La lecture de l’autobiographie du socialiste Pierre Moscovici rappelle la période où le leader de l’extrême gauche française était au gouvernement, et elle nous permet peut-être de comprendre sa dérive depuis.
Le dernier livre de Pierre Moscovici, Nos meilleures années – la jeunesse, les amis, la politique (Gallimard, 2023) est remarquable. Tant par son fond, où l’auteur nous offre une vision passionnante de ses origines, de ses parents, de la richesse et de la diversité d’une carrière multiple – il est actuellement premier président de la Cour des comptes -, que grâce à sa forme, avec un style limpide et d’une élégance retenue.
Quand Mélenchon était notre ministre délégué à l’Enseignement professionnel
Même pour les chapitres « engagés », concernant la vie du parti socialiste, ses propres ambitions, les jeux d’appareil, les alliances espérées, trahies ou non, ses fonctions de ministre et ses hautes responsabilités européennes, l’expression demeure toujours sereine, sans complaisance ni détestation, dans une juste mesure. Mais l’acidité de ses traits n’en est que plus cruelle quand sa sincérité le lui impose : les pages consacrées à DSK, sur ce plan, sont un régal. L’histoire d’une admiration, d’une amitié puis d’une désaffection irréversible. Il y a des offenses qu’on n’oublie pas.
Mais, pour une admiration durable, Pierre Moscovici rend hommage à Lionel Jospin qui a été Premier ministre du 2 juin 1997 au 6 mai 2002 avec ce qu’on avait appelé à l’époque de la gauche plurielle une « dream team », tant le chef du gouvernement et les ministres – dont Pierre Moscovici lui-même – avaient su donner un bel exemple de talent, de compétence et de discipline collective, au moins jusqu’au départ de DSK en 2001 pour cause de MNEF.
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Dans les chapitres consacrés à cette période, la lumière projetée par Pierre Moscovici sur Jean-Luc Mélenchon, qui était ministre délégué à l’Enseignement professionnel, m’a particulièrement intéressé. Le comportement et la psychologie de Jean-Luc Mélenchon semblaient être aux antipodes de ceux d’aujourd’hui. J’use du terme « semblaient » parce que l’auteur, contre l’opinion habituelle, affirme que le Mélenchon des années 90 n’était pas « si différent de ce qu’il est aujourd’hui » et qu’il convient peut-être d’en tenir compte dans nos appréciations.
2013: Mélenchon accuse Moscovici de ne pas « penser français » mais « finance internationale »
Pierre Moscovici en effet, s’il souligne que « certains dérapages intellectuels se sont produits ensuite », confirme cependant que Jean-Luc Mélenchon « portait déjà en lui un projet de gauche radicale, qu’il était un tribun aux accents protestataires ». Il n’y aurait pas eu, dans sa personnalité à l’époque, moins de vigueur et d’extrémisme mais ces dispositions étaient maîtrisées et mises au service de la cause gouvernementale. Lionel Jospin « l’avait considéré, avait su lui donner sa chance de gouverner, de piloter une politique publique, Lionel Jospin l’a fait sans sectarisme, avec intelligence… ». Jean-Luc Mélenchon a été « motivé et heureux… aujourd’hui encore, au milieu de beaucoup d’excès, il continue de louer cette époque et reste reconnaissant à Lionel Jospin… qui savait respecter et responsabiliser ceux qui ne pensaient pas comme lui, et ce fut une grande force. Tout cela a manqué par la suite ». Cette objectivité de Pierre Moscovici à l’égard de Jean-Luc Mélenchon est d’autant plus à saluer que ce dernier, en 2013, avait tenu des propos odieux à son encontre.
Nous ne sommes pas obligés de partager l’enthousiasme de Moscovici sur Lionel Jospin même si ceux qui ont travaillé avec lui sont à peu près accordés avec cette vision positive. Mais il est sûr que ce Premier ministre avait compris les forces et les faiblesses de Mélenchon et qu’il avait réussi à tirer le meilleur de ce ministre à la fois difficile et discipliné. Parce qu’on oublie trop souvent que, derrière les fureurs et les provocations du Jean-Luc Mélenchon d’avant la Nupes, de la Nupes puis de LFI seule, il y a d’abord un homme qui a besoin de se faire aimer, d’être aimé. Il détesterait évidemment cette manière de le réduire à une dimension « psychologisante ». Il s’arc-boute d’autant plus sur son idéologie qu’il est trop lucide pour ne pas la sentir comme un rempart contre ses fragilités de caractère. Peu d’êtres confirment davantage que lui cette si pertinente pensée de Marcel Proust : « les idées sont des succédanés des chagrins ». Depuis Lionel Jospin, Jean-Luc Mélenchon se détruit à petit feu parce qu’il n’est plus reconnu et qu’il en souffre. Cette faille a pour conséquence de le voir délirer, se singulariser au-delà de toute mesure, chercher désespérément les moyens d’être unique, précisément parce qu’au fond, aigri de ne plus être aimé, en nostalgie d’une époque bénie où quelqu’un lui avait manifesté une affection politique, une affection tout court en étant sûr de ce qu’il valait, Jean-Luc Mélenchon préfère, tous comptes faits, être détesté.
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Parce qu’il n’est pas dupe. Quand il répète que François Mitterrand l’avait assuré qu’il était « le meilleur », il n’ignore pas que l’ancien président de la République faisait don de ce compliment à beaucoup de ses rivaux à gauche… Jean-Luc Mélenchon est au centre d’un petit cercle inconditionnel jusqu’à l’absurde, dévoué jusqu’au sacrifice et aveugle jusqu’à la bêtise mais, j’en suis persuadé, il n’en surestime pas les qualités. Quoi de commun, pour un Jean-Luc Mélenchon, entre un Louis Boyard et lui-même ? Pour que les hyperboles aient du sens, il faudrait qu’elles proviennent d’un partenaire plausible ! Certes sa « cour » le craint, au mieux elle le respecte ; elle ne l’aime pas. Jean-Luc Mélenchon n’a pas d’autre choix, aujourd’hui, que de se rêver obstinément président de la République en 2027. Y croit-il vraiment ? Cette quête acharnée, brisant tout et tous derrière une apparente sérénité feignant de laisser leur chance à d’autres, est devenue l’unique sens de sa vie.
Et présider, un dur métier, serait pour lui la guérison suprême : être aimé, être heureux ne seraient plus des désirs à satisfaire. Mais seulement, pour lui, des nostalgies.
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