Il y a quelque chose de délicieux et d’étouffant dans le premier roman d’Olivia Resenterra, Le Garçon (Editions Serge Safran). Il ne faut surtout pas se laisser abuser par son sous-titre balzacien, « scènes de la vie provinciale ». Ce n’est que la première chausse-trape d’un récit qui en compte beaucoup derrière son minimalisme soyeux, sa narration faussement plate où il faut une attention toute particulière pour trouver ce qui va nous amener à l’horreur, et même la terreur, derrière la manière anodine dont les chapitres se succèdent alors que le lecteur est peu à peu envahi par une sensation de malaise. Olivia Resenterra décrit à peine ses personnages, les nomme quand elle ne peut pas faire autrement et il en va de même pour les lieux ou les paysages.
Il y a la mère, une fille qui raconte l’histoire, le voisin exhibitionniste, sa femme qui vit dans une caravane, leurs deux gamines rousses, des romanichels. Nous sommes dans un village avec son cimetière, sa fête foraine, sa déchèterie. Tout cela se passe surement de nos jours puisqu’on va à l’occasion dans un hypermarché ou chez le dentiste, et qu’il sera question d’un téléphone portable dont on ne se sert pas souvent et sur lequel un mystérieux correspondant laisse des messages obscènes. La mère est une vieille dame qui ne mange que des sardines en boite par avarice et parce que c’est bon pour la santé, la fille s’occupe du reste. Elle est grosse, elle est patiente, elle a manifestement tout sacrifié pour cette mère qui n’est même pas tyrannique, juste envahissante jusqu’à l’étouffement comme savent l’être les gens qui vous disent que surtout ils ne veulent pas vous déranger. Ou peut-être qu’elle trouve son compte dans cette attitude sacrificielle, allez savoir, c’est parfois si compliqué d’être une femme.
Olivia Resenterra n’apporte pas de réponse, surtout pas. La littérature n’est pas pour elle l’endroit pour les explications, les analyses, les théories. On lui en sera reconnaissant alors que persistent aujourd’hui, de façon si pénible, les romans à thèse, les récits édifiants, les reportages romancés sur « les grandes questions de société ». Rien n’aura lieu que le lieu dans Le Garçon. On pourra toujours trouver un embryon d’enquête quand la fille se demande pourquoi la mère, si égoïste, s’entiche lors d’une de ses rares sorties, d’un adolescent entrevu à une fête foraine, un jeune homme mutique et solitaire qu’elle ordonne à sa fille de ramener à la maison avant que celui-ci ne s’éclipse. La fille se demande s’il n’y a pas là un secret derrière la lubie cacochyme de la mère qui va jusqu’à lui faire préparer la chambre d’ami. S’il n’est pas temps pour elle de se construire une cabane au fond du jardin pour prendre un peu ses distances. Mais elle ne le dit pas comme ça. Les personnages d’Olivia Resenterra ne disent rien à vrai dire, sinon pour s’inquiéter du menu du soir (ce sera des sardines, de toute façon), d’un potin local ou encore d’une invitation à rendre au nom d’une vie sociale réduite au minimum.
Tout cela ne finira même pas vraiment mal, tant l’élégant sadisme de ce roman va jusqu’à nous refuser le soulagement d’une explosion cathartique: « Parfois, je surprends le regard de ma mère sur moi, vaguement amusé. Elle ne demande plus guère à aller en ville et semble se satisfaire de ses journées passées à la maison en ma seule compagnie. » Si Le Garçon est le premier roman d’Olivia Resenterra, ce n’est pas son premier livre. Elle avait livré en 2012 un remarquable essai, intitulé Des femmes admirables aux PUF, dont nous avions rendu compte ici.
Il y était question de quelques figures féminines particulièrement destructrices, sadiques, mortifères dans la littérature ou au cinéma comme la mère dans Lolita de Nabokov, Cruella d’Enfer dans Les 101 Dalmatiens, Madame Loiseau dans Boule de suif Violet Venable, dans Soudain, l’été dernier et même la Phèdre de Racine. Olivia Resenterra est, dans ce roman, en quelque sorte, passée aux travaux pratiques. Et ce avec une habileté froide et élégante unique en son genre.
Le Garçon d’Olivia Resenterra (Serge Safran, 2016).
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