est assurément la marque d’un réarmement cinématographique. J’invite donc mes chers lecteurs à poursuivre ce travail de réenchantement du dimanche en visionnant la suite de « Tendre Poulet ».
Atmosphère mélancolique et rieuse
En salles, le 6 février 1980, « On a volé la cuisse de Jupiter » reprend la recette du premier volet, c’est-à-dire le duo Girardot/Noiret (Lise Tanquerelle et Antoine Lemercier), le ton badin, le dialogue signé Audiard digne du meilleur Théâtre National Populaire, aucune vulgarité ou bassesse à l’horizon, une légèreté taquine, des rebondissements toutes les deux minutes, un rythme de carnaval et, à la clé, un sentiment de bien-être, celui d’être chaudement installé devant la beauté d’un langage perdu, l’esprit rieur et une certaine mélancolie, en arrière-plan, qui ne force jamais le trait, mais qui nimbe l’atmosphère de ce long-métrage. Au chapitre des nouveautés, le couple récemment marié file désormais vers la Grèce et abandonne Paris ou le port d’Honfleur. Vient s’ajouter également au casting un couple turbulent formé par Catherine Alric (déjà vu dans le premier opus) en épouse frivole de Francis Perrin, obscur archéologue de la non moins obscure mission Grouillard. Ce quatuor ne joue aucune fausse note.
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Au diapason, les répliques fusent, elles s’harmonisent pour donner à l’ensemble un tableau ensoleillé, le charme des vacances et le goût de l’enquête. On se croirait dans la trilogie de Corfou de Gérald Durrell. Philipe de Broca s’adjoint également deux valeurs sûres du cinéma : Marc Dudicourt et Roger Carel. Paulette Dubost, disparue en 2011, qui fut la doyenne du cinéma français avant d’être dépassée par Micheline Presle incarne toujours la mère du commissaire Tanquerelle. Le tournage s’est déroulé en partie sur l’île de Corfou. Broca a, une fois de plus, soigné son histoire, il le répétera souvent : « L’histoire, c’est qu’il y a de plus difficile », lui que l’on considère seulement comme un bon metteur en scène et moins comme un conteur véritable. Annie Girardot plonge chaque matin dans la mer avant de passer au maquillage. Et son comparse Noiret qui se qualifiait du temps d’Agnès Varda, « d’espèce d’ours qui avait les pieds en canard », se prélasse sur une plage tandis que Catherine Alric en topless lui crème le dos. À l’occasion d’un reportage durant le tournage, il dira ce que peu d’acteurs de cinéma osent proférer : la supériorité de la caméra sur le théâtre où il est si difficile d’exprimer des sentiments superposés. « Alors que la caméra peut aller chercher trois ou quatre intentions simultanées » avance-t-il. Il parle de « sorcellerie ». Je défie quiconque de résister à cette course-poursuite ensoleillée. Si vous aimez les Lancia à boite automatique, les Rodéos découvertes, les filles qui se promènent en sous-vêtements et se prétendent frileuses, les polos Lacoste et les costumes en seersucker que l’on porte avec des charentaises, il faut (re)voir « On a volé la cuisse de Jupiter ». Ou juste pour entendre cette phrase : « Quand la police entrera à la Sorbonne, ce sera tout simplement au bras de son époux ».
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