Dans Énigmes, cinéma, Olivier Maillart montre comment de Balzac à Spielberg, cinéma et littérature se donnent comme autant de signes trompeurs.
Dans La Maison du Chat-qui-pelote de Balzac, la fameuse nouvelle qui ouvre La Comédie humaine, on voit un homme qui se trouve devant la façade d’une boutique et semble tenter de décrypter l’ensemble des signes qu’elle présente à sa vue. Le récit bascule ensuite et Balzac fait ironiquement le portrait de cet « homme qui regarde ».
C’est ce double-mouvement décrit dans la nouvelle de Balzac qu’adopte Olivier Maillart dans son court et lumineux essai Énigmes, cinéma, pour le transposer à l’expérience du spectateur de cinéma. Il a d’ailleurs la bonne idée de mettre les premières pages de La Maison du Chat-qui-Pelote en annexe. D’un côté, Olivier Maillart nous montre comment les films aiment à nous présenter des « énigmes » dont il s’agira de démêler les fils pour nous apprendre quelque chose du monde et ce qui se cache « derrière les images ». De l’autre, il analyse comment le spectateur parvient à s’intégrer dans ce monde.
Avec Balzac et Hitchcock
Le lecteur de la nouvelle, souligne Olivier Maillart, « rencontre un homme qui fait lui-même face à une surface couverte de signes mystérieux, d’indices suggérant l’existence de quelque mystère caché là-derrière, et qu’une longue observation doit permettre de percer. ».
L’auteur articule sa réflexion en s’appuyant sur la littérature (Balzac en premier lieu mais aussi Baudelaire, Borges, Hofmannsthal…) et nous propose des pistes passionnantes pour le septième art. Certaines semblent l’évidence même puisque Hitchcock et son Fenêtre sur cour ouvrent le bal et servent d’appui à une analyse de la place assignée au spectateur.
D’un côté, celle du voyeur impuissant qui contemple la banalité du Réel dans la scène d’ouverture qui montre le quotidien du voisinage dans ce qu’il a de plus terne. De l’autre, un désir de distinguer des signes permettant une autre interprétation du monde et de nous le révéler, avec ce que cela peut supposer de secrets enfouis. Olivier Maillart s’intéresse aux manières qu’ont eues certains cinéastes (Antonioni, De Palma, Argento, Spielberg) d’élaborer des dispositifs cinématographiques mettant le spectateur en position de détective chargé de scruter une certaine réalité cachée. Citons parmi ces procédés l’agrandissement d’un détail (Blow Up), le fantasme d’une vision panoptique introduite par le split-screen ou encore l’analyse d’une « image monde » que représente le found footage (« films trouvés ») et que Debord, par exemple, a beaucoup utilisé.
L’empire des signes
Cet « empire des signes » à décrypter, Olivier Maillart ne le voit pas que dans la surface lisse du plan mais également dans certains « labyrinthes » narratifs proposés par les cinéastes et nous livre de belles analyses de films pas forcément souvent cités comme L’Homme qui ment de Robbe-Grillet ou La Stratégie de l’araignée de Bertolucci, adapté de Borges.
« Cet univers labyrinthique est l’un des terrains de jeu privilégié de l’énigme cinématographique. Cette énigme, non contente de dire le caractère illusoire, prometteur et fascinant des apparences, se redouble parfois du mystère de sa propre énonciation, visant alors, comme chez Bertolucci ou Robbe-Grillet, à perdre délibérément ses personnages comme le spectateur qui tente de les comprendre, et de déchiffrer leurs secrets. »
Après s’être penché sur le caractère énigmatique que peut revêtir l’œuvre cinématographique, Olivier Maillart opère à un contre-champ et s’intéresse au spectateur en train de déchiffrer ces énigmes. Pour l’essayiste, il s’agit presque d’une enquête au sens psychanalytique du terme, une manière pour le cinéma de sonder la « porte close de l’inconscient ». Là encore, il revient à Hitchcock (La Maison du Docteur Edwardes et à Lang (Le Secret derrière la porte) et dresse le parallèle avec un spectateur désireux d’ouvrir les « portes interdites ».
Rendre le quotidien palpitant
L’une des idées très fortes de cet essai dense et passionnant, c’est qu’il y a chez le spectateur de cinéma qui interprète les signes pour en tirer un sens caché un désir de transcender la banalité du quotidien, de le rendre soudain palpitant. Comme James Stewart dans Fenêtre sur cour qui semble créer le meurtrier dans l’unique but de tromper l’ennui dans lequel le plonge son immobilisation forcée.
Maillart cite également Baudrillard qui estimait que l’effondrement des tours jumelles n’était peut-être, au fond, que la concrétisation d’un fantasme planétaire (notamment à travers l’imaginaire cinématographique) liée à cette manière de scruter le monde en attendant qu’un événement extraordinaire advienne.
On se dit alors qu’Enigmes, cinéma pourrait appeler une « suite », à savoir une réflexion sur la prolifération des images qui invitent à une interprétation de plus en plus délirante du Réel. Maillart passe rapidement à la fin, mais il est vrai que ce n’est pas l’objet de son travail, sur ce qui distingue la position du spectateur amateur d’énigmes du délirant discours « complotiste ». Mais il serait néanmoins intéressant de voir comment les fictions américaines ont été contaminées, ces dernières années, par cette fièvre paranoïaque, comme dans tout récent Under the Silver Lake et ce que ces nouvelles images révèlent ou masquent de l’énigme du monde par exemple dans le cinéma de Nolan).
C’est aussi là que se situe la réussite de l’essai : proposer des pistes passionnantes que tout un chacun prolongera à sa guise…
Énigmes, cinéma, Olivier Maillart (Marest, 2019)
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