Au cœur de l’été, Claude Lelouch a annoncé que Jean-Paul Belmondo tournera prochainement sous sa direction une comédie intitulée Les Bandits manchots. Le casting devrait réunir l’immense Aldo Maccione et le non moins déroutant Charles Gérard. On évoque aussi la présence lumineuse d’Audrey Dana, la nouvelle muse du réalisateur, qui exerce un pouvoir d’émotion sur les spectateurs aussi fort qu’Annie Girardot en son temps. Pourquoi ce retour nous ravit-il autant ? Parce que Belmondo nous a appris à marcher, à parler, à penser, à rouler, à boxer, etc…
Plus qu’un modèle, il a été un tuteur pour tous les hommes nés entre 1960 et 1980. Si vous avez 40 ou 50 ans et si vous êtes de sexe masculin, vous comprenez ce que je suis en train d’écrire. Son impact sur nos vies est tellement évident et palpable. Il a, sans le savoir, modifié en profondeur le destin de beaucoup d’entre nous et façonné notre cerveau. Combien de petits garçons ont voulu devenir flic après avoir vu Le Marginal, publicitaire après Un singe en hiver ou capitaine d’industrie après L’héritier ? Cruelle injustice d’avoir suscité tant de vocations sans avoir reçu la moindre palme académique. Il a suffi qu’il apparaisse grimé en écrivain raté dans Le Magnifique sous l’identité de François Merlin pour qu’instantanément, nous nous mîmes à rédiger des polars sur nos bureaux d’écoliers. Cette passion aussi soudaine qu’inexpliquée pour l’écriture ravissait nos parents. Il fallut pourtant leur avouer que ce goût pour la littérature était motivé par l’espoir secret de rencontrer une voisine de palier aussi sensuelle que Jacqueline Bisset. Belmondo a catalysé nos rêves. Il a fait de tous les enfants de France, les héros de leur existence. Ca vaut tous les prix, toutes les récompenses alors quand nous voyons certains se moquer de lui, de sa passion pour les Yorkshire et des créatures aux décolletés ravageurs, nous devons rétablir la vérité. Dire que Jean-Paul Belmondo sera pour l’éternité un seigneur de la pellicule.
Il réussissait l’exploit de suspendre le temps durant une heure et demi et de nous débarrasser de notre quotidien affligeant de banalité. Belmondo faisait alors vibrer la vie d’une façon tellement excitante qu’il agaçait nos professeurs d’alors pétris d’égalitarisme. Il sera, à jamais, notre dieu réactionnaire. Sur les bancs de l’école, on nous apprenait à être de bons citoyens en ânonnant les tables de multiplication. C’est à ce prix-là, paraît-il, que nous éviterions le chômage et son long cortège de misères. Avec le professeur Belmondo, les interdits volaient en éclats, il nous apprenait les mauvais sentiments et les coups bas toujours avec panache et sourire aux lèvres. Nous lui enviions cette flamboyance qui nous faisait tant défaut. Cette manière désinvolte de plaire aux dames, d’enfiler un blouson de cuir et de rosser un malotru. Avec lui, la vie reprenait ses droits. Nous pouvions enfin rouler plein gaz dans une Caterham décapotable et menacer des marlous de banlieue à la pointe d’un flingue de compétition. Avec lui, rien n’était grave car tout se terminerait par un tête-à-queue ou une réplique fracassante d’Audiard. Il nous a tout simplement inculqué la légèreté, la première marche vers le bonheur. Il a été un formidable remède contre la crise qui prospérait déjà.
Des petits intellos scribouillards auraient bien voulu le faire passer pour un salaud. Nous les ignorions magistralement. Ces attardés conspuaient le Belmondo commercial des années 80 en oubliant le précurseur de la Nouvelle Vague. Tant pis, car en vérité, nous aimions autant Pierrot le fou que Joss Beaumont. Nous ne chipotions pas comme des commissaires politiques sur telle ou telle période. Nous prenions tout en bloc. C’est en vieillissant que nous nous sommes rendus compte de son apport essentiel. Sans lui, sans ses films, sans son pèlerinage annuel dans les tribunes de Roland-Garros, sans ses conquêtes d’Amérique du Sud, ses beautés à l’accent cuivré, nous aurions été de misérables cloportes. Dans nos cités, dans nos zones pavillonnaires et même dans nos appartements bourgeois, Belmondo dynamitait la routine de nos familles, il nous faisait comprendre que la vie ne se résumerait jamais à une suite d’événements convenus. Il nous irradiait. De minuscules parcelles de bonheur finissaient toujours par retomber sur nous. Personne n’a échappé à cette féérie-là. Les hommes épris d’action se souviennent du Casse, les gros bras des Morfalous, les sentimentaux du Corps de mon ennemi, les mystiques de Léon Morin, prêtre, les aventuriers de L’homme de Rio, les assoiffés de liberté d’ À bout de souffle, chacun se retrouve en lui. Donc, nous avons hâte de le revoir sur grand écran.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !