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Pas un poil sur le caillou, et rien dans la caboche

Un colloque sur les discriminations capillaires a eu lieu à l'Assemblée nationale à l'initiative du député LIOT Olivier Serva


Pas un poil sur le caillou, et rien dans la caboche
De gauche à droite, le député de la Guadeloupe Olivier Serva, la militante intersectionnelle Rokhaya Diallo et la scientifique Juliette Smeralda. Images : SIPA / DR.

Le député chauve Olivier Serva propose une loi pour lutter contre la discrimination capillaire qui oublie… les chauves!


Je dois à la vérité de dire que cet article n’aurait pas vu le jour sans la douce insistance d’une lectrice et commentatrice assidue de notre magazine préféré répondant au charmant nom de Félicité. Je tiens à remercier cette dernière d’avoir en effet, à plusieurs reprises, attiré mon attention sur différents projets concoctés dans les plus hautes sphères politiques et touchant un sujet qui me tient particulièrement à cœur, à savoir… la discrimination capillaire. Dans un commentaire récent, Félicité m’a personnellement invité à cliquer sur un lien dont l’intitulé ne laissait rien transparaître du sujet. Mais, me remémorant les précédents messages d’alerte de notre lectrice et pressentant une urgence dans la sécheresse impérative de son ultime sollicitation, je n’ai guère hésité à cliquer sur le lien en question. J’ai découvert alors un article paru dans la très sérieuse revue de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales (IREF) concernant un projet de loi « visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire ».

« Évolution législative »

Ainsi appris-je que, dans le cadre de ce projet de loi, le député de Guadeloupe Olivier Serva avait organisé le 16 novembre dernier, à l’Assemblée Nationale, un colloque intitulé : « Proposition de loi visant à reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire : Quels enjeux et perspectives pour cette évolution législative en France ? » Enfin ! Il était temps ! m’exclamai-je in petto. Rappelons aux étourdis que l’auteur de ces lignes a collaboré avec le CCCF (Comité Contre la Chauvophobie en France) et le CRAC (Conseil Représentatif des Associations de Chauves) à l’écriture d’un manifeste[1] destiné à avertir nos concitoyens et les représentants politiques sur la discrimination dont souffrent les chauves en France. Le député Olivier Serva étant lui-même chauve, j’ai pensé un instant que le délicat sujet de l’égalité entre les chauves et les non-chauves allait être enfin abordé avec le même sérieux que celui concernant, par exemple, l’égalité entre les femmes et les hommes. Las ! Prenant connaissance des invités des deux tables rondes qui se sont tenues lors de ce colloque puis du texte complet du projet de loi, il m’a fallu déchanter.

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Je vous laisse juges. La première table ronde était composée de six invités dont cinq femmes aux chevelures flamboyantes. Parmi celles-ci, Mme Rokhaya Diallo, spécialiste du coupage des cheveux en quatre. La seconde table ronde se composait également de six invités : un chirurgien capillaire et cinq femmes exhibant elles aussi de magnifiques tignasses. Lors des débats, il a essentiellement été question de l’oppression subie par « les porteurs et les porteuses de chevelures crépues ». La sociologue Juliette Smeralda a ému l’assistance en parlant des personnes qui « subissent des violences symboliques » à cause de leurs cheveux « texturés » ou « afro ». Quant au projet de loi, il ne mentionne que les « discriminations liées au style et à la texture capillaires » et n’aborde la « dimension relative à l’estime de soi et à la confiance en soi » que pour les personnes ayant des cheveux, blonds ou roux, crépus ou frisés. Et pour les chauves ? Rien, nada, nothing, que dalle ! Pas un mot ! Pourtant, l’alopécie génère souvent chez les hommes qui en sont atteints le sentiment d’être un citoyen de seconde zone. Nombre de ceux qui ont encore leur chevelure vivent dans la crainte de la perdre. Pour preuve, une étude européenne de 2005 sur le retentissement psychosocial de la perte de cheveux chez les hommes a révélé des chiffres terrifiants : 62% des 1538 hommes interrogés convenaient que la perte des cheveux peut affecter la confiance en soi ; 42% des non-chauves disaient avoir peur de devenir chauves et 70 % d’entre eux craignaient les effets négatifs d’une éventuelle calvitie sur leur « attractivité personnelle » et sur leur vie sociale ; 10 % des chauves, désespérés, avaient tenté de freiner la chute de leurs cheveux avec des traitements plus ou moins efficaces ; beaucoup avaient fini par prendre surtout des médicaments contre la dépression.

Un sujet tabou

L’invisibilisation des chauves perpétue le tabou de la calvitie. Pire, elle promeut d’une certaine manière la stigmatisation dont souffrent les chauves et que révèlent les expressions moqueuses utilisées fréquemment par les non-chauves pour parler des crânes dégarnis : mouchodrome, baisodrome ou vélodrome à mouches, boule de billard, crâne en peau de fesse, crâne d’œuf, genou (avoir le crâne comme un genou), caillou (avoir le crâne comme un caillou), poux (faire le désespoir des poux), déplumé, melon (avoir le melon déplumé), etc. Les doléances du CCCF –  safe spaces pour les chauves sur les lieux de travail, à l’université, etc. ; création d’une journée officielle contre la chauvophobie (idéalement le 4 novembre, jour de la Saint Charles, en hommage au seul roi qui refusa de succomber à l’imposition faite aux rois Francs de porter « longue chevelure », Charles II dit le Chauve) ; testing auprès des entreprises (une étude de la Fondation canadienne pour la recherche capillaire a montré que les chauves, à compétence égale, ont un tiers de chances en moins de décrocher un emploi que les chevelus), etc. – n’ont été suivies d’aucun effet. De plus, malgré les réclamations du CRAC, il apparaît qu’aucune formation spécifique pour coiffer les chauves désireux de préserver les rares et délicats cheveux qui couronnent leurs crânes ne soit envisagée dans les centres de formation professionnelle – alors qu’il existe, depuis septembre 2023, une formation certifiante sur « les techniques de coiffure pour cheveux spécifiques, bouclés à crépus » donnant droit à un diplôme reconnu par l’État. Dans l’article susmentionné, le directeur de l’IREF, Nicolas Lecaussin, imagine ironiquement une allocation pour les « personnes en situation de calvitie » qui compenserait les désavantages inhérents à leur situation capillaire. Et pourquoi pas ? Dans un pays qui rembourse intégralement les traitements hormonaux ou les actes chirurgicaux des personnes désirant faire une « transition », ne pourrait-on pas au moins envisager, pour les chauves, le remboursement des traitements anti-chute, de la chirurgie capillaire, des perruques et même des traitements nécessaires pour réparer les dommages dermatologiques causés par des « moumoutes » de mauvaise qualité ? Voilà qui serait digne d’un pays qui s’honore de lutter contre toutes les discriminations.

Une discrimination systémique oubliée

Il fut un temps où la calvitie était célébrée. « Tous les sages sont chauves, écrivait le philosophe Synésios de Cyrène au Ve siècle après JC. La calvitie est le signe de la raison et de la sagesse. » La calvitie est aujourd’hui motif à railleries et à ricanements. Il est regrettable que le député Olivier Serva, qui a confié sur France 5 avoir été traumatisé par la perte précoce de ses cheveux, n’ait rien prévu dans son projet de loi pour lutter contre la chauvophobie systémique qui règne dans notre pays. Mais ne désespérons pas : « C’est dans les rangs des chauves que l’on trouve tout ce qu’il y a d’hommes honnêtes, expérimentés, sages et vertueux », écrivait encore Synésios de Cyrène dans son Éloge de la calvitie. Le député Serva, que la remarquable calvitie prédestine à l’honnêteté et à la sagesse, peut encore amender son projet de loi et faire en sorte que même les esprits les plus échevelés se rangent finalement du côté de la Justice en luttant contre la discrimination capillaire qui frappe au premier chef les chauves.

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[1] Didier Desrimais, Lettre sur les chauves, 2021, éditions Ovadia.



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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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