Le prodigieux Omar Sy publie Viens, on se parle et en assure actuellement la promotion dans nos médias. Dans une France gagnée par la fièvre identitaire, il se défend de faire de la politique.
Il est acteur et producteur. « C’est une star, une vraie, à l’américaine. Tout, chez lui, est XXL, maîtrisé, surnaturel, comme si un soleil interne irradiait le corps, le sourire, le regard ». De qui parle, dans Libération, la journaliste Sophie des Déserts ? Qui est ce prodigieux artiste, ce phare du cinéma, ce monument du 7ème art ? Mais oui, mais c’est bien sûr, c’est lui, c’est… Omar Sy !
Stupéfiantes réflexions
Depuis quelques jours, on ne parle plus que de lui dans les médias. Omar Sy est de retour en France. Il y restera quelques semaines, le temps de parler aux Français de lui mais aussi des dangers qu’ils courent. Dans l’émission Quotidien, il prévient ses concitoyens : l’extrême droite, c’est rien que des vilains ; l’individualisme, c’est très laid. Sur le plateau, le public est comme pétrifié par la puissance de ces stupéfiantes réflexions. Après cette première conflagration intellectuelle, la poussière est à peine retombée qu’Omar Sy envoie une nouvelle salve de considérations cosmiques, un vrai feu d’artifice : « Tout le monde parle de soi, et on oublie le groupe. Ce qui fait qu’on a des individus qui prétendent être chefs et qui sont juste des individus, souvent mégalomanes ». Oh, la belle bleue ! « Je pense qu’il faut se réveiller sur une chose les amis ; on a un groupe à créer et pas plein de petits groupes. » Oh, la belle rouge ! Dans le studio, le public retient son souffle. De discrètes larmes coulent sur le visage d’un jeune homme. Une dame âgée, les yeux fermés, semble prier. Le plus ravi des ravis de la crèche médiatique, Yann Barthès, a le visage illuminé de l’enfant de chœur ébloui par la parole divine à laquelle il ne comprend rien mais dont il sent le pouvoir. Pour ceux qui n’auraient pas saisi tout le sens des obscures invocations de Sy, il est prévu une séance de rattrapage sous la forme d’un bréviaire intitulé Viens, on se parle (Albin Michel). Omar Sy et Elsa Vigoureux, sa confesseuse et journaliste au Nouvel Obs, sont d’ailleurs là pour en faire la promo. C’est un recueil des faits, gestes et paroles de l’artiste qui permet, paraît-il, de découvrir un « acteur emblématique » qui est aussi un « père de famille exemplaire », une « icône de notre époque » qui a su rester un « homme ordinaire ». Bref, un être parfait, un exemple pour tous. D’ailleurs, écrit la journaliste en lévitation religieuse, « chacun de ses pas est une promesse pour ceux qui le suivent. Il est un pionnier dans notre époque ». Amen.
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Il y a quinze jours, à Trappes, le cinéma Jean Renoir a été débaptisé. Il portera dorénavant le nom d’Omar Sy. C’est normal : Jean Renoir n’a réalisé qu’une quarantaine de films de qualité médiocre – Boudu sauvé des eaux, Le crime de monsieur Lange, La Grande Illusion, La Règle du jeu, French Cancan, Le Caporal épinglé, entre autres réalisations mineures – tandis qu’Omar Sy peut se targuer d’une brillante filmographie, essentiellement un film – Intouchables – et une série Netflix – Lupin – ainsi qu’une interprétation de Knock autrement plus convaincante que celle de Louis Jouvet dans le film de Guy Lefranc. Fort de cette carrière qui éclipsera bientôt dans la mémoire des Français celles de Lino Ventura ou de Jean Gabin, Omar Sy a également été choisi pour faire partie du jury de la prochaine édition du festival de Cannes. Après cet événement il retournera dare-dare aux États-Unis. En France, dit-il au Nouvel Obs, il a en effet le sentiment qu’on le renvoie sans cesse au fait d’être noir – sentiment qu’il ignore dans la résidence californienne archi-sécurisée où il demeure et ne côtoie que des gens qui ont les mêmes soucis que lui pour nettoyer une piscine aux dimensions olympiques ou entretenir une villa gigantesque et un parc immense. Quand il pense à la France, confie-t-il, son « optimisme est mis à rude épreuve », en particulier quand il voit qu’il y a dans ce pays « encore un débat sur une artiste comme Aya Nakamura ». Mais l’acteur ne s’avoue pas vaincu. Il est de tous les combats. Depuis les États-Unis, il n’a pas hésité à soutenir Assa Traoré et les proches de Nahel Merzouk contre les violences policières françaises. C’est un bien beau geste. Il sait que cela lui a été reproché mais il s’en fiche : « Quand quelque chose me touche, je le dis, avec ce que je suis. » Et qu’est-il en réalité, cet homme complexe ? Difficile à dire. Dans l’ouvrage qu’elle a écrit avec et sur Omar Sy, la journaliste du Nouvel Obs tente d’élucider ce mystère fait homme: « Omar, c’est une sorte de Barbapapa ; en fait : capable de se fondre dans la forme de celui qu’il faut, d’être toujours celui qui manque. Barbatruc, il est là. Barbatruc, il est plus là. Voilà. » Cinématographiquement intouchable, philosophiquement inclassable, spirituellement insurpassable, tel semble être cet artiste revenant à intervalles réguliers dans son pays d’origine afin de lui donner quelques leçons de morale bien senties et lui soumettre des ébauches de réflexion pour se redresser et sortir de l’ornière raciste dans laquelle il s’enfonce.
Insatiable curiosité
Bouleversé par la puissance des propos de cet « homme profond et libre », par cette admirable marqueterie intellectuelle composée de fulgurances pragmatiques et de bon sens métaphysique, le directeur éditorial d’Albin Michel, Alexander Wickham, n’a pas hésité longtemps avant d’accepter d’aider à la propagation des grandes pensées de ce « pionnier doué d’une insatiable curiosité ». Pourtant, dit-il, « Omar a mis la barre haut, il fallait être à la hauteur ». Pour le bonheur de tous et l’édification des masses, les réflexions d’Omar Sy sont parues le 24 avril. En plus d’un kit complet de survie en milieu réactionnaire, l’ouvrage regorge de remèdes pour guérir cette France nauséabonde qui fonce vers « des endroits très sombres ». Lors de la messe médiatique qu’il dirigea sur le plateau de Quotidien, Omar Sy proposa par exemple un antidote à l’intolérance et à la haine : « Faut refaire des récrés, les copains. Venez, on se tient la main. On fait des rondes. » Effectivement, Omar met la barre haut. Trop haut, peut-être.