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L’homme battu

Un roman fort et à contre courant...


L’homme battu
Olivia Koudrine. © Le Cherche-Midi.

Une famille banale, une femme acariâtre, un homme qui s’écrase, une enfant qui trinque. Sur la domination dans le couple, Olivia Koudrine nous livre un roman plus vrai qu’un poncif féministe, un récit qui sonne juste là où #Metoo nous raconte des salades. Bref, de la littérature. L’homme battu, le Cherche-Midi, 2021.


Je ne suis pas un grand lecteur. La plupart des livres qu’on met entre mes mains en tombent très vite, surtout les romans. Quelques lignes suffisent à me faire savoir qu’il n’y aura pas d’autres rendez-vous. S’il y a trop de dialogues, des descriptions vaines, des expressions convenues, des réflexions ordinaires, des personnages sans personnalité, s’il n’y a personne au bout de la ligne, je ne tourne pas la page.

Voilà pourquoi je n’écris pas de chroniques sur les livres. Sauf exception. L’Homme battu, le roman d’Olivia Koudrine, en est une. Un peu parce que j’ai reçu le livre chez moi, avec mon nom sur l’enveloppe, et que d’habitude je ne suis pas visé, choisi, et flatté. Mais surtout parce je l’ai lu en entier, et en trois nuits pour faire durer le plaisir. Il y a dans l’écriture tout ce qu’il faut là où il faut. Une bonne dose de pensée, une pincée de culture, un paquet d’action, une poignée d’humour, une vie intérieure mouvementée, une vraie personne, un esprit fin et fort, une femme libre, bref, quelqu’un à qui parler dans une de ces « conversations silencieuses [1] » que l’on entretient quand on lit.

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Loin de la propagande féministe

La romancière, inspirée par les souvenirs d’une amie d’enfance, raconte une histoire de famille très éloignée des idées reçues et répandues par la propagande féministe sur la domination masculine. Ici, c’est l’homme qui est castré, humilié et battu. Une histoire d’amour qui tourne au vinaigre, à la manipulation et à la domination féminine entre ces deux profs cultivés qui vivent à Romorantin, puis à Boulogne. « Gauchiste intransigeante », elle aide les opprimés et opprime son mari. « Centriste mollasson », il fuit les affrontements. Quand elle l’insulte, il s’enfonce dans son fauteuil comme le père de Philip Roth dans Portnoy et son complexe. Quand sa femme le frappe, il se protège comme on attend la fin d’un orage. Elle ne lui parle que sur le ton du mépris, de la moquerie, de la réprobation, de l’injonction et passe du ricanement féroce à la mauvaise humeur furieuse, des menaces perfides aux gifles et aux coups. Il est un Occidental bien élevé qui a appris qu’on ne lève jamais la main sur une femme. Tout plutôt que la légitime défense qui peut mener à la guerre, et à la rupture. Il est pacifiste alors c’est la soumission.

Dans cette histoire, le père ne se bat pas et c’est l’enfant qui trinque, leur fille Justine. C’est elle qui raconte et qui se raconte. À la mort de son père, elle se souvient. De la petite fille qui croyait sa mère sur parole quand elle faisait de son père un raté, une lopette, une couille molle ; de l’adolescente « à problèmes » qui se rebellait contre ses deux parents, l’un faible et l’autre tyrannique. Adulte, elle se bat avec les démons que lui a laissés sa vie et qui causent ses peines et ses débordements : la culpabilité d’avoir méprisé son père et la haine pour sa mère.

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Tolérance à géométrie variable

On devine chez la romancière une passion politique qui donne de la voix quand Justine livre son regard sur notre monde, avec ses impostures : sur l’art contemporain, l’antiracisme, l’antispécisme, l’affaire Catherine Sauvage, sur nos tolérances à l’intolérable, aux femmes voilées et aux attentats terroristes, ou quand elle décrit un gauchisme humanitaire plein de ressentiments sous les bons sentiments.

Dans la vie de Justine, les harceleurs ne sont pas blancs, loubards et fachos comme chez Virginie Despentes mais deux racailles qui la traitent de pute dans la rue, en toute impunité. Ce qui la dérange, « c’est que personne ne leur casse leurs sales gueules ». Et que sa mère trouve des excuses à ces victimes de racisme et de discriminations. Ce qui la fait enrager, c’est sa coloc qui lui fait remarquer que « sa jupe trop courte peut les choquer ». Ce qui l’amuse, ce sont les tolérances à géométrie variable. Et les intolérances du gauchisme nouveau. Ce sont les amis de la coloc dans la vingtaine et « leurs discours aux relents de soixante-huitardisme, sauf qu’aujourd’hui, « il est obligatoire d’interdire ». Une pâle copie de leurs ancêtres pleins de fougue imbécile. Ici, point de fougue. Que de l’imbécillité. »

Un livre osé

Dans sa relation avec Pierre, son « SugarDaddy », Justine évoque « une tendresse mêlée de compassion pour l’homme de 74 ans, poli, empressé et galant… Et une répugnance mêlée de mépris pour celui qui la priait d’écarter les jambes… » Et elle raconte : « Nous avions des rapports étranges, ce qu’il kiffait, c’était me regarder nue… Ensuite les choses se compliquaient, il voulait voir ma chatte. Il ne s’en lassait pas, à croire que c’était la première fois qu’il en voyait une… parfois, il tentait d’y caser son biscuit mou ». Un échange bien compris aux paradoxes complexes entre un vieil homme attentionné et lubrique, et une jeune fille en mal d’attentions, délurée et dépensière, bien plus convaincant que les témoignages sensationnels sur des emprises, d’innocentes jeunes filles et de vieux vicieux que l’on publie et que l’on promeut. Et quand Justine raconte ses autres histoires de mecs, on s’y retrouve, on est dans le vrai, on pourrait dire moi aussi, mais ça ne colle pas avec les anonymes « Metoo » ni avec les récits des célèbres « Balance ton porc ».

Mais le plus attachant, au cœur de cette histoire, c’est plus qu’un personnage de papier, une personne qui nous parle, un esprit, un cœur, un corps, de l’estomac et un sexe. C’est une jeune femme libre et bien vivante qui ne cache rien de sa physiologie et de sa psychologie, qui dévoile ses indispositions ou ses orgasmes, ses haines et ses intolérances, ses désirs et ses failles, qui évoque ses internements, ses dégoûts, son anorexie, avec impudeur et avec honnêteté.

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Vous l’aurez compris, j’ai été emballé par ce livre malin, drôle, émouvant, osé. Et séduit par cette histoire bien roulée qui fait voler en éclats des poncifs de toute sorte et de tout genre en toute liberté, et en toute féminité. Pour un homme qui aime les femmes qui se dévoilent dans l’intimité d’un roman, c’est un délice. Pour un amateur de littérature, un régal. Depuis que je l’ai lu, je ne sais pas trop à qui le prêter. Si ça ne plaît pas, j’ai peur de me fâcher.

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[1].Merci à Alain Finkielkraut.

Octobre 2021 – Causeur #94

Article extrait du Magazine Causeur




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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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