Le Brésil vient de perdre un de ses meilleurs intellectuels contemporains. Olavo de Carvalho (1947-2022) a succombé à une maladie respiratoire aux États-Unis, où il vivait en exil volontaire depuis 2005.
Il était à mi-chemin entre un Michel Onfray et un Renaud Camus : un éveilleur de consciences à la tête d’une d’université populaire de philosophie, mais aussi un penseur maudit, haï et persécuté pour ses idées. Olavo de Carvalho était vilipendé en permanence par la bien-pensance brésilienne et il aimait ça, au point de faire de sa persécution un style de vie. Reclus dans les bois de l’État de Virginie, dans une belle maison entourée de verdure qui n’évoque en rien les couleurs chaudes du Brésil, il disait fuir son pays natal où sa vie était menacée. Ses ennemis étaient nombreux et puissants : tout l’establishment culturel brésilien, les médias et les partis de gauche. Ses amis étaient nombreux mais gardaient profil bas craignant la mort sociale : combien de policiers et de militaires m’ont parlé avec enthousiasme et déférence des œuvres du « maître » ? Combien d’étudiants universitaires m’ont transmis en douce des extraits, en format PDF, de son Le Minimum à savoir pour ne pas être un idiot ?
Un Brésilien diabolisé
C’est qu’Olavo de Carvalho a joué le rôle du Prophète dans un pays désenchanté et désespéré. Les Brésiliens ont tout essayé : la dictature miliaire de droite, la social-démocratie, la gauche syndicale, une femme au pouvoir et rien, absolument rien ne se passe, le pays demeure une promesse non-tenue. Olavo est venu répondre à l’angoisse créée par l’échec et la déréliction, et sa réponse a été franche et nette : les Brésiliens sont sortis de l’Histoire, le jour où leurs élites intellectuelles ont renoncé à l’excellence et à la transcendance. Olavo a consacré sa vie à expliquer le déclin brésilien, qui n’est rien d’autre qu’une version tropicale du grand déclin occidental. À titre personnel, je dirais que le Brésil a dix ou quinze ans d’avance sur l’Europe : il a pourri plus vite que nous autres, à cause de son climat humide ou, plus sérieusement, à cause de l’abdication précoce de ses élites intellectuelles à penser et à se dépasser. À ses yeux, les intellectuels brésiliens, et leurs relais dans la société et l’économie, ne sont rien d’autre qu’un « imbécile collectif ».
Nul doute qu’une telle thèse allait lui valoir l’inimitié de l’establishment. Le prix le plus cher n’est pas l’exil, mais la diabolisation. Je n’ai connu d’Olavo de Carvalho que la caricature dessinée par les mandarins de l’université et les politiciens de gauche : un cow-boy reclus dans sa cabane, cigarette aux lèvres, la voix rauque, la bouche pleine de gros mots et le cerveau empli d’idées nauséabondes. Ce n’est que tout récemment que je me suis plongé dans son œuvre.
Une légende noire
Nombre de Brésiliens ne l’ont jamais vu ni entendu, mais le détestent quand même. Qui va aimer un théoricien d’extrême-droite, autodidacte et passionné d’astrologie ? Olavo était en quelque sorte l’ennemi de lui-même. Ses tweets incendiaires ont forgé sa légende noire. Il n’hésitait pas à envoyer les journalistes se « faire enculer » et ne cachait pas ce qu’il pensait de certains généraux brésiliens : des « lâches » et des « vendus ». Même le président de la République, un de ses plus illustres disciples pourtant, n’a pas échappé à la colère du philosophe qui l’a qualifié de « lâche ». Olavo était révulsé, ces derniers temps, par la timidité de Bolsonaro face aux juges de la Cour Suprême qui ont jeté en prison, sans charges réelles, des journalistes et des parlementaires de droite. L’un d’eux aurait été battu en détention et en est sorti tétraplégique.
Au-delà des polémiques, souvent déplorables auxquelles il s’est assujetti, Olavo de Carvalho a rendu un service inestimable à la jeunesse de son pays. Il a soulevé la chape de plomb qui la sépare du bien, du beau et du juste. Il lui a révélé l’existence d’une autre dimension, au-delà de la plage, du sexe et du foot. Un au-delà où l’homme peut toucher le sublime et s’arracher ainsi aux fers du matérialisme. Grâce à Olavo de Carvalho, des milliers de Brésiliens se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes, s’extirpant de l’animalité où les plongeaient la publicité, l’école et la télévision. Si le Pape argentin était véritablement préoccupé par le salut des âmes, il aurait rendu hommage à ce Brésilien hors normes qui a « dédiabolisé » Dieu aux yeux de nombreux Brésiliens. Bien entendu, le Vatican ne fera rien, l’UNESCO non plus, l’Université de São Paulo encore moins ! Ne vivons-nous pas une époque où les cancres ont pris le pouvoir ? Tant que la majorité acceptera d’être dominée par les derniers de la classe, nous verrons de plus en plus de figures sacrificielles telles Olavo de Carvalho, visionnaires mais un peu dérangées. Il faut être bien dérangé en effet pour dire la vérité dans un monde où même les serviteurs de Dieu baisent la main des imposteurs…
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