Il a suffi d’un rapport de plus pour que la France s’enflamme. Autoriser le voile à l’école — quelques lignes dans un gros rapport qui cumule réflexions sociologiques élémentaires et provocations concertées —, en voilà une idée qu’elle est bonne ! Elle a permis à Jean-François Copé de se couvrir de ridicule une fois de plus en entonnant, la mine grave, la complainte lyrico-tragique de l’homme d’Etat malmené dans sa République à lui… Ce doit être dur, quand même, en ce moment, d’être à l’UMP et de rester lucide !
Les forums se sont enflammés — particulièrement les forums d’enseignants, où les islamistes font ces derniers temps un entrisme remarqué. Ledit rapport a immédiatement permis quelques petits pas de plus — les Musulmanes portent le voile comme elles portent un soutien-gorge, « c’est leur choix ». Ben voyons !
Ayrault a laissé porter, pendant quelques heures — comme on dit à la roulette. Puis il a démenti du bout des lèvres toute modification de la loi de 2004.
Cette focalisation sur le voile (dans un rapport qui contient des propositions bien autrement inquiétantes, comme la reconnaissance de l’héritage arabo-musulman de la France ou le délit de harcèlement racial — est-ce que ça marcherait dans les deux sens, à propos ? Est-ce que ce surveillant de collège — à Boulogne-Billancourt — qui avouait récemment sur Twitter qu’il sanctionnait préférentiellement les petits Blancs — les babtous, pour ceux qui ne savent pas — tomberait sous le coup de la loi ?) appartient, si je puis dire, à l’esthétique de la corrida : on agite un chiffon, et aussi sec les taureaux se déchaînent.
Une seule chose est évidente, dans la publicité faite à ce bout de papier destiné à rejoindre dans un tiroir bien d’autres bouts de papier : il s’en donne du mal, le PS, pour faire monter le FN ! Il sait bien qu’il a énervé tant de monde, dans ce pays, à force de politiques idiotes et de décisions imbéciles, que sa seule chance (croit-il) d’échapper à la raclée en 2017 est d’imposer un 2002 à l’envers, en éliminant l’UMP. Stratégie mitterrandienne poussée à sa limite : le Vieux avait réinventé le FN à partir de 2004, en suggérant fortement à la télévision d’Etat d’inviter Jean-Marie Le Pen à une émission de grande écoute (L’Heure de vérité du 16 octobre 1985). Il en avait besoin pour gagner en 1988.
Il s’agissait à l’époque d’inventer en France une structure tripartite. Il s‘agit aujourd’hui d’éliminer la Droite classique (qui le mérite bien, à vrai dire, vu le niveau de ses grands leaders), en espérant que les Français encore un peu démocrates préféreront voter quand même PS plutôt que de se lancer dans des aventures politiques incertaines.
Calcul quelque peu risqué : la Droite classique, à part peut-être un quarteron de centristes chrétiens, ne votera jamais PS, et une bonne partie de la vraie Gauche ne votera plus jamais PS. Combien d’ouvriers licenciés dans des plans d’urgence — l’urgence étant essentiellement de servir aux actionnaires des dividendes confortables —, combien de demi-cadres appartenant à des classes de plus en plus moyennes, ou d’enseignants même écœurés par des décisions absurdement idéologiques, combien de tous ces gens-là ne voteront plus pour le PS ? Et même, dans certains cas, se lanceront dans des aventures électorales inédites, rien que pour voir — et pour infliger une leçon à tous ces nantis de la politique qui plastronnent sur notre dos depuis des décennies, et agitent leurs petits bras d’impuissants en clamant haut et fort « L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! » ?
Je ne m’alarme donc pas outre mesure du « rapport » qui préconise que l’on ne parle plus désormais d’intégration, mais de différences, de juxtaposition, de puzzle culturel, de politique à la suédoise (ça leur a rapporté quoi, à ces scandinaves dont les banlieues brûlent, de juxtaposer Vikings et gens du Sud ? Il y a bien eu un art arabo-normand — mais en Sicile, et au XIIIème siècle). Non : mais je m’inquiète de cette tentation du parti au pouvoir de jouer au billard indirect, de viser apparemment une bille pour en envoyer une autre dans le trou. Tout ce qui, aujourd’hui, renforce le FN le renforce en effet, au détriment de tous les autres. Quant à l’idée que la France ne laissera pas les bleus Marine prendre le pouvoir, c’est une plaisanterie, ou une billevesée : la conjuration des imbéciles a de beaux jours devant elle.
PS : Le Comité Laïcité République, qui est à la laïcité ce que la Vulgate est à la Bible, s’est fendu d’un communiqué qui dit l’essentiel et le reste. De même Catherine Kintzler, qui pour une fois est sortie du ton modéré qui est ordinairement le sien : le PS ne passera plus par elle non plus…
*Photo : LCHAM/SIPA . 00655818_000026.
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