Doubles vies, le vaudeville éloquent d’Olivier Assayas, tranche avec le cinéma français de ces derniers temps. Sensible et intelligent, il parle des couples sans opposer hommes et femmes et met en valeur ses acteurs, de Guillaume Canet à Juliette Binoche.
Alain (Guillaume Canet), la quarantaine, dirige une célèbre maison d’édition où il publie les romans de son ami Léonard, écrivain bohème (Vincent Macaigne). La femme d’Alain, Séléna (Juliette Binoche) est la vedette d’une série télé populaire et Valérie (Nora Hamzawi) assiste vaillamment un homme politique. Bien qu’ils soient amis de longue date, Alain s’apprête à refuser le nouveau manuscrit de Léonard. Les relations entre les deux couples, plus entrelacées qu’il n’y paraît, vont se compliquer…
On devrait toujours citer ainsi le résumé d’un film dont on s’apprête à dire du bien, histoire de prouver qu’un synopsis ne dit rien ou presque. Celui du nouveau film d’Olivier Assayas ne déroge pas à la règle et c’est tant mieux. Côté droit, cela pourrait donner du Danielle Thomson boulevardier, côté gauche, du Agnès Jaoui convenu. Heureusement, on est chez Assayas qui, quand il est au mieux de sa forme, comme ici, s’emploie à faire de réjouissants pas de côté.
Assayas, excommunication retardée
L’enfant chéri par intermittence des Inrocks avait ainsi tutoyé les gouffres de l’excommunication avec sa merveilleuse adaptation des Destinées sentimentales, de Jacques Chardonne (et pourquoi pas Céline, tant qu’on y était ?!…). Puis il avait, entre autres, mis à mal la modernité virtuelle dans Demonlover, chanté les louanges de la nostalgie familiale avec L’Heure d’été, refusé le chant complaisant du héros avec son Carlos et donné l’un de ses plus beaux rôles à Juliette Binoche, enfin non larmoyante, dans Sils Maria.
De Guitry à Rohmer en passant par Assayas
Aujourd’hui, avec ce Doubles vies, il avance à visage découvert à travers un film qui est d’abord et avant tout un succulent festin de paroles dans le paysage des comédies françaises dévasté par des œuvres souvent analphabètes et vulgaires. On se croirait chez Guitry et cela fait bigrement du bien aux oreilles comme aux yeux. Mais le film ne s’arrête pas au bavardage mondain et brillant de Sacha et se fait rohmérien tendance L’Arbre, le maire et la médiathèque. Ce Rohmer dont le malicieux et cinéphile Jean Douchet dit qu’il a « inventé le cinéma parlant ». On parle donc modernité et numérique à travers notamment le portrait de Léonard, petit cousin de madame Angot dans l’autofiction et victime expiatoire des réseaux sociaux et censeurs. Assayas, comme Rohmer en son temps, revendique le film d’idées, à l’heure où une partie du cinéma français sombre dans le film d’idiots adeptes de la nage synchronisée ou dans le film d’ados en tout genre. Il ne craint pas d’évoquer ainsi la figure de l’intellectuel si souvent moquée, voire conspuée par ailleurs. L’hommage assumé à ces deux cinéastes prétendument réacs est la preuve ultime de l’extrême liberté de ton que cultive Assayas.
La guerre des sexes n’aura plus lieu
Et puis comment ne pas lui savoir gré de parler des relations de couple autrement que comme cette guerre des sexes dont on voit bien que certains voudraient la rallumer tous les matins ? Dans Doubles vies, au contraire, les couples tentent de vivre, de survivre et de se réinventer. Si la question de la fidélité se pose, si la réponse peut être immorale, il n’empêche que le film se clôt sur autre chose, une promesse. Et pour servir ces impeccables discours, Assayas fait appel à une distribution qui est tout simplement un sans faute. Même Guillaume Canet, sorti du sinistre grand bain, fait ici des étincelles, tout comme Macaigne, Binoche et Christa Théret. Mais la vraie révélation du film, c’est Nora Hamzawi, vue jusqu’ici sur les plateaux de télé, de radio et de théâtre. Son personnage, les deux pieds dans la glaise, est un peu notre porte-parole à la façon d’un chœur lucide. Et dans ce rôle, l’actrice éblouit littéralement par sa justesse absolue. Elle est l’âme sensible de ces doubles vies qui sont aussi les nôtres.
Sortie le 16 janvier 2019.